VIDEO-CLIP  : lancé au début des années 80, cet outil promotionnel a largement modifié la perception puis la conception même de la musique, l'ancrant de façon irréversible dans le monde publicitaire et médiatique. Certaines des plus grandes réussites de ces vingt dernières années, comme celle de Madonna, sont indissolublement liées au langage du clip qui, dès le lancement, a eu sa chaîne, MTV, aux Etats-Unis, relayée plus tard dans le monde entier avant d'être limitée localement dans tous les pays développés.

On peut affirmer, au risque de paraître hâtif : le vidéo-clip naît dans les années 80. Du moins comme secteur désormais privilégié dans la chaîne de production de l'industrie du disque. Bien sûr, il ne faut pas attendre l'aube des années 80 pour voir apparaître de petits films de promotion accompagnant les chansons à succès des artistes en vogue. On s'accorde généralement pour faire du Scopitone une invention française, l'aïeul du clip. Ces petits films, accompagnant les stars yé-yé (Claude François twistant dans la neige sur « Belles, belles, belles » ; Françoise Hardy promenant sa mélancolie dans un parc de manèges pour « Tous les garçons et les filles », filmée par Claude Lelouch), étaient diffusés dans des juke-box pourvus d'écran. Mais l'appareil se vendit mal, s'exporta peu et disparu rapidement dans la seconde moitié des années 60, ce qui mit fin à la production massive de Scopitone.

En Grande-Bretagne, les plus gros vendeurs s'étaient également vu offrir quelques films promotionnels : on se souvient par exemple des Beatles courant dans les champs sur « Strawberry Fields Forever » ou sillonnant Londres à cheval pour « Penny Lane ». Mais il faut attendre l'extrême fin des années 70 pour que cette association d'une bande-image à chaque 45 tours se généralise. En un premier temps, le clip n'est qu'un moyen de transmettre l'image du chanteur ou du groupe mimant sa chanson dans un studio, accompagné seulement de quelques effets d'éclairage (comme pour le « Heroes » de David Bowie). A partir de 1979 apparaissent enfin les premiers films manifestant de réelles recherches formelles. Il ne s'agit plus simplement d'enregistrer l'interprète en play-back mais de trouver un équivalent visuel à son univers musical. Parmi les plus grandes réussites du genre à ses débuts, il faut compter « Ashes To Ashes » de David Bowie, certainement l'un de ceux qui, avec sa recherche publicitaire de l'image, avaient anticipé le clip, prolongeant l'image du clown blanc sur la pochette de l'album Scary Monsters, « Another Brick In The Wall » de Pink Floyd, un film d'animation réalisé par le dessinateur Gerald Scarfe, et « Babooska » dans lequel Kate Bush s'essaie à une chorégraphie intensément érotique avec une contrebasse. Russell Mulcahy s'impose somme le réalisateur de clips le plus recherché du moment. Tout d'abord avec un clip pour XTC, « Making Plans For Nigel », réalisé en noir en blanc dans un asile psychiatrique, mais surtout avec celui des Buggles, dont le titre, « Video Killed The Radio Star », prend valeur de prophétie. En effet, la radio ne saurait suffire désormais à assurer le succès d'un titre, et ce sont désormais les images qui façonnent l'identité d'un artiste. Des réalisateurs d'animation, comme le Cucumber Castle d'Annabel Jankel et Rocky Morton, fabriquent des films remarquables pour Elvis Costello et Tom Tom Club. Le duo de musiciens-dessinateurs-fabricants d'effets spéciaux Godley & Creme, du groupe 10cc, se situe à l'avant-garde du mouvement, travaillant notamment pour Duran Duran.

Aux Etats-Unis, la naissance de MTV en 1981 (et son succès immédiat) prend acte de cette transformation et contribue largement à la relance d'une industrie du disque en déclin à la fin des années 70. Toujours au début des années 80 émerge une nouvelle pop synthétique, héritée de la new wave, dont l'essentiel de la séduction repose sur une imagerie dite néoromantique, créée de toute pièces par des clips raffinés : Ultravox (le cheval courant dans la lande dans « Vienna » de Russell Mulcahy), Adam And The Ants (la parodie de cape et d'épée dans « Stand And Deliver »), Visage, Depeche Mode et Duran Duran (pour lesquels le même Russell Mulcahy signe les dispendieux « The Reflex » et un « The Wild Boys » pastichant Mad Max). Mais c'est évidemment Michael Jackson, premier artiste noir que MTV consent à diffuser, qui intronise le clip comme argument de vente plus important que la chanson qu'il illustre. Les records de vente atteints par Thriller, doivent beaucoup aux clips de « Billie Jean » et « Beat It ». Plus encore, Michael Jackson est peut-être la première star qui inverse les priorités : ses concerts reproduisent les scénographies de ses clips, et non plus l'inverse. Il finira par remodeler sa propre apparence jusqu'à n'en faire plus qu'un être de synthèse, une image pure, aussi malléable et numérisée que le morphing de « Black And White ».

Durant toute la première moitié des années 80, le cinéma reste l'univers de référence privilégié du clip. La plupart d'entre eux sont narratifs (même si l'histoire qu'ils racontent n'a parfois qu'un lien très ténu avec les paroles de la chanson). Ils se déroulent souvent dans des décors de studio. L'imagerie qu'ils invoquent est directement prise aux classiques de l'histoire du cinéma (Billy Idol évolue dans le décor de Metropolis pour « Eyes Without A Face », Madonna reproduit le décor de Les hommes préfèrent les blondes dans « Material Girl », Michael Jackson pille tout à tour West Side Story et le film d'épouvante des années 50…). Seul le découpage diffère. Le montage doit être extrêmement saccadé, aligné sur celui des films publicitaires, et les images s'enchaînent selon des associations de volumes, de formes, de couleurs ; les grands angles déformants et les filtres colorés donnent une texture particulièrement clinquante à l'image. Certes, le cinéma des années 80 emprunte à son tour le rythme et l'esthétique du clip (particulièrement les films de Jean-Jacques Beineix, de Tony Scott, de Russell Mulcahy devenu cinéaste). Mais cette influence sera assez peu féconde. La plupart des clips n'ont de « vidéo » que la dénomination, puisqu'ils sont tournés avec de la pellicule de cinéma : beaucoup utilisent le scope, des cinéastes reconnus sont régulièrement sollicités (Martin Scorsese, Spike Lee, John Landis…) et les clips les plus onéreux vont jusqu'à excéder largement le temps de la chanson, prolongeant le récit parfois sans musique, sur des durées pouvant atteindre une vingtaine de minutes (Michael Jackson encore).

Légitimement, les artistes les plus inventifs en la matière seront ceux qui tenteront de couper ce cordon ombilical inhibant avec l'histoire racontée par la chanson. Jean-Baptiste Mondino est de ceux-là. A ses débuts, ses premières grandes réussites participent de cette tendance à recycler les images les plus identifiables du cinéma. « Cargo » (pour Axel Bauer en 1984) croise le noir et blanc de Rusty James de Francis Ford Coppola avec l'imagerie « cuir » du Querelle de Rainer Werner Fassbinder. « Un autre monde » (pour Téléphone en 1984) réinvestit les techniques de filmage propres à la Nouvelle Vague. Mais à partir du mémorable « C'est comme ça » (Rita Mitsouko, 1987), Mondino trouve une formule originale. Désormais, le clip s'affranchit complètement de la notion de récit et se recentre autour d'un dispositif unique (ici, un singe zappant un vieux téléviseur et retombant toujours sur les musiciens). Dès lors, le dispositif sera toujours plus dépouillé (un travelling circulaire, un cheval et Bashung au centre d'une piste de cirque dans « Osez Joséphine en 1991, un gros plan sur Vanessa Paradis et des inserts sur des danseurs torse nu dans « Tandem » en 1990). L'invention se recentre uniquement sur le traitement visuel (retravail des couleurs, abstraction des décors, déréalisation généralisée).

Au tournant des années 90, cette conception à la fois minimaliste et conceptuelle du clip se généralise. Le surgissement de nouveaux effets spéciaux liés aux images numérisées permet d'abandonner les montages heurtés et le surdécoupage de la décennie précédente. Grâce au morphing, l'image se transforme en donnant l'illusion qu'aucun changement de plan ne se produit. De fait, le plan-séquence devient la figure la plus courante des années 90. Mondino lui donne sa plus belle expression dans « L'ennemi dans la glace » d'Alain Chamfort (1993) qui, en plan unique, voit le chanteur se transformer en jeune femme. Toujours grâce aux nouvelles images, un même mouvement de caméra (par exemple un travelling avant) fait s'emboîter des espaces hétérogènes, comme dans « Nouveau Western (de Stéphane Sednaoui pour MC Solaar en 1993) ou dans « Je danse le mia » (de Michel Gondry pour IAM en 1994). Cet engouement pour le plan-séquence a même donné lieu à des stéréotypes tenaces, comme celui consistant à suivre ou précéder, sans aucun découpage, un personnage chantant dans la rue. Le gimmick a été inauguré par Massive Attack dans « Unfinished Sympathy » (1991) puis décliné sans fin jusqu'au « Bitter Sweet Symphony » de The Verve (1997).

La house et le techno n'ont pas manqué d'apporter leur lot de réaménagements à la pratique du clip. « Pump Up The Volume », le clip des pionniers M/A/R/R/S (1987), trouvait un équivalent à la technique du sample, en montant une succession d'images d'archives à un rythme frénétique. Plus récemment, la techno a beaucoup puisé dans les images virtuelles, en proposant des clips sans corps humains, uniquement constitués de motifs géométriques en mouvement. Mais, jusqu'à maintenant, ce courant musical n'a pas produit beaucoup d'images mémorables. Les clips les plus marquants en la matière sont peut-être ceux de The Prodigy (les reptiles en appartement de « Breathe », la caméra subjective de « Smack My Bitch Up »), groupe extrêmement proche, ce n'est as un hasard, de l'imaginaire du rock. Le clip, en définitive, reste malgré tout marqué par son origine : le cinéma, même s'il a parcouru de puis beaucoup de chemin et demeure, comme le rock ou la pop, un art profondément figuratif. Il a toujours besoin d'une voix, d'un corps et d'un peu de réel auxquels se mesurer.