PRODUCTEUR : métier de l'industrie du disque.

Traduction littérale de l'anglais producer , ce terme continue à prêter à confusion. Le producer n'a rien d'un financier, mais tout d'un réalisateur artistique. Auditeur privilégié, il supervise le contenu musical d'un enregistrement et contribue à définir l'identité sonore d'une chansons ou d'un album enregistré par un artiste ou un groupe. La fonction du financement même de l'entreprise (soit le véritable rôle de producteur stricto sensu) revient traditionnellement aux maisons de disques, qui ont de plus en plus recours à des productions indépendantes. Le rock a connu des producers aussi importants que groupes et chanteurs, certains leur volant même parfois la vedette, comme l'américain Phil Spector.

•  Définition générale

Présenté simplement, le travail du producteur-réalisateur consiste à « faire des disques », les meilleurs possibles évidemment, en collaboration avec les artistes. Le fait de choisir un artiste, de sélectionner une chanson, pour réunir une équipe de musiciens, d'enregistrer et de choisir la « bonne prise », celle qui sera commercialisée, relève déjà du domaine de la production. Le « producteur exécutif » (executive producer) aide l'artiste à réaliser son projet et finance éventuellement l'enregistrement dont le réalisateur est chargé. Conseiller des artistes qu'il cherche à conduire vers l'excellence et responsable d'un projet vis-à-vis de la maison de disques, le producteur-réalisateur possède également un sens affirmé de la gestion et de la psychologie. Son rôle s'est progressivement transformé avec l'évolution des techniques d'enregistrement. Ce phénomène se montre particulièrement sensible à partir des années 50, soit dès l'avènement du rock : magnétophone et bande magnétique, mise au point du disque microsillon, stéréophonie, enregistrement multipiste sont autant de nouvelles possibilités qui ont multiplié les options artistiques, accroissant logiquement la responsabilité du producteur. Si l'ingénieur du son se concentre sur l'aspect technique de l'enregistrement, le producteur (parfois la même personne) s'intéresse à son contenu artistique. L'avènement des technologies numériques et la complexité accrue du processus d'enregistrement ont amplifié encore le rôle de producteur dans les années 80. Ces dernières années, on remarque cependant une tendance à des réalisations proposant un nouveau rapport à la technologie, où l'artiste recherche une simplification, une désacralisation du processus d'enregistrement : dans le courant lo-fi, par exemple, certains artistes n'imaginent même pas de collaborer avec un « ingénieur du son » ou un « producteur », pas plus qu'avec la mode unplugged., le rap ou la techno, avec le recours aux samples. Cette démarche, qui transforme le rôle du producteur, se trouve faciliter par la démocratisation accélérée des outils de production (home studio, informatique musicale) dont se sont emparés les musiciens.

 

•  Histoire de la production

Aux Etats-Unis, dès le début du XXe siècle, des enregistrements de chansons folkloriques et de blues furent réalisés, qui devaient profondément influencer l'évolution de la musique populaire. Des pionniers de la production tels que Howard Odum ou John A. Lomax, utilisant du matériel rudimentaire (des cylindres Edison à l'origine), se chargèrent de collecter, au cours d'expéditions aventureuses, des chansons auprès de musiciens inconnus. Dans leur sillage, l'industrie musicale se développe à partir des années 20. Les enregistrements de musiciens populaires, largement diffusés, représentent d'une certaine façon les racines du rock dont les premières influences restent essentiellement discographiques. C'est toutefois dans l'univers du jazz que se révèlent les premiers véritables producteurs, au sens où nous l'entendons aujourd'hui (à titre de repère, la première séance d'enregistrement de jazz date de 1917). Souvent attachés à une maison de disques, ils ont véritablement inventé leur métier en révélant des artistes et en supervisant leurs séances de studio. Citons par exemple John Hammond, à qui l'on doit la découverte de quelques-unes des plus grandes figures de la musique populaire américaine (Billie Holiday, Charlie Christian, Count Basie, Bob Dylan, Aretha Franklin, jusqu'à Bruce Springsteen), mais aussi Alfred Lion, producteur du célèbre label Blue Note, ou encore Bob Thiele, producteur de John Coltrane dont il supervisa les séances pour le label Impulse. Malgré tout, c'est avec le rock que le rôle du producteur va prendre toute son importance. Il ne s'agit plus de réaliser le documentaire sonore d'une séance de studio, mais bien d'inventer désormais pour chaque disque un univers sonore original.

 

•  Les producteurs de rock

Un dictionnaire des producteurs de rock reste à écrire. Ne seront évoqués ici que ceux ayant joué un rôle certain dès les débuts de l'histoire du rock (les producteurs les plus importants font l'objet de biographies indépendantes). Ce phénomène est sans aucun doute lié au rôle essentiel joué par le disque et la radio (donc de la matière enregistrée) dans la propagation de la nouvelle musique.

Sam Phillips, producteur des légendaires premières séances d'Elvis Presley, joua un rôle déterminant depuis ses studios Sun à Memphis (Tennessee). A ce titre au moins, il occupe une place privilégiée dans l'histoire des producteurs de rock, puisqu'il a écrit le premier chapitre de ce genre musical. Après avoir suscité la rencontre entre le jeune chanteur et le guitariste Scotty Moore, c'est lui qui enregistra « That's All Right » au mois de juin 1954 dans son studio. Son exploitation artistique du slapback, un effet d'écho artisanal qui faisait repasser l'enregistrement original dans un deuxième magnétophone, donna aux disques de son label Sun leur forte identité sonore, immédiatement reconnaissable.

Jerry Leiber & Mike Stoller, deux auteurs-compositeurs particulièrement talentueux, s'imposèrent également comme producteurs dès les années 50 avec des succès pour de nombreux artistes : Coasters, Drifters… « Nous n'écrivions pas des chansons, nous écrivions des disques », expliquèrent-ils un jour à propos de leur travail.

Phil Spector, ensuite, qui fut un temps leur assistant, révolutionna les méthodes de production en construisant derrière les artistes son fameux wall of sound (« mur de son »), constitué d'enregistrements superposés (overdubs) utilisant une myriade d'instruments (cinq ou six guitares, trois ou quatre pianos, plusieurs kits de batteries, de nombreuses percussions…) et des arrangements grandioses. Cette « approche wagnérienne du rock'n' roll », pour reprendre ses propos, procura au rock ses premiers titres de noblesse. Phil Spector, soucieux de garder le contrôle absolu de son travail, s'imposa également comme producteur indépendant dans une période encore dominée par les grandes compagnies de disques. Ambitieux, provocateur et redoutable homme d'affaires, il reste sans doute le premier, sinon l'unique producteur de l'histoire du rock à avoir été mis autant en avant, si ce n'est plus, que ses interprètes (Ronettes, Crystals, Righteous Brothers). Son influence comme « producteur artistique » (le concept s'inventa avec lui) reste considérable. Brian Wilson apparaît comme une autre référence historique de premier plan. Avec son groupe, les Beach Boys, il élabora un style de production extrêmement sophistiquée et souvent expérimental (dans les structures et l'instrumentation exotique), privilégiant les guitares et les harmonies vocales (la chanson « Good Vibrations » semble le meilleur exemple), dont l'influence fut immense.

George Martin, producteur attitré des Beatles, posa lui aussi d'importants jalons avec l'album Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band. Paru en 1967, il représente un aboutissement, en même temps qu'un commencement de la production rock. Enregistré en quatre mois avec un budget équivalant alors à 55 000 euros (360 000 francs environ), utilisant les machines les plus perfectionnées de l'époque (magnétophone quatre pistes), cet ambitieux concept album (disque à thème) démontrait les possibilités créatives quasi infinies du processus d'enregistrement. Collage unique de chansons construites par couches successives d'enregistrements, riche d'arrangements et d'instrumentations inédits, il se présentait aussi comme une fabuleuse exploration technologique, faite d'effets sonores et autres bruits jamais entendus auparavant dans un contexte de chansons. Avec Sgt Pepper, le studio s'imposa comme un instrument de musique, et le producteur comme un nouveau membre du groupe.

Dès les années 60, on commence à reconnaître des « styles de production » avec les disques de Motown de Berry Gordon Jr. Ce dernier employa de véritables équipes de producteurs, compositeurs et musiciens de séances et imposa le son Tamla Motown, immédiatement identifiable par l'auditeur (le label Stax de Memphis procède de la même démarche). De la même manière, le producteur Jerry Wexler donna son identité sonore au label Atlantic d'Ahmet Ertegun en produisant les disques de Ray Charles, Aretha Franklin, Otis Redding, entre autres.

A partir des années 70, les avancées technologiques révolutionnent les méthodes d'enregistrement : magnétophones vingt-quatre pistes, consoles automatisées… Ce phénomène renforce la position du producteur, même si de nombreux artistes choisissent de se produire eux-mêmes. Peu à peu, le travail de producteur, dont certains deviennent des stars à part entière, se spécialise, selon le style des artistes ou les compétences des producteurs eux-mêmes. Bob Ezrin, Quincy Jones, Tom Dowd, Nile Rodgers, Steve Lillywhite ou Bob Rock, autant de noms de producteurs susceptibles de vendre des disques où leur nom s'inscrit en tête de la liste des crédits.

Dans les années 90, le rôle du producteur semble se placer dans une nouvelle perspective. L'évolution rapide des technologies d'enregistrement, mais aussi une certaine simplification de ces procédés l'amènent à une fonction plus « philosophique », à l'instar d'un Brian Eno, cherchant d'abord à guider par ses réflexions les artistes dans un « océan de possibilités ». Par ailleurs, la démystification du processus d'enregistrement et l'utilisation désormais généralisée des machines continuent d'atténuer la limite séparant les musiciens des producteurs. L'univers de la techno illustre bien cette tendance, où les techniciens sont des artistes, et les artistes des techniciens. Enfin, émergeant des tables de mixage des DJ sur les pistes de danse ou des home studios les spécialistes du remix qui proposent une « relecture » de l'œuvre enregistrée. Dans cette approche, le producteur acquiert une autonomie qui le place au même niveau que l'artiste. Dans certains cas, le travail de remix devient plus important que la chanson elle-même.