The Doors DOORS, The : groupe de rock psychédélique américain, 1967-1972.

- Jim Morrison
: chanteur et parolier. Né le 08-12-1943 à Melbourne, Floride, mort le 03-07-1971 à Paris, France.
- Ray Manzarek : claviériste. Né le 12-02-1935 à Chicago, Illinois.
- Robbie Krieger
: guitariste. Né le 08-01-1946 à Los Angeles, Californie.
- John Densmore : batteur. Né le 0l-12-1945 à Los Angeles.

Né en 1966 à Los Angeles, ce groupe californien a atteint la dimension d'un mythe. Sa musique puisait à plusieurs sources, d'un rhythm'n'blues éclaté à un jazz en liberté, bien dans le ton psychédélique de l'époque. Mais elle servit surtout d'instrument au service de la vision du poète et chanteur Jim Morrison. Situés dans une zone singulière où se rencontrent le théâtre, la cérémonie mystique, mais aussi une certaine forme de thérapie, les Doors restent l'expression la plus vivante d'une contre-culture anti-sociale et éprise d'absolu, cherchant la délivrance du subconscient à travers l'usage des drogues. Des générations successives ont continué à se passionner pour la figure de demi-dieu érotico-mystique de Morrison, détruit à l'âge de vingt-sept ans par ses propres excès, grâce à la force éternelle de chansons-poèmes comme « The End » ou « Riders On The Storm », qui font de lui un classique de la révolte et du désir adolescents, au même titre que Rimbaud. Les disques des Doors n'ont jamais cessé d'influencer le rock. Nico reprit « The End » en 1974. Leur influence se fit fortement sentir — à égalité avec celle du Velvet Underground — sur les groupes de la post-new wave européenne comme Joy Division, Echo And The Bunnymen ou U2.

James Douglas Morrison connaît une enfance mouvementée. Très jeune, il entre fréquemment en conflit avec son père, un officier de marine d'une grande rigidité, souvent violent. La famille déménage au gré des affectations de l'amiral Morrison. Fixés sur la côte atlantique de la Floride, les Morrison partent s'installer près de Washington, puis retournent en Floride, cette fois sur la Côte Ouest, où le jeune Jim s'inscrit à dix-sept ans à la faculté de Saint Petersburg. Le climat lui déplaît, et il la quitte au bout d'un an pour l'université d'Etat de Floride. Il n'y reste pas plus longtemps. Il manifeste un caractère violent et instable et, très tôt, cherche à imiter le style de vie des personnages, réels ou imaginaires, qu'il admire : Rimbaud, Nietzsche, mais aussi le poète beat Lawrence Ferlinghetti, ou son modèle Dean Moriarty, le personnage de Sur la route créé par Jack Kerouac. Il s'enivre pour trouver l'inspiration, écrivant tous les jours poèmes et chroniques intimes. Ses goûts musicaux ne le portent guère vers le rock, auquel il préfère de loin rhythm'n'blues et spirituals.

A vingt ans, il décide de partir à l'autre bout du pays, à Los Angeles. Il s'inscrit à l'UCLA (Université de Californie), à Los Angeles, département cinéma. Il s'y fait un ami, Dennis Jakob, qui l'entraîne vivre dans le quartier de Venice, à Santa Monica, où s'est installée une bohème d'artistes hippies. En marge de l'université, qui le range au nombre des « étudiants à problèmes », Morrison réalise un film expérimental à partir de chutes du film d'un autre étudiant. Jakob lui fait alors rencontrer Ray Manzarek. Auréolé d'un grand prestige, ce garçon âgé de près de trente ans est d'abord un musicien aguerri : pianiste prodige du conservatoire de Chicago, il a préféré le blues, jouant dans des bases américaines au Japon, puis a renoncé à une brillante carrière de banquier pour se tourner, sur le tard, vers des études de cinéma. Un jour qu'ils se promènent sur la plage à Venice, Morrison lui parle des chansons qui se jouent dans sa tête, et lui récite Moonlight Drive (« Route du clair de lune »), un de ses poèmes qu'il « sent » mis en musique : « Nageons vers la lune / Escaladons la marée / Pénétrons le soir / Que la ville cache en dormant ». Pour Morrison, tout cela s'impose de façon impérieuse : « Mon subconscient avait tout préparé, c'est comme si on y avait pensé pour moi. J'ai entièrement senti cette situation : un concert, avec un groupe, moi qui chantais et un public, un gros public. En écrivant ces cinq ou six chansons, je n'avais fait que prendre des notes pendant un fantastique concert de rock qui se jouait dans ma tête. » Manzarek « sent », quant à lui, que cette association entre poésie et rock psychédélique est prophétique.

À ce moment-là, Manzarek se produit tous les week-ends dans un bar de Santa Monica, à la tête d'une formation de blues où jouent ses deux frères, Rick & The Ravens. Lors d'une conférence de méditation transcendentale organisée à l'université par le Maharishi Mahesh Yogi, il fait la connaissance d'un autre étudiant, John Densmore, qui a déjà fait ses débuts de batteur dans un orchestre de jazz. Morrison, Manzarek et ses deux frèrcs, ainsi qu'une bassiste répètent et enregistrent en septembre 1965 une première maquette de chansons, dont « Moonlight Drive » et « Break On Through ». Les frères de Manzarek et la bassiste trouvent Morrison trop insupportable et préfèrent abandonner. Manzarek et Densmore recrutent alors un autre étudiant féru de méditation transcendantale, Robbie Krieger, qui joue depuis longtemps de la guitare blues dans des orchestres dc rue. Morrison choisit alors le nom du groupe, les Doors, s'inspirant d'un essai d'Aldous Huxley, Les Portes de la perception (ce titre étant lui-même dérivé d'un poème de William Blake), où il relate son expérience de la mescaline : « Si les portes de la perception s'ouvraient, écrit Blake repris par Huxley, tout apparaîtrait à l'homme dans son absolue réalité : c'est-à-dire infini. » Et plus loin « Toutes les autres portes chimiques percées dans le mur ont pour nom drogue. » Les Doors s'imposent d'emblée comme un groupe expérimental. En premier lieu, ils n'ont pas de bassiste. Ray Manzarek assure les lignes de basse sur un second clavier, le Fender Keyboard Bass, ce qui vaut aux Doors d'être refusés dans deux clubs pour manque d'orthodoxie. Ils sont engagés début 1966 au London Fog, un club sur Sunset Strip, pour y jouer tous les soirs un rhythm'n'blues à la Booker T. & The MG's, reprenant, comme tous les groupes d'acid rock de l'époque, (« Gloria » et « Louie Louie », et leur cheval de bataille « Back Door Man ». Ce qui fait la différence entre les Doors et la floppée d'autres groupes de l'époque, c'est leur chanteur. Jim Morrison arrive sur scène muni de sa pharmacie personnelle (amphétamines, principalement) qu'il fait partager aux autres. Un soir qu'ils jouent « Little Red Rooster », ils terminent le morceau l'un aboyant, l'autre hululant, Morrison s'écroulant inanimé. Ils sont renvoyés, mais repêchés in extremis par le plus prestigieux Whisky A-Go-Go. Le charisme et l'étrangeté de Morrison s'y affirment de plus en plus, LSD et diverses substances aidant. Un soir, il chante (« The End » en hurlant dans une rage incontrôlée qu'il veut tuer son père et sa mère. C'est plus que n'en peuvent supporter les patrons, qui renvoient les Doors.

Leur réputation comme groupe unique en son genre est déjà bien établie. Sur les conseils d'Arthur Lee, le leader du groupe Love, Morrison et son groupe sont pris sous contrat par Jac Holzman, le directeur des disques Elektra. Le lancement de leur premier album, The Doors, en janvier 1967, est accompagné d'un communiqué de presse : (« Sur scène, les Doors semblent évoluer dans leur propre monde. Les chansons des Doors sont comme l'espace, elles sont ancestrales. On dirait une musique de carnaval. Quand elle cesse, il y a une seconde de silence. Quelque chose de neuf a pénétré dans la salle. » Un public fasciné découvre la poésie nietzschéenne de Jim Morrison, sa longue psychothérapie sauvage dans « The End ». Le disque constitue un ensemble singulier et éclectique, où, sur fond de rhythm'n'blues, s'élancent des phrases d'orgue aux accents jazzy ou classiques. Outre le morceau de bravoure qu'est « The End », long de treize minutes, on trouve une étonnante reprise d'« Alabama Song » de Brecht et Weill, et « Light My Fire », véritable classique à l'atmosphère liturgique, avec sa fameuse intro à la Bach. Les Doors sont les premiers à concevoir l'album comme une longue plage de musique ininterrompue et tiennent en mépris le marché « commercial » des tubes. Sur l'insistance d'Elektra, « Light My Fire » sort pourtant en simple, amputé de trois minutes pour passer à la radio. Le succès est immense : la chanson est n°1 pendant trois semaines à la fin juillet 1967. Toute l'Amérique découvre le chant doux et grave, étonnamment sensuel et suggestif de Jim Morrison.

Mais c'est surtout sur scène que les Doors créent l'événement, dans tous les sens du terme. Le public se précipite aux concerts des Doors comme pour assister à une cérémonie. Ceux-ci commençaient généralement par « Back Door Man ». Ray Manzarek, dix ans après, se souvenait : « Jim était comme le chamane (sorcier) dans le rituel peyotl qui fait cette danse indienne bizarre, en sautillant avec des maraccas. Notre boulot était de créer de la musique pour cette transe, un rythme hypnotique... Après ça, le public s'en allait et personne n'applaudissait. L'effet était cathartique. » Cette thérapie sauvage est alors perçue par les autorités comme une menace pour la jeunesse américaine. Drogué, imprévisible, incontrôlé, Morrison entraîne le public dans une hypnose que beaucoup jugent effrayante, « Il y a des choses qu'on peut connaître et d'autres qu'on ne peut pas connaître : entre les deux il y a des portes », avait écrit Blake. « Considérez-nous comme des politiciens érotiques », déclarent alors les Doors. Morrison se tient illuminé dans l'embrasure de la porte, entraînant ses fidèles. La ferveur est intense. Figure satanique en cuir noir, Morrison, inspiré parla psychothérapie de groupe du Living Theater, expulse ses démons en public, lance des imprécations, terminant en général par la récitation de son poème Celebration Of The Lizard . Des membres du public s'évanouissent. Des filles envoient leur soutien-gorge sur scène. Fin 1967, la police envahit la scène lors d'un concert dans le Connecticut après que Morrison a insulté ses représentants chargés de surveiller la foule. En mai 1968, à Chicago, il demande au public de se révolter contre la police. Il échappe de peu à l'arrestation.

Les événements s'emballent durant l'année 1968. Après l'album Strange Days, qui contient « People Are Strange » et le morceau de bravoure « When The Music's Over », le groupe atteint une popularité immense... Les Doors sont devenus une espèce de phénomène de foire. Morrison ne sait plus lui-même comment contrôler le mythe qu'il a créé. Il souhaite entrecouper les chansons de l'album suivant, Waiting For The Sun, de courts poèmes récités. Elektra refuse, et, après l'étonnant « The Unknown Soldier », qui sort en 45 tours en mai 1968 (Morrison tourne un petit film pour la chanson, où on le voit se faire fusiller), sort (« Hello I Love You », une chanson facile qui atteint le n°1 et reste l'une des plus populaires du groupe. Si l'on met à part « The Unknown Soldier », Waiting For The Sun est un disque noms intense, plus baroque et enjolivé, où Morrison se fait volontiers crooner. De plus en plus distant de son personnage de pop star, il se laisse convaincre par son ami l'écrivain californien Michael McClure de publier un recueil de poèmes, The New Creatures, avec des photos prises au Mexique. Morrison veut d'abord le publier sous l'anonymat, puis accepte de mettre son nom, mais sous sa forme officielle, distincte de la pop star, de James Douglas Morrison. Mais pour l'heure la machine continue de tourner. De plus en plus insatisfait, Morrison boit, absorbe diverses drogues et se livre à des excès. Un soir de mars 1969 à Miami, il insulte, comme furieux, le public et lui demande s'il veut voir ses parties intimes. Et, selon le témoignage de certains, durant quelques secondes, il s'exécute. Le concert se termine, puis, dans l'avion, Morrison apprend qu'il est accusé de « conduite obscène et lascive en public par l'exposition des parties intimes et la simulation de masturbation et de copulation orale ». Le groupe et son manager sont abasourdis. Le scandale est immense : tous les concerts du groupe sont annulés, l'ostracisme est généralisé, les radios déprogramment leurs disques, et le FBI aussi est sur les dents. Pour Morrison, c'est la délivrance.

En été 1969, il déclare à Rolling Stone : « J'ai essayé de réduire le mythe à l'absurdité et de le liquider de cette façon. » Le quatrième album des Doors, The Soft Parade, sort à ce moment-là : c'est un disque étrange, éclaboussé d'arrangements de cuivres tonitruants, où Morrison, sur des morceaux comme « Touch Me » ou « Wishful Sinful », joue de plus en plus les crooners, avec une ironie qui n'est pas sans annoncer celle de Dylan dans Self Portrait. Pour lui, l'affaire est réglée : le « Roi Lézard » est mort, l'hystérie n'est qu'un souvenir. Il veut renaître comme James Douglas Morrison, poète américain. Accessoirement, il veut bien rechanter avec les Doors, mais en toute humilité. C'est ainsi que le groupe enregistre l'un de ses meilleurs albums, Morrison Hotel, un disque de pur rhythm'n'blues, avec le très âpre « Roadhouse Blues ». En août 1970, les Doors se produisent au festival de l'île de Wight. Morrison déclare que c'est la dernière fois qu'on le voit sur une scène. Physiquement, sa métamorphose est étonnante : l'alcool lui a épaissi la silhouette et les traits, le regard est embrumé, une barbe lui envahit le visage. Comme pour mieux marquer la mort de l'éphèbe dionysiaque.

Drogué, alcoolique, Morrison tente désespérément de se ressaisir. Il signe un accord avec la MCM pour tourner l'adaptation d'une pièce de son ami McClure, The Adept. Il s'occupe de la publication de son second recueil de poèmes, The Lords. Le double album Absolutely Live sort en septembre 1970, fruit d'un concert enregistré en janvier à New York, comprenant une version étirée de « Celebration Of The Lizard ». En novembre, Morrison entre en studio pour la dernière fois avec le groupe augmenté du contrebassiste Jerry Scheff et du guitariste Marc Benno afin d'enregistrer l'album L.A.Woman. Puis il disparaît, désireux de fuir à tout jamais son statut de pop star. Accompagné de sa femme, Pamela, il voyage en Espagne, puis en France, se fixant à Paris en mars 1971, ne songeant plus qu'à écrire de la poésie. Le magnifique L.A.Woman sort en juin, précédé du simple « Love Her Madly », avec le crépusculaire « Riders On The Storm ». Quelques semaines plus tard, après une nuit passée dans une boîte où il aurait pris une overdose, Monison est ramené chez lui puis couché dans une baignoire où on le retrouve mort. L'enquête conclut à une défaillance cardiaque. « Je ne peux pas dire que je regrette ce que j'ai connu », avait déclaré Morrison quelque temps auparavant, « mais, s'il avait fallu recommencer, je crois que j'aurais choisi l'itinéraire tranquille de l'artiste qui travaille dur dans son jardin. » Le mythe rejoint Morrison. Il est enterré au Père-Lachaise, qui devient aussitôt un lieu de pèlerinage.

Les Doors annoncent en novembre 1971 leur décision de continuer en trio. Leur première tentative, Other Voices, semble encourageante. Mais l'album suivant, Full Circle, en 1972, réunit tous les clichés de la musique progressive de l'époque. Krieger et Densmore restent ensemble et reforment un groupe éphémère autour du chanteur Jess Roden. Manzarek enregistre deux albums solo, marqués par la présence de rythmes africains, dont l'un bénéficie de la présence de Patti Smith. Il produira par la suite plusieurs albums du groupe californien X, collaborera avec Iggy Pop, puis avec le compositeur Philip Glass, avec qui il signera l'album Carmina Burana en 1983. En 1978, on découvre un poème de Morrison enregistré par lui le 8 novembre 1970, jour de son vingt-septième anniversaire. Les trois Doors se réunissent pour y ajouter un fond sonore atmosphérique : l'album sort à la fin de l'année sous le titre d' An American Prayer. Francis Ford Coppola utilise cette année-là « The End » pour illustrer une scène de son film Apocalypse Now. Quatre ans plus tard, on redécouvre les bandes de divers concerts des Doors qui aboutissent à la parution du live Alive She Cried. En 1991, le réalisateur Oliver Stone tourne une fiction sur les Doors, avec l'acteur Val Kilmer dans le rôle de Jim Morrison. Mystification hollywoodienne, le film rencontre l'accueil enthousiaste d'un très jeune public qui se passionne à nouveau pour cette musique dont la magie est restée unique. Fin 1997, Krieger, Manzarek et Densmore ont réuni un coffret de quatre CD, Box Set, et orchestré, à la façon des trois Beatles survivants pour « Free As A Bird », « Orange County Suite », une chanson inédite enregistrée par Jim Morrison au piano en 1970.