Suite de la biographie de Jimi Hendrix

Hendrix, au casque frisé flamboyant et aux tenues extravagantes sorties de Carnaby Street, fait la une de la presse musicale anglaise. Il joue sur une Gibson Flying V triangulaire, couverte de dessins psychédéliques, comportant un accès aux cases aiguës du manche, plus aisé pour un gaucher, James Marshall, un constructeur d'amplificateurs chez qui Mitchell travaille, lui fournit son matériel. Sur scène, Hendrix utilise surtout des effets du fuzz, un phaseur Uni-Vibe, une pédale wah-wah Vox, un baffle « tournant » Leslie et un octaveur Octavia Roger Mayer. Un premier 45 tours, « Hey Joe », paraît en décembre 1966. Puis un passage à l'émission télévisée « Ready Steady Go ! » lance « Hey Joe » qui monte au n°6 des ventes britanniques. Avec la complicité du publiciste des Who Keith Altman, Hendrix est lancé comme un « sauvage » incontrôlé ; en quête de publicité, managers et agents lui suggèrent de mettre le feu à sa guitare pour le premier soir de la tournée où il accompagne les Walker Brothers, Engelbert Humperdinck et Cat Stevens. L'événement lance son second 45 tours, le blues psychédélique frénétique « Purple Haze », « The Wind Cries Mary », une compositions nuancée et sensible, accompagne le lancement du premier album, Are You Experienced ? (1967), un disque en tout point extraordinaire, avec les virevoltants « Foxy Lady » et « Manic Depression », le blues « Red House », « Can You See Me » et l'incendiaire « Fire ». Son impact sera incalculable. Hendrix est lancé aux Etats-Unis grâce à un passage au festival de Monterey (Californie) en juin 1967.

Jimi Hendrix sera alors soumis à une pression qui ne se relâchera jamais, et qui le stimulera avant de le détruire. Lance par les anglais, soutenue par Paul McCartney, sa carrière s'envole aux Etats-Unis. Il est invité en première partie des Monkees, adaptation américaine des Beatles pour un public d'enfants, abandonnant vite la partie devant des réactions hostiles. A New York, il enregistre un 45 tours, « Burning Of The Midnight Lamp », à la fameuse partie de guitare wah-wah. Là-bas, une vieille connaissance, Sam Chalpin, se rappelle à son bon souvenir : imprésario de Curtis Knight, il avait fait signer à Hendrix en 1965 un contrat de 1 dollar et entend récupérer sa mise, désormais considérablement multipliée. Pour le calmer, Hendrix enregistre à nouveau avec Curtis Knight ; il utilise la pédale wah-wah pour « Hush Now », « The Ballad Of Jimi » ou une basse de huit cordes en fuzz pour « Flashing » et « Day Tripper ». De retour en Angleterre, Hendrix tourne en novembre 1967 avec The Move Eire Apparent (un groupe irlandais dont il produira l'unique album), The Nice de Keith Emerson, Amen Corner, Pink Floyd et Outta Limits Réunissant des titres enregistrés lors des séances du premier album et d'autres où l'Experience a eu plus de temps en studio pour expérimenter, Axis : Bold As Love (1967) contient le classique « Little Wing » mais aussi « Up From The Skies, « Wait Until Tomorrow, « If 6 Was 9 ».

La phase la pus créative et passionnante de la musique de Hendrix se situe durant cette période, où il souhaite s'éloigner de la structure étriquée du trio. Inspiré en permanence (les drogues y contribuent), enregistrant quand ça lui chante avec qui il veut au Record Plant de New York (alors le studio le plus sophistiqué), il réalise seul ses maquettes avec des musiciens amis comme le batteur Buddy miles, Steve Winwood, le bassiste Jack Cassady de Jefferson Airplane et l'organiste Al Kooper. Il se frictionne souvent avec Noel Redding, qui obtient de haute lutte de placer des compositions personnelles pour ce qui reste le chef-d'œuvre de Hendrix, le double album Electric Ladyland (1968). Libéré de Chandler (mais encore lié à son associé Jeffery), Hendrix expérimente en studio, manipulant les bandes e cherchant des sonorités nouvelles. Chacun connaît le long blues « Voodoo Chile » avec Cassady à la basse et Winwood à l'orgue, sa version extraordinaire d' « All Along The Watchtower » de Dylan où, comme dans le fameux « Crosstown Traffic », la fluidité et le changement constant des rythmes, le phrasé chanté-parlé, entre jazz et psychédélisme, annoncent une nouvelle musique. Au Record Plant, puis au nouveau studio construit pour lui par son imprésario (qui y engloutira une fortune), l'Electric Lady, il improvise avec le jeune John McLaughin (mais pas Miles Davis qui réclamait une trop grosse avance) et Dave Holland, puis Larry Young ; il accueillera aussi Johnny Winter, accompagné de Stephen Stills à la basse et dallas Taylor à la batterie pour le blues « The Things We Used To Do ». L'Experience vit alors ses derniers mois : après deux concerts d'adieux en février 1969 à Londres, le trio honore des contrats jusqu'à l'été. Mais Hendrix est déjà ailleurs

En véritable musicien de jazz, Hendrix souhaite développer ses improvisations, au détriment des procédés parfois proches du cirque qu'il a dû exécuter sur scène pour attirer les foules. Il cesse bientôt de jouer avec les dents, entre ses jambes, de brûler à chaque fois sa guitare sur scène, de défoncer comme les Who ses amplis à coups de guitare, d'agiter sa langue pendant ses solos et d'accomplir diverses acrobaties. Il consomme alors toutes sortes de drogues psychotropes et alcaloïdes qu'on lui fournit sans interruption, abuse de l'alcool, et sa santé physique se dégrade. Son vieil ami Billy Cox, au style de basse plus funky et jazzy, prend définitivement la place de Redding. A Woodstock ; où l'histoire retiendra sa version à la Coltrane de « The Star-Spangled Banner », l'hymne national américain, il est accompagné de Mitch Mitchell, mais aussi du guitariste Larry Lee et des percussionnistes Jerry Velez et Juma Sultan. Toujours contraint par des décisions judiciaires rendues en faveur de Chalpin, Hendrix s'engage à publier en disque un concert qu'il doit donner le 31 décembre 19/69 au Fillmore East de New York. Mitchell est alors accaparé par Jack Bruce. Sous le nom de Band Of Gypsys, Hendrix monte sur scène avec Billy Cox et Buddy miles. L'album tiré du concert, publié en mai 1970, Band Of Gypsys, ne contente guère Hendrix, qui juge avoir été souvent désaccordé, mais comporte le puissant « Machine Gun », au contenu très antimilitariste. Il a alors plusieurs projets, dont une collaboration avec Gil Evans, arrangeur de Miles Davis. Son imprésario le fait jouer avec Cox et Mitchell à l'île de Maui pour un projet de film. Sa nouvelle musique est mal accueillie par le public. Après un passage mitigé au festival de l'île de Wight, Hendrix doit annuler des concerts prévus (on a versé, paraît-il, du LSD dans le verre de Cox). Il séjourne à Londres, où Chalpin continue à lui envoyer des huissiers. Il y improvisera avec Eric Burdon et son nouveau groupe War, des noirs californiens, jouant « Tobacco Road » et « Mother Earth » la nuit de sa mort. De retour de cette fête où il a beaucoup bu, il se couche en se bourrant de somnifères. Il mourra durant son transport en ambulance, étouffé par ses vomissures que les calmants l'ont rendu incapable d'expulser.

L'impact suscité par la mort de Jimi Hendrix à 27 ans est considérable. Elle intervient un an après celle se son ami Brian Jones, un mois avant celle de Janis Joplin. A peine 9 mois plus tard, Jim Morrison des Doors disparaît à son tour. Les quatre héros seront longtemps réunis dans les esprits romantiques.

Hendrix aura une importante discographie posthume. The Cry Of Love (1971), supervisé par Mitchell et l'ingénieur du son Eddie Kramer, réunit les ébauches de studio et permet de découvrir le merveilleux « Angel », ainsi que « In From The Storm » avec Ronnie Spector comme choriste. Loose Ends (1973), épuisé ,Crash Landing et Midnight Lightning (1975) sont tirés par Alan Douglas des six cent heures d'enregistrements laissés par Hendrix. Dans ces deux derniers albums, celui-ci a presque systématiquement effacé les interventions des musiciens autres que Hendrix et engagé des musiciens de séances comme Jeff Mironov, Bob Babbitt et Alan Scwartzberg pour rendre les titres plus exploitables. Nine To The Universe (1980) comprend des improvisations de 1969 en vue d'un double album alors projeté, avec notamment l'organiste Larry Young. De nombreux disques live envahissent aussi le marché peu après sa mort : Experience (1971) ; qui contient de nombreuses et excellentes chutes de studio et Hendrix In The West (1972), assemblage de divers concerts, dont Berkeley et l'île de Wight. Plus récemment, Jimi Hendrix Plays Monterey (1986) présente l'intégralité de sa prestation de 1967 et le très bon Live At Winterland (1987) présente un concert enregistré à San Francisco en 1968. Ces albums en public font découvrir de nombreuses reprises : « Sgt Pepper », « Hound Dog », « Can You Please Crawl Out Your Window », « Like A Rolling Stone, « Sunshine of Your Love »… En 1988, Radio One rend disponible l'essentiel des séances de l'Experience radiodiffusées en 1967. En 1991, le coffret de quatre CD Stages réunit quatre concerts. En 19994, Blues dévoile d'éblouissants enregistrements inédits, avec des reprises d'Albert King et Muddy Waters. En 1997, Al Hendrix, le père du musicien, a récupéré les droits des enregistrements de son fils. Après avoir réédité les albums de l'Experience, il a tenté de reconstituer le projet de l'ultime double album inachevé de 1969, First Rays Of The New Rising Sun, un ensemble passionnant, dont les pièces ont été éparpillées sur différents albums posthumes, auquel se joint un album de prises plus rares, South Saturn Delta (1997). Au sein d'une bibliographie également impressionnante, on citera A Biography (Chris Welch, 1972), ‘Scuse Me While I Kiss The Sky (David Henderson, 1978), The Hendrix Experience (Mitch Mitchell, 1990), Are You Experienced ? (Noel Redding, 1990), A Visual Documentary (Tony Brown, 1922), sans oublier Crosstown Traffic (Charles Shaar Murray, 1989) et la biographie définitive de Caesar Glebbec,Electric Gypsy (1990).

Guitar hero indépassable, Hendrix reste le symbole de virtuose de la guitare. Il a été le premier à introduire de nombreuses innovations techniques et conceptuelles qui ont renouvelé de fond en comble l'approche de cet instrument, multipliant vite par cent puis mille les ventes de la Stratocoaster de Fender, la guitare électrique la plus vendue depuis son règne. Il fut en outre la première superstar noire du rock, qu'il propulsa dans sa phase la plus créative, aidant cette musique à se libérer de ses complexes. Il scella aux Etats-Unis la rencontre et la fusion des cultures africaine et européenne. De même que le jazz n'a jamais surpassé John Coltrane, le rock moderne n'a jamais surpassé Hendrix. Après lui, il n'atteindra plus les mêmes sommets de créativité et son langage s'appauvrira. Qu'un garçon mort à 37 ans ait eu l'intuition fulgurante de tous les langages futurs du rock en si peu d'années explique pour beaucoup la puissance toujours immense de son mythe.