Joni Mitchell MITCHELL, Joni (Roberta Joan Anderson) : chanteuse et guitariste de folk, country, rock et jazz canadienne, 1967. Née le 07.11.1943 à Fort McLeod (Canada).

Cette chanteuse canadienne, lancée dès la fin des années 60, est l'une des musiciennes les plus importantes de sa génération. Elle a été l'une des premières, avant Paul Simon et Peter Gabriel, à mêler sa musique, dominée par le jazz, des sonorités africaines et latines, anticipant la world music. Admirée de tous, de Miles Davis à Prince, en passant par Charlie Mingus, Jimi Hendrix, Bob Dylan et Keith Richards, elle a collaboré avec les plus grands musiciens de jazz et de rock des années 70 et 80 : Jaco Pastorius, les Crusaders, Steve Lukather, Wayne Shorter, Pat Metheny mais aussi NeilYoung, Tom Petty et Peter Gabriel. Son écriture personnelle et frémissante a ouvert la voie à toute une génération d'auteurs féminins, de Patti Smith à Björk, en passant par P.J. Harvey.

Fille unique, elle grandit à Saskatoon, dans le Saskatchewan. Son père est un ancien pilote de chasse reconverti dans le commerce et sa mère est enseignante. Frappée dans son enfance par la poliomyélite, elle se réfugie très jeune dans la musique et apprend seule la guitare d'après un manuel écrit par Pete Seeger. Après des études d'art à Calgary, dans l'Alberta voisin, où elle s'initie à la peinture, elle part vivre à Toronto où elle commence à chanter dans le circuit folk s'accompagnant à la guitare. Elle épouse en 1965 le chanteur Chuck Mitchell, dont elle conserve le nom (mais pas l'enfant). Ils se produisent en duo dans les cafés et les clubs folk, vivant un temps à Detroit (Michigan), où elle est repérée par Tom Rush, qui s'empare aussitôt de deux chansons de son jeune répertoire, « Urge For Going » et « The Circle Game », qui inspirera à Neil Young son propre « Sugar Mountain ». Judy Collins reprend ensuite « Michael From Mountains » et « Both Sides Now » pour son album Wildflowers, faisant un classique de la seconde.

En 1967, bien que Joni Mitchell n'ait enregistré que des maquettes, sa réputation grandit. Divorcée, elle s'installe à New York, où elle se produit un temps seule dans les clubs de Greenwich Village, s'accompagnant à la guitare et au dulciner. Après un séjour à Londres sous la protection de Joe Boyd, l'américain qui découvrira Pink Floyd et le folk-rock anglais, elle rencontre David Crosby, qui devient son amant. C'est sur ses conseils que le musicien californien introduit l'accordage de la guitare en open tuning. A la manière des jazzmen, dans le folk-rock californien. Elliott Robert, qui deviendra son imprésario, lui obtient alors un contrat chez Reprise. Crosby produit son premier album, Songs To A Seagull (1968), scindé en deux faces distinctes, I Came To The City et Out Of The City And Down To The Seaside : il contient un petit succès, « Night In The City », où son folk à la poésie très imagée est proche du rock. Clouds (1969) confirme son talent d'auteur et la qualité douce et cristalline de sa voix, très différente de celle des deux reines du folk de l'époque, Joan Baez et Judy Collins.

Installée à Los Angeles, Joni Mitchell servira de catalyseur à la naissance du folk-rock californien : c'est chez elle que Crosby, Stills & Nash chantent ensemble pour la première fois, et devant son bungalow de Laurel Canyon qu'est prise la photo de la pochette du premier album historique du trio. Elle écrit « Hey Willy » pour Graham Nash, qui composera pour elle en retour « Our House ». Ladies Of The Canyon (1970) contient de nombreux titres emblématiques de cette « famille » californienne : « Woodstock », hymne de Crosby, Stills, Nash & Young, « Big Yellow Taxi », repris par Bob Dylan, « For Free », chanté par les Byrds et « The Circle Game », qu'interprétera Buffy Sainte Marie. L'introduction d'un piano apporte une variété bienvenue à ce son spartiate. Blue (1970) sera le premier chef-d'œuvre de Joni Mitchell. L'instrumentation est légèrement plus fournie, l'interprétation moins raide, et la voix de Joni Mitchell, toujours aussi pure et suave, a une palette plus étendue : son vibrato descend désormais très bas dans les graves. Quant à l'écriture, elle a franchi un palier. Eloignée de tout sentimentalisme, la chanteuse analyse non seulement les affaires du cœur, mais aussi les questions sociales et humaines avec acuité, d'un point de vue inédit, exclusivement féminin : tout un imaginaire jusque-là ignoré par la chanson folk, apparaît, où l'hiver, la glace, la neige, l'eau, les images de glissades, le voyage, la dérive remplacent les habituelles métaphores sexuelles masculines. « Carey », « California », « River » et « Blue », écrit lors d'un séjour et d'une tournée en Europe avec Jackson Browne, deviennent des classiques. C'est alors que Rolling Stone publie une carte du tendre qui relie ses chansons à ses amants successifs : David Crosby et Stephen Stills (« Troubled Child »), Graham Nash (« Hey Willy »), Neil Young, James Taylor (« My Old Man »), Leonard Cohen et le batteur John Guerin. Elle n'aura qu'un commentaire, laconique : « J'ai le sentiment de n'être mariée qu'à mon art. »

Pour For The Roses (1972), qui arbore une phot d'elle nue (de dos), Joni Mitchell dévoile qu'elle est désormais familière du rock et de ses instruments. Ce disque lui apportera un tube, « You Turn Me On, I'm A Radio » et révélera son interprétation d'une délicatesse inouïe de ces deux classiques de la confidence intime que sont « Long Ago And Far Away » de James Taylor et « Another Sleep Along » De Graham Nash. Joni Mitchell atteindra la plénitude de son talent avec Court And Spark (1974), l'album le plus rock de sa carrière et qui la conduira au n°1, avec pas moins de trois tubes : « Help Me », « Free Man In Paris » et « Raised On Robbery ». Sa musique a acquis une richesse mélodique et harmonique doublée d'une fluidité remarquable, et les arrangements de Tom Scott et des Crusaders sont délicieux Son étude des sentiments humains est d'un niveau qui en fait cette fois l'égale des plus grands auteurs du rock, comme Lou Reed, Leonard Cohen, Paul Simon et Bob Dylan. Le double live Miles Of Aisles (1974), où elle est accompagnée par le rock jazzy et sinueux du L.A. Express de Tom Scott, où figurent Robben Ford et John Guerin, témoigne de sa nouvelle aisance sur scène.

Joni Mitchell poussera loin l'esprit d'aventure avec The Hissing Of Summer Lawns (1975), dont Prince a dit qu'il était son album préféré. Elle y introduit de nouveaux éléments issus du jazz et de ce qu'on n'appelle pas encore la world music, comme les tambours du Burundi. Sa critique d'une société américaine assoupie dans son confort y annonce la révolte punk, ainsi d'ailleurs que la récession. Cet album n'aura pas le même succès commercial que Court And Spark, mais apparaîtra régulièrement au sommet des listes des « meilleurs albums des années 70. Habituée des grands festivals, même si elle a manqué Woodstock en 1969, Joni Mitchell participe alors à la « Rolling Thunder Revue » de Bob Dylan et au film qui est en tiré, Renaldo And Clara . A propos de Dylan, elle écrira d'ailleurs « Mystery Man », un titre offert à Roger McGuinn. Hejira (1976) poursuit la recherche d'une musicalité encore plus grande grâce à la basse fretless de Jaco Pastorius et la guitare de Larry Carlton. Ce disque dénudé jusqu'à la froideur a une beauté singulière qui éloigne Joni Mitchell des hit-parades et la rapproche de ce jazz qui l'attire tant. Elle franchit le pas avec le double Don Juan's Reckless Daughter (1977) où apparaissent Wayne Shorter et Airto Moreira et où certaines compositions occupent presque une face entière. Charlie Mingus fait alors appel à elle pour qu'elle écrive des paroles sur quelques-unes de ses mélodies. Il ne vivra pas assez longtemps pour entendre le résultat final, Mingus (1979), un disque qui coupe définitivement Joni Mitchell de sa base de fans, tout en lui valant respect et admiration chez musiciens et critiques. Un nouveau double album live, couplé à un vidéodisque, vient clore magnifiquement cette période de progression artistique, Shadows And Light (1980) avec Pat Metheny et Jaco Pastorius.

Mariée au bassiste Larry Klein, Joni Mitchell semble se détourner quelque peu de la musique. Elle se met alors sérieusement à peindre (jusque-là, elle signait surtout ses pochettes). Lorsqu'elle revient avec Wild Things Run Fast (1982), son style mélodique s'est un peu alourdi, ses arrangements ont perdu la luminosité d'antan et ses textes, s'ils rentent d'un très haut niveau, n'ont plus l'intimisme ni l'universalité qui en firent la plus grande parolière de sa génération, ce qui amènera Chrissie Hynde des Pretenders s'exclamer : « Où es-tu, Joni, nous avons tant besoin de toi ? ». Dog Eat Dog (1985), réalisé par Thomas Dolby, auquel participent, outre Shorter et James Taylor, Michael McDonald, aura la même lourdeur. Pour Chalk Mark In A Rainstorm (1988), elle invite une pléiade de chanteurs dont certains sont inattendus : Peter Gabriel, Don Henley, Tom Petty, mais aussi Willie Nelson, Billy Idol et Wendy & Lisa. Comme le plus acoustique Night Ride Home (1991), ces albums à la tonalité amère et pessimiste, parfois vindicative, contiennent tous des passages réussis. Joni Mitchell semble à ce stade dépassée par ses héritières : Rickie Lee Jones, Suzanne Vega et bientôt Tori amos. Il faudra attendre Turbulent Indigo (1994), un disque acoustique et dénudé, pour entendre Joni Mitchell retrouver la grâce de ses meilleures années avec des morceaux comme « Sexy Kills » ou « How Do You Stop ». Rappeurs et remixeurs sont nombreux à lui rendre hommage, puisant largement dans son « Big Yellow Taxi ». La chanteuse lutte alors avec succès contre le cancer et retrouve Kilauren Gibb, la fille qu'elle avait abandonnée aux service sociaux. Pleine d'ironie vis-à-vis de l'industrie du disque, elle insiste pour que sa compilation Hits (« succès ») en 1996 soit accompagnée d'un Misses (« échecs ») équivalent. Le premier est indispensable, le second permet d'entendre le meilleur de ses albums des années 80 et 90, souvent négligés. Elle a publié en été 1998 un nouvel album, Taming The Tiger, qu'elle a promu en chantant en première partie de Bob Dylan.