Phil Ochs OCHS, Phil : chanteur et guitariste de folk et folk-rock américain, 1963-1976. Né le 19.12.1940 à El Paso (Texas). Mort le 15.04.1976 à Far Rockaway (New York).

Issu du circuit de la protest-song new yorkaise d'où vient Bob Dylan, il a été un compositeur incisif et un interprète émouvant. Il s'est suicidé à l'âge de trente-cinq ans.

Fils d'un père médecin d'origine russo-polonaise et d'une mère écossaise, il grandit dans l'Ohio avant de se fixer dans le quartier du Queens à New York. Il suit des cours à l'Académie militaire de Staunton, puis des études de journalisme à l'Ohio State University de Columbus. Il chante à Cleveland avant de se lancer en 1961 à New York, la même année que Dylan, dans le circuit folk de Greenwich Village, parrainé par le chanteur folk Bob Gibson. Il se produit au cours des hootenannies, avec ou sans Jim Glover, son partenaire au banjo dans les Sundowners comme les Singing Socialists, interprétant les dizaines de chansons qu'il a écrites, « inspirées », selon ses dires, « par Newsweek et Mozart ». Soucieux de son image (il s'est fait raboter le nez et porte des verres de contact), il se veut un « journaliste chantant », un Woody Guthrie des temps modernes mâtiné d'Elvis Presley. Guthrie lui a inspiré son premier chef d'œuvre, « Power And The Glory », hymne à l'Amérique des pionniers, nouveau « This Land Is Your Land ». Après lui avoir rendu visite, comme Dylan, à l'hôpital, il compose en son honneur « Bound For Glory », comme Dylan l'avait fait avec « Song For Woody ». Un large public le découvre au festival de Newport en 1963, où il se produit sur une scène annexe, alors que Joan Baez, Bob Dylan, Peter, Paul & mary et Pete Seeger font résonner leurs chansons engagées à travers tous les Etats-Unis.

Le nom de Phil Ochs est vite sur toutes les lèvres, et le jeune public étudiant adore ses plaidoyers enflammés en faveur des droits civiques (« Too Many Martyrs », à la mémoire du militant noir Medgar Evers, « Talking Birmingham Jam »). Pour les militants de la cause antiségrégationniste, il est un second Dylan, un autre nouveau Guthrie, rappelant à l'Amérique les principes inscrits dans la Constitution. Ses chansons sont publiées dans le magasine Broadside, aux côtés de celles de Dylan et de Seeger. Engagé chez Elektra après un passage remarqué au Gaslight, il enregistre en février 1964 All The News That's Fit To Sing, jeu de mots sur la devise du New York Times (All The News That's Fit To Print, « toutes les nouvelles qui méritent d'être publiées »). C'est l'album type de l'époque, celui d'un commentateur de l'actualité, version américaine des chansonniers français. Connu pour son trac et sa propension à accélérer le tempo sous l'effet du stress, Phil Ochs est peut-être un instrumentiste limité, mais il est un chanteur émouvant, à la voix stylisée comme celle de son modèle country Faron Young, accompagné à la seconde guitare par Danny Kalb, futur membre de The Blues Project. On retrouve sur cet album l'intégralité de son répertoire scénique, ainsi qu'une adaptation d'un poème d'Edgar Poe, The Bells, qui en fait le premier artiste de sa génération à s'attaquer à la poésie classique.

Unique rival de Dylan, auquel les plus radicaux tenteront de l'opposer, il prendra toujours sa défense lorsque celui-ci abandonnera la lutte politique pour l'existentialisme, puis, seconde « trahison », le folk pour le rock. Héros du festival 1964 de Newport, la Mecque du folk, Ochs se multiplie dans les manifestations politique, à New York, Washington et dans tout le Sud, enregistrant son deuxième album de protestataire, I Ain't Marching Anymore, sans la moindre ambition commerciale : « le seul fait que vous n‘entendrez jamais ces chansons à la radio justifie à lui seul que je les écrive », annonce-t-il dans un texte imprimé sur la pochette. Reportage au cœur de la révolution en marche, I Ain't Marching Anymore est la suite logique d' All The News That's Fit To Sing, avec ses virulents appels à la désertion (« Draft Dodger Rag » et la chanson-titre) et à l'insurrection (« Here's To The State Of Mississippi »). Joan Baez lui offre alors ce qui restera l'unique tube de sa carrière d'auteur-compositeur avec sa version de « There But For Fortune », que Françoise Hardy adaptera en français sous le titre d' « Où va la chance ? ». Après une tournée en Grande-Bretagne et deux passages en vedette au Carnegie Hall, il publie Phil Ochs In concert, entièrement composé de nouvelles chansons, qui témoignent de son humour et de son sens de la dérision (parfois dirigés contre son propre camp, « Love Me, I'm A Liberal », « When I'm Gone »), de son sens poétique (« Changes », une chanson dont on comprend mal comment elle n'est pas devenue un standard), autant que son engagement, jamais renié. Ses chansons sont introduites par de longs monologues narratifs qui inspireront, une décennie plus tard, Bruce Springsteen.

Au sommet de sa popularité et de son influence, Phil Ochs décide d'émigrer en Californie où se trouvent sa femme, sa fille, on frère et ses nouveaux amis, les contestataires Jerry Rubin et Paul Krassner, et surtout son nouveau label A & M. C'est là qu'il va enregistrer son meilleur album de chansons, parfois gâché par des arrangements plus ambitieux que pertinents, l'étonnant Pleasures Of The Harbor (1967). En plus de la romantique chanson-titre, du niveau d' « Amsterdam » de Jacques Brel, on y trouve les épiques « Flower Lady », que les Byrds enregistrèrent sans jamais la publier, « Crucifixion », son chef d'œuvre, long poème lyrique dédié à la mémoire de John Kennedy, qui fit fondre en larmes son frère Robert un jour que Phil Ochs le lui interpréta a capella ; ainsi que son unique modeste succès d'interprète, l'ironique et autocritique « Outside A Small Circle Of Friends », un titre qui aurait pu grimper dans les hit-parades q'il n'avait pas été interdit d'antenne cause d'un passage litigieux alléguant que Smoking marijuana is funnier than drinking beer.

Après les assassinats consécutifs de Martin Luther King et de Robert Kennedy (qu'il idolâtrait) au printemps 1968, Phil Ochs est effondré. Tape From California (1968), l'album presque rock qu'il enregistre au même moment, reflète sa désillusion, et son inquiétude face à un avenir où le Grand Soir ne s'annonce plus. Les treize minutes de « When In Rome » comparent l'Amérique à l'Empire romain, dont l'assassinat de César marquait le début du déclin : « La moitié du monde est folle et l'autre terrorisée », chante-t-il alors. Le 28 août, à la Convention démocrate de Chicago, Ochs chante « I Ain't Marching Anymore » avec les manifestants rameutés par les agitateurs yippies (hippies révolutionnaires), Jerry Rubin et Abbie Hoffman. C'est le moment que choisit la police de Chicago pour charger, tabassant et arrêtant des centaines de personnes en direct à la télévision. Le soir, en voyant le reportage aux informations, Phil Ochs fond en larmes : la révolution est terminée. Sa déception, ses rêves envolés, son idéal perdu, son amertume de n'être pas devenu une superstar comme Dylan ou les groupes de rock qu'il adore, les Beatles et les Rolling Stones, s'expriment dans l'album suivant paru en 1969, au titre explicite : Reherseals For Retirement. Sur la pochette, une tombe, la sienne. A l'intérieur, des chansons au désespoir abyssal, sauvées par un sens acéré du sarcasme, comme « I Kill Therefore I Am ».

Pourchassé par le FBI, abandonné par ses anciens amis, il cherche alors à se rapprocher des goûts de la classe ouvrière après avoir vu Elvis Presley à Las Vegas. Avec ironie, il intitule son album de nouveautés suivant Phil Och's Greatest Hits (1970), parodiant, en sous-titre, le nom d'un célèbre disque du « King » : 50 Phil Ochs fans cannot be wrong. Mêlant comme Elvis Presley country et soul sous la direction de Van Dyke Parks et avec la participation de Ry Cooder, James Burton et Clarence White des Byrds, il va jusqu'à apparaître sur la pochette (et sur scène) dans le même costume lamé d'or d'Elvis à l'International Hotel. Malgré quelques réussites patentes, Greatest Hits sera largement incompris. Une dernière apparition de Phil Ochs dans sa salle fétiche, le 27 mars 1970, donnera lieu à une bataille d'Hernani, certains de ses admirateurs se montrant enragés de l'entendre reprendre les « réactionnaires » Elvis Presley, Buddy Holly, Conway Twitty et Merle Haggard. L'album de la soirée, Gunfight At Carnegie Hall (1970) ne trouvera de distribution qu'au Canada.

Sa carrière discographique terminée, Phil Ochs descendra dans une spirale infernale, cédant aux pilules, à l'alcool et à la dépression. Les cinq dernières années de sa vie le voient voyager en Europe, en Amérique du Sud, en Afrique, en Extême-Orient, à la recherche de nouveaux engagements politiques. Emprisonné en Uruguay puis en Argentine par les polices des juntes militaires locales, il retrouvera un semblant d'enthousiasme à l'occasion de la campagne présidentielle de 1972, où il soutient le démocrate George McGovern, notamment à travers sa nouvelle version de « Here's To The State Of Mississippi », rebaptisée « Here's To The State Of Richard Nixon ». Il rencontre John Lennon, renoue avec Bob Dylan et enregistre un nouveau simple pour A & M. La cuisante défaite de McGovern face à Nixon et le départ de sa compagne rejettent Ochs dans le chaos. Il part alors en Afrique, traversant l'ouest du continent ; sur une page de Dar es-Salaam (Tanzanie), il est attaqué par trois hommes qui le volent, l'étranglent et le laissent pour mort. Ses cordes vocales sévèrement endommagées, sa carrière est virtuellement finie. Phil Ochs assurera pourtant encore la première partie de Patti Smith. Il organise un concert pour les réfugiés chiliens auquel participe Dylan, puis un autre pour la paix dans Central Park, où Joan Baez vient chanter « There But For Fortune » avec lui. Mais il est trop tard. Clochardisé, Phil Ochs, qui se fait alors baptiser John Train, rencontre Dylan dans le Village, mais ne sait pas, par maladresse, profiter de l'offre qui lui est faite de se joindre à la « Rolling Thunder Revue ». Le 9 avril 1976, vers dix heures du matin, armé de sa ceinture et d'une chaise, à 35 ans, il se pend dans sa cuisine. Ses cendres ont été dispersées depuis le poste de la Reine du château d'Edimbourg au son d'un orchestre de cornemuses. Par la suite, des groupes punk comme The Clash et X se sont réclamés de sa virulence et de son engagement fervent et contagieux.