Roy Orbison ORBISON, Roy : chanteur, guitariste et compositeur de rock'n' roll, country et pop américain, 1956-1988. Né le 23.04.1936 à Vernon (Texas). Mort le 06.12.1988 à Hendersonville (Texas).

Considéré par Elvis Presley comme son unique rival vocal, ce texan fut le plus grand (peut-être le seul) chanteur romantique de l'histoire du rock. Son baryton dit léger qui pouvait monter jusqu'au ténor d'un chanteur d'opéra, sa personnalité à la dignité naturelle, timide et généreuse, les thèmes désespérés de ses chansons, ont concouru à faire de lui un des interprètes les plus singuliers et hors du commun de la musique populaire de notre temps, toutes catégories confondues. Sa vie, marquée par une série de tragédies, s'est achevée brutalement par une crise cardiaque, alors qu'il était sur le point de revenir au premier plan.

Né sur la « Chisholm Trail », dans une ville du nord du Texas, il est le fils d'un mécanicien qui a gravi les échelons dans l'industrie du pétrole. La famille est d'abord fixée à Fort Worth. Il reçoit sa première guitare à 6 ans et prend l'habitude de chanter avec ses oncles et cousins, musiciens professionnels. Il fait ses débuts à la radio à 8 ans. Il découvre Lefty Frizzell qui l'impressionne beaucoup mais aussi les chanteurs noirs de blues et rhythm'n' blues. Installé dans l'ouest de l'état, non loin du Midland, il anime en 1954 les Wink Westerners, qui reprennent Frizell et Hank Williams. Etudiant en géologie à la North Texas State University de Denton, il découvre Elvis Presley sur scène à Dallas en 1954. Il est très choqué. Avec les Wink Westerners devenus les Teen Kings, il apparaît régulièrement dans un programme télévisé à Odessa avant d'enregistrer, comme Buddy Holly, au studio de Norman Petty à Clovis, « Ooby Dooby », une chansons composée par deux camarades à l'université. Ce titre, publié par le label local Je-Wel, obtient un succès régional qui lui offre un contrat avec les disques Sun de Sam Phillips à Memphis. Orbison réenregistre « Ooby Dooby » ainsi que « Go Go Go », qui deviendra « Down The Line », enregistré par Jerry Lee Lewis.

Orbison n'était pas vraiment taillé pour le rock'n' roll : « je suis un chanteur de ballades », ne cessait-il de répéter à Sam Phillips qui, lui, voulait un nouveau Carl Perkins. Sur scène, entouré de ses Teen Kings (des écoliers habillés comme des musiciens de bal country), Orbison faisait ce qu'il pouvait, se déhanchant comme un possédé (possédé par la honte de se comporter comme un singe savant). Le succès d'« Ooby Dooby » le décontenança tellement qu'il cessa de se produire comme interprète (il avait aussi crée « Rockhouse » de Conway Twitty, devenu un standard de rockabilly) et fit route à Nashville, où il s'employa à écrire pour d'autres artistes. Nashville était la ville adoptive des Everly Brothers, pour lesquels Orbison composa le tube « Claudette », du nom de sa jeune épouse. Il avait aussi écrit quelques chansons plus modestes pour Buddy Holly et ses Crickets ; bref, le succès de ses compositions, sa carrière de chanteur semblait être passée au second plan pour de bon. Rien ne pouvait laisser deviner le succès colossal d'« Only The Lonely » en 1960. Orbison avait signé un contrat d'enregistrement avec Monument, une compagnie que venait de monter le producteur Fred Foster. Avec un certain Joe Melson, son partenaire d'écriture, il avait, sur le conseil de Foster, rafistolé deux chansons bancales pour en faire une ballade qu'il alla proposer aux Everly Brothers après avoir tenté de démarcher Elvis Presley (qui était encore au lit, et ne sut jamais que le texan lui avait rendu visite). Les Everly Brothers ayant préféré enregistrer une de leurs propres chansons plutôt que celle d'Orbison et de Melson, Foster perdit patience et envoya son auteur-compositeur en studio avec un orchestre de belle taille. « Only The Lonely » atteignit le n°2 du Billboard le 20 juin 1960. Orbison était devenu une superstar. Contrairement à nombre d'autres chanteurs de l'époque, il supervisait l'enregistrement de ses disques de A à Z. Aidé par un arrangeur maison, il s'était crée un style hybride dont l'audace éclectique en disait long à la fois sur sa culture musicale et sur son intelligence du son. Il y avait les chœurs féminins chantant des onomatopées de comptine ; des « murs » de guitares sèches, prévisibles dans la ville de Chet Atkins, qui participait régulièrement aux séances ; l'irruption inattendue de percussions latines ou de lignes arabisantes qui évoqueraient presque l'exotisme de Les Baxter ou d'Espavel ; et l'orchestre, bien sûr. Orchestre symphonique au grand complet, cuivres, bois et cordes qu'Orbison parvenait à dominer de sa voix sans le moindre effort.

Orbison écrivait (avec Melson puis Joe Rees) la plus grande partie de ses chansons. Et, là aussi, sa versatilité se montrait impressionnante. « Running Scared » était une ballade épique à la « Only The Lonely », crescendo final compris, tout comme le ravissant « Crying ». Mais « Cream Baby » fait songer à la country épurée et terriblement accrocheuse de Lee Hazlewood. « Blue Bayou » est rêveur à souhait, et lumineusement mélodieux. « Workin' For The Man » est de façon surprenante, du pur rhythm'n' blues. « It's Over », chef-d'œuvre absolu, a l'élégance de composition d'un lied de Schubert, et l'ampleur d'une production de Phil Spector. Et il y a « Oh, Pretty Woman », évidemment, le second n°1 de sa carrière (en 1964), un rock taillé dans la masse, menaçant, sensuel et provocant qui est devenu l'une des chansons les plus jouées à la radio de l'histoire de la musique populaire.

Personnage statique sur scène (« la plupart de mes chansons ne comportaient pas de « break » instrumentaux, alors je me sentais plus à l'aise collé au micro »), abrité derrière des lunettes teintées aux grosses montures noires (il souffrait d'une maladie des yeux), un épais visage lunaire planté sur un corps malingre, il était resté fidèle, comme il l'expliqua à Nick Kent, aux émotions violentes et paroxystiques de l'adolescence : « cette innocence est le grand ingrédient qui a gardé mes chansons vivantes, qui les fait tenir hautes ». De tous les albums enregistrés par Orbison pendant ces cinq années bénies (1960-1964), on ne saurait en trouver un seul qui ne recèle pas de véritables splendeurs. Et qui sait à quels autres sommets Orbison serait parvenu si le malheur ne l'avait pas frappé à deux reprises juste après qu'il eût décidé de quitter Monument pour MGM, où il enregistra en 1965 l'un des meilleurs albums de sa carrière, There Is Only One Roy Orbison . En 1966, sa femme Claudette, qu'il adorait, se tuait en tombant du siège de passager de sa motocyclette. Et en 1968, ses deux garçons périssaient dans l'incendie de sa maison. Orbison était un homme brisé ; mais il devait vaillamment tenter de continuer à chanter, même lorsque les foules se détournèrent de lui dans la seconde moitié des années 60.

La décennie suivant ne fut qu'une longue série d'échecs et de projets avortés, un purgatoire rendu d'autant plus pénible qu'Orbison dut subir une opération à cœur ouvert en 1978. Il avait alors pratiquement quitté les Etats-Unis pour venir travailler en Europe, où il avait rencontré sa seconde femme Barbara, d'origine allemande. Première éclaircie : un duo avec Emmylou Harris, « That Lovin' You Feeling Again », tiré d'une comédie d'Alan Rudolph avec Alice Cooper, Roadie , qui lui donna un tube country en 1980, et un Grammy l'année suivante. Orbison fit un retour triomphal en chantant en 1981 à New York. En 1982, le groupe de hard rock Van Halen eut un tube en reprenant « Oh, Pretty Woman », utilisé en 1990 comme chanson thème du film du même nom de Gary Marshall avec Julia Roberts e Richard Gere. En 1986, une nouvelle génération découvrait Roy Orbison dont la chanson « In Dreams », réenregistrée et coproduite par David Lynch, fut utilisée de façon mémorable dans le film de Lynch, Blue Velvet . Le 21 janvier 1987, lors de l'élection de Roy Orbison au Rock'n' Roll Hall of Fame, Bruce Springsteen fit un discours improvisé brûlant d'admiration, où il évoquait son écoute répétée d' « It's Over » dans sa chambre plongée dans le noir, au cœur de sa petite ville du New Jersey, qu'il conclut ainsi : « En 1975, quand je suis entré en studio pour enregistrer Born To Run , je voulais un disque qui ait les paroles de Bob Dylan avec le son de Phil Spector, mais par-dessus tout je voulais chanter comme Roy Orbison. » Il chanta ensuite avec lui. En 1987, Virgin publia In Dreams, The Greatest Hits, collection de ses plus grands succès réenregistrés en 1985 et coréalisés à l'identique par Orbison lui-même. La même année, Orbison se produisait (voix absolument intacte) au Coconut Grove de Los Angeles lors d'un concert-hommage pour lequel étaient rassemblés des accompagnateurs de luxe, outre Springsteen, Jackson Browne, K.D. Lang, Elvis Costello et Tom Waits.

En 1988, avec un nouveau contrat d'enregistrement en poche, Orbison s'apprêtait à opérer l'un des retours les plus convaincants de l'histoire du rock. Le concert fit l'objet d'une émission de télévision, « A Black And White Night ». La même année, K.D. Land réalisait un de ses rêves de sa vie en chantant « Crying » en duo avec lui. En 1988, à la surprise générale, Orbison se laissa embarquer dans l'aventure improvisée des Travelling Willburys, joignant ses forces à Bob Dylan, George Harrison, Tom Petty et Jeff Lynne d'Electric Light Orchestra : il chanta magnifiquement « Not Alone Anymore » pour leur premier album. En décembre 1988, il fut brusquement terrassé par une crise cardiaque, à l'âge de 52 ans. Il venait d'achever l'enregistrement d'un album de nouvelles chansons. L'exceptionnel Mystery Girl était publié le mois suivant sa mort. Cet album magnifique, où Bono et The Edge de U2 composèrent dans un moment d'inspiration divine « She's A Mystery To Me », offrit à Orbison un tube international, « You Got It » coécrit par Jeff Lynne et Tom Petty. Son interprétation d' « A Love So Beautiful », composé par lui-même avec Lynne, a quelque chose de terrassant. Trois ans plus tard sera publié King Of Hearts (1992), restauration de maquettes laissées inachevées par le chanteur, avec l'excellent « I Drove All Night » et, surtout, le duo « Crying » avec K.D. Land.

La vie, les chansons et la mort brutale de Roy Orbison ont la cruelle logique d'une tragédie. Il n'était ni un Presley, ni un Lennon, mais un homme ordinaire humble, délicat, facile d'accès, doté d'un caractère dont la générosité était devenue une légende dans le monde des musiciens. Son visage rondouillard n'était ni celui d'un jeune premir, ni celui d'un demi-dieu. Comme l'écrivit le critique Ken Emerson, « lorsque la voix d'Orbison s'envole à la fin de « It's Over », son amour, sa vie (en fait l'univers tout entier) semblent avoir rencontré leur fin, pas dans un murmure, mais dans une explosion de beauté ». Son romantisme fut celui de Hölderlin, de Delacroix, de Berlioz. Une banale chanson d'amour interprétée par Orbison prend des accents cosmiques. Son interprétation de « She's A Mystery To Me » serre le cœur comme un accord de Tristan. Orbison appartenait à une race rarissime pour laquelle les limites imposées par le rock étaient devenues un vaisseau spirituel, et profondément humain.