Gram Parsons PARSONS, Gram (Cecil Ingram Connor) : chanteur, guitariste et pianiste de country, rock et soul américain, 1963-1973. Né le 05.11.1946 à Winter Haven (Floride). Mort le 19.09.1973 à Yucca Valley (Californie).

Disparu à l'âge de 26 ans, cet auteur-compositeur originaire du sud-est des Etats-Unis et fixé en Californie a été le premier à introduire dans le rock l'influence de la country authentique et traditionnelle, d'abord au sein des Byrds puis des Flying Burrito Brothers. Proche de Keith Richards, il a inspiré « Wild Horses » aux Rolling Stones. Ses deux albums solo, marqués par sa voix frêle et douloureuse et un grand talent d'écriture ont contribué à lancer sa fiancée Emmylou Harris. Le désespoir nu qui traverse ses chansons ainsi que sa vie brève et suicidaire n'ont pas peu contribué à en faire une figure de légende.

« Sa vie sortait tout droit de Tennessee, et non de Hank, Williams », ont dit de lui ses biographes Judson Klinger et Greg Mitchell. Le destin de Gram Parsons a tout de ces drames du Sud profond, avec leur poids de prédestination tragique et de combats contre le Mauvais Ange. Son père, originaire des montagnes du Tennessee et chanteur de country occasionnel surnommé « Coon Dog », s'était fixé, la guerre terminée, à Waycross, au sud de la Géorgie , où il dirigeait une affaire d'emballages. IL avait épousé une demoiselle Snively, héritière d'une de plus riches familles de Floride, à la tête d'une immense plantation d'agrumes. Le jeune garçon grandit au cœur du Sud profond, autour de cette ville de vingt mille habitants s'étend la forêt de pins et de cyprès du Wiregrass, qui se dissout au sud dans l'inquiétant marécage d'Okefenokee, peuplé de plantes carnivores, où une tourbe d'apparence rassurante engloutit les hommes. Du contrebandier au banquier, les hommes de Waycross sont puritains parmi les puritains : ils ne connaissent que la douleur et la peine, font vœu de rejeter tout plaisir et craignent les flammes de l'enfer.

Vers l'âge de dix ans, l'enfant a une révélation en voyant Elvis Presley, encore inconnu, chanter à Waycross dans le cadre d'une revue country. Formé au piano, il décide d'apprendre la guitare. L'enfer se matérialise pour lui à l'âge de treize ans : le jour de Noël 1959, son père se fait sauter la cervelle. Sa mère l'emmène alors vivre dans la vaste demeure de ses parents millionnaires, à Winter Haven, au cœur de la Floride , non loin d'Orlando. Elle se remarie l'année suivante avec un homme d'affaires de La Nouvelle-Orléans , Robert Parsons, qui adopte l'enfant et lui donne son nom. Elle commence à sombrer dans l'ivrognerie, tout comme son second mari. Dès 1961, Gram chante et joue de la guitare dans des groupes de lycée, les Pacers, puis les Legends, reprenant les Everly Brothers et Chuck Berry. Influencé par la mode new yorkaise du folk et de la protest song, il se joint en 1963 à un quatuor, avec guitares et banjo, les Shilohs. Le jour de son examen de sortie du lycée, en 1965, sa mère meurt d'une cirrhose.

Il quitte alors la Floride pour étudier la théologie à l'université de Harvard, à Cambridge, près de Boston. Il y découvre surtout le LSD, comme en témoignera un de ses condisciples, le futur pasteur Jet Thomas : « Tout ce qui s'était passé dans sa famille l'a convaincu que, quoi qu'il fasse, il allait lui arriver des choses et que ça ne servirait à rien de chercher à les empêcher. » A Cambridge, il rencontre d'autres musiciens, dont le joueur de pedal steel guitar, J.D. Maness, avec qui il forme l'International Submarine Band. Le groupe joue un rhythm'n' blues avec solos de guitare psychédéliques d'époque, en le mariant, de façon inédite, aux racines country de Parsons. Après des débuts infructueux à new York, il se fixe en 1967 à Los Angeles. Il participe à la BO d'un film de Roger Corman, The Trip (1967), tiré d'un script de Jack Nicholson, racontant l'histoire d'un réalisateur de publicités, interprété par Peter Fonda, qui prend son premier comprimé de LSD. Le groupe parvient à enregistrer un album pour LHI, le label de Lee Hazlewood. En perpétuelle instabilité, il ne survit pas. Safe At Home (1968) est publié quelques mois après sa séparation : on le considère historiquement comme l'acte de naissance du country-rock. Parsons y reprend des chansons de Johnny Cash et de son héros Merle Haggard, ainsi que le standard de porter Wagoner « Satisfied Mind ». Marié et père d'un enfant, désireux de mener une vie chrétienne, il chante encore le bonheur, comme en témoigne sa composition « Blue Eyes ».

Début 1968, Parsons propose ses services aux Byrds, qui ont besoin d'un organiste. Il s'emploie à les convertir à la country. Il se lie particulièrement avec Chris Hillman à qui il fait retrouver ses racines de banjoïste bluegrass. Il convainc Roger McGuinn de reprendre des classiques de la country, comme « A Christian Life » des Louvin Brothers et « Life In Prison » de Merle Haggard, et d'enregistrer à Nashville Sweetheart Of The Rodeo (1968). Il offre au groupe l'une de ses plus belles compositions, « Hickory Wind », une chanson sur le déracinement qui révèle la délicatesse de son écriture allusive. Pourtant, in extremis, sa voix sera retirée du disque. LHI, à qui il doit encore un album, menace en effet Columbia d'un procès : en conséquence, McGuinn et Hillman, à la dernière minute, doivent interpréter les titres à sa place. Par conviction politique, il refuse de suivre le groupe dans la tournée qu'il doit faire en Afrique du Sud. La séparation est violente. Très vite, pourtant, Parsons retrouvera Hillman, libéré des Byrds : tous deux changeront la face du rock américain en créant en 1969 à Los Angeles les Flying Burrito Brothers avec le joueur de pedal steel Sneaky Pete Kleinow et le bassiste Chris Ethridge, qui sera rejoints, durant l'enregistrement du premier album, par Michael Clarke, le batteur de Byrds.

The Gilded Palace Of Sin (1969) témoigne de la part de Parsons, d'une vision qui s'avérera prophétique : la fusion de eux univers que tout sépare, le sud-est des good old boys puritains, chantant Dieu et craignant le démon, et le sud-ouest californien de la contre-culture hippie à cheveux longs, enseignant la délivrance de tous les tabous. Le choix de son costume de scène est déjà révélateur. Chez Nudie's Rodeo Tailors, le tailleur des vedettes country, connu pour avoir crée le costume pailleté et chamarré de Hank Williams, il choisit un motif de feuilles de marijuana et de femmes nues en lieu et place des habituels dessins de cactus ou de roues de chariot. Situé à l'intersection de ces deux cultures, il transmet un rêve : celui d'une « musique cosmique américaine », produit de l'enrichissement mutuel de deux communautés ennemies. Au même moment, Bob Dylan ouvre la voie avec Nashville Skyline (1969) et déclare que les Flying Burrito Brothers sont son groupe préféré. Le country-rock, qui sera popularisé et commercialisé par les Eagles, est né. Une valeur commune aux hippies comme aux gars de la campagne est la méfiance pour la grande ville, facteur de corruption. Dans « Sin City », Parsons chante la tristesse qu'il éprouve à Los Angeles, cette ville « emplie de péché », où « Satan attend son heure ». Un désespoir cru s'affirme déjà dans « Juanita », où l'auteur voit « un ange de 17 ans, avec une vieille robe et une conscience si pure », qui le surprend « dans une chambre froide et sale, avec, à la main, une bouteille de vin et des pilules trouvées sur l'étagère. » La complaisance dans le dégoût de soi, si présente dans la country, déborde dans « Hot Burrito #1 », un rock'n' roll traditionnel où il grince à son ex-bien-aimée : « Tu es peut-être douce et charmante/Mais ça te réchauffera pas la nuit/Parce que c'est moi qui t'ai montré/Tous les trucs que tu fais en ce moment. »

A Los Angeles, en mai-juin 1969, Parsons rencontre les Rolling Stones, venus enregistrer leurs premiers titres avec Mick Taylor. Il se lie avec Keith Richards, à qui il fait découvrir la country : il lui inspire « Country Honk », un morceau qui se métamorphosera en « Honky Tonk Women », un des titres les plus fameux du groupe. Parsons et son groupe participent au festival d'Altamont fin 1969, un concert filmé des Stones où u jeune noir se fait poignarder par des Hell's Angels. Il consomme alors allègrement drogues et alcool et ne participe que de façon intermittente à l'enregistrement de Burrito Deluxe (1970), le second album des Flying Burrito Brothers, où il interprète la première version de « Wild Horses », une chanson des Sontes encore inédite, écrite pour lui par Keith richards. Victime d'un accident de moto, Parsons doit lâcher le groupe et récupère chez Terry Melcher, le producteur des Byrds. Le climat est sombre : Melcher vit en reclus dans sa villa, armé de fusils à canon scié, sûr d'être la prochaine victime de la « famille » de Charles Manson.

En 1971, Gram Parsons part retrouver Keith Richards, Anita Pallenberg et les Rolling Stones dans le midi de la France avec le vague projet, qui n'aboutira pas, d'un album solo à paraître chez le nouveau label du groupe. Une rumeur que rien n'atteste veut qu'il ait participé à l'enregistrement d' Exile On Main Street. Ce qui est sûr, en revanche, c'est qu'il passe le plus clair des on temps à se droguer. De retour à Los Angeles, courant 1972, il prépare son premier album solo : il a pour projet de réaliser un pur album country, qu'il cherche à faire produire par le chanteur californien Merle Haggard. Mais celui-ci se méfie de ce hippie drogué et confie le travail à son ingénieur du son, Hugh Davies. Parsons vient alors de rencontrer la chanteuse folk new yorkaise Emmylou Harris : il l'a convertie à la country et veut mêler sa voix à la sienne, comme George Jones l'a fait avec sa femme Tammy Wynette. Armé d'un contrat avec Reprise-Wagner, il parvient à recruter le groupe de tournée d'Elvis Presley, dont le remarquable guitariste James Burton, le claviériste Glen D. Hardin, le batteur Ronnie Tutt et le joueur de pedal steel Buddy Emmons. Sérieusement ivre, Parsons a du mal à tenir debout pendant l'enregistrement de GP (1973). Musicalement, soul-rhythm'n' blues et country se mêlent avec un grand naturel. Le disque est partagé entre reprises country traditionnelles, comme « That's All It Took » de George Jones et le « Street Of Baltimore » de Tompall Glaser. Mais son interprétation, en canon avec Emmylou Harris, de « We'll Sweep Out The Ashes In The Morning », récit de la dernière soirée d'un couple illégitime, a un accent de doute qui l'assimile aux chanteurs de la contre-culture. La voix frêle avec laquelle il interprète ses propres textes, à l'écriture concise et symbolique, comme « The New Soft Shoe », fable sur la tromperie des apparences, ou le plaintif « A Song For You » transmet de manière intime un sentiment de solitude et de désolation qui n'appartient qu'à lui. La douceur, comme éteinte et détachée, avec laquelle il chante, dans « How Much I've Lied », ces paroles si dures pour lui-même est saisissante : « Chérie, j'ai quelque chose à te dire que tu dois savoir…/Il est temps qu'on arrête de faire comme si c'était vrai/J'ai vécu au fond du péché, j'ai vécu comme un aveugle/Et je ne sais même plus ce qui est vrai ou faux/Quelqu'un comme toi devrait être à mille lieues de moi/Comme ça tut te ficherais de savoir à quel point j'ai menti/Essaie de comprendre la douleur/C'est si long quand je t'explique. S'il te plaît, n'oublie pas à quel point j'ai menti. »

Après la sortie du disque, début 1973, Parsons forme avec Emmylou Harris un groupe, les Fallen Angels, avec lequel il part en tournée. Par provocation, le musiciens jouent devant le drapeau de l'ancienne confédération sudiste. Au début de l'été, Parsons enregistre un nouveau disque avec la même équipe que pour GP. L'album ne paraîtra pourtant qu'à titre posthume. En septembre 1973 ; on annonce brutalement sa mort. Parti se relaxer après avoir terminé l'enregistrement, il s'est réfugié dans son havre préféré de Joshua Tree, en plein désert, avec une petite amie de passage. Là, il a absorbé dans sa chambre d'hôtel un mélange de morphine et de tequila ayant entraîné une surdose. Transporté à l'hôpital de Yucca Valley, il meurt presque aussitôt. Un épisode extravagant s'ensuit. Son ami et manager Phil Kaufman, futur cinéaste, apprenant que sa dépouille, transportée à l'aéroport, est sur le point d'être rapatriée, fonce en voiture à Yucca Valley. Il parvient à subtiliser le corps de son ami et, selon un pacte scellé entre eux deux, y met le feu en plein désert.

Grievous Angel (1974) sort quelques mois plus tard. Le disque comporte encore un petit lot de reprises, comme le sardonique « Cash On The Barrelhead » des Louvin Brothers et un des sommets du disque, le classique des Everly Brothers, « Love Hurts », interprété avec Emmylou Harris comme un chant d'agonie. Ses compositions prennent une ampleur nouvelle, comme « $1000 Wedding », histoire d'un mariage où la promise s'est dérobée : Parsons y manifeste un talent de conteur et de diseur remarquable. Après la mort de Gram, Emmylou Harris lui restera d'une inextinguible fidélité, reprenant régulièrement ses chansons. Un concert, Gram Parsons And The Fallen Angels Live, 1973, enregistré à New York pour une radio, a été publié en album au début des années 90. Le nom de Parsons continue à être cité par une jeune génération de musiciens, comme Evan Dando des Lemonheads, qui le rappelle à bien des égards. Elvis Costello lui est redevable d'une grande partie de son inspiration et lui a payé sa dette en reprenant plusieurs de ses chansons dans Almost Blue (1981). Keith Richards lui a rendu hommage longtemps après sa mort : « Il a été mon guide dans les points les plus subtils de la country, il était loin devant. » Un album d'hommage, Commemorativo : A Tribute To Gram Parsons, a été produit en 1993 par Rhino avec la participation de Bob Mould et Peter Buck de REM. Un second, avec la participation d'Elvis Costello, Beck, Evan Dando et Emmylou Harris a été publié en 1999.