Carl Perkins PERKINS, Carl : chanteur et guitariste de rockabilly et country américain. Né le 09.04.1932 à Tiptonville (Tennessee), mort le 19.08.1998 à Jackson (Tennessee).

Auteur de l'inusable « Blue Suede Shoes », il fut le pionnier du rockabilly, enregistrant pour les studios Sun à Memphis quelques mois à peine après Elvis Presley. Son jeu de guitare, à égalité avec celui de Scotty Moore, a influencé tous les guitaristes du genre, à commencer par George Harrison. Il s'est reconverti dans la country, n'abandonnant jamais complètement le rock'n' roll.

Né dans une famille de fermiers pauvres du nord-ouest du Tennessee, Carl Perkins est élevé dans une cabane avec ses deux frères. Dès l'âge de 6 ans, il ramasse le coton dans les champs : c'est là qu'il entend des noirs entonner des chants gospel. La nuit, il écoute à la radio les retransmissions du « Grand Ole Opry », où chantent et jouent des musiciens de hillbilly mais aussi des stations noires diffusant du blues. Il fabrique sa première guitare avec une boîte à cigares. Un travailleur agricole noir, « Uncle » John Westbrook, lui apprend à jouer de la guitare en finger picking pour soutenir le rythme du boogie. Après la guerre, sa famille s'installe enfin dans une maison équipée d'électricité. Carl en profite pour brancher une Harmony d'occasion. Il s'inspire du jeu d'Arthur Smith, une des stars de l' « Opry » et interprète du fameux « Guitar Boogie ». Au début des années 50, il forme le trio country avec ses frères Jay B. et Clayton : le trio se produit sous le nom des Perkins Brothers dans les bars locaux. Ils ajoutent rapidement à leur formation un pianiste, Jerry Lee « Smoochy » Smith, alors âgé de 14 ans, puis un batteur, Tony Austin, vite remplacé par W.S. « Fluke » Holland. Carl expérimente des tempos rapides qui lui permettent de faire danser la clientèle. Le rockabilly est en gestation.

En 1954, Carl entend le tout premier 45 tours d'Elvis Presley et retrouve dans les premiers essais du jeune poulain de chez Sun le son qu'il cherche à créer. Il part avec ses frères à Memphis et se présente chez Sam Phillips, patron des disques Sun. En octobre 1954, Perkins enregistre son premier titre, une ballade dans un pur style hillbilly à la Hank Williams , « Turn Around », couplée avec « Movie Magg », une des premières chansons écrites par Perkins. Enregistré à la mi-1955, « Let The Jukebox Keep On Playing » est encore une ballade dans la même veine ; à la face b, en revanche, « Gone Gone Gone » est un pur blues à douze mesures, où il chante en émettant des onomatopées et en faisant exploser les syllabes à la façon des bluesmen noirs, déjà imitée par Elvis Presley : il s'agit là du premier rockabilly enregistré par Carl Perkins. Fin 1955, Phillips croit faire une excellente affaire en vendant le contrat de Presley à RCA Victor ; cette nouvelle situation lui donne l'idée de lancer Carl Perkins comme un pur chanteur de rockabilly. Bine lui en prend : le titre que Perkins vient de composer, « Blue Suede Shoes » publié en face A d'un 45 tours sorti le 1 er janvier 1956, atteint les n°1 rhythm'n' blues et country, et le n°2 des classements tous publics en avril. Un évènement sans précédent : l'acte fondateur du rockabilly. L'intro légendaire du titre (« One for the money, two for the show, three to get ready and here I go », remplacé par « Go, cat, go ! ») venait de Bill Haley, mais le thème de la chanson (« tu peux faire ce que tu veux mais ne marche pas sur mes chaussures en daim bleu »), qui lui aurait été inspiré par une scène vue dans un bal, symbolisera à la fois la rébellion anti-adultes et la recherche de style du Perkins une star, sauvera Phillips de la faillite. Mais son succès sera de courte durée, puisqu'il est victime d'un grave accident de voiture en 1956, alors qu'il part enregistrer l'émission de télévision de Perry Como à New York. Il reste immobilisé quelque temps sur un lit d'hôpital, et Presley, qui reprend « Blue Suede Shoes » (comme sa face B, « Honey Don't »), profite de la place libre pour tracer sa route. Dès lors, jamais Perkins ne reviendra au premier plan.

Pendant l'été 1956, Perkins publie « Boppin' The Blues » et « Dixie Fried », un des premiers titres de rock'n' roll blanc à évoquer la violence et la délinquance entraînées par cette musique. Ils sont suivis d' « All Mama's Children » et « Everybody's Trying My Baby ». En décembre 1956, il est de passage aux studios Sun pour une séance. Il y rencontre le jeune Jerry Lee Lewis, qui l'accompagne sur le célèbre « Matchbox » (une adaptation cachée de Blind Lemon Jefferson qui sera reprise par les Beatles et « Your True Love ». Elvis Presley s'arrête pour saluer tout le monde, et Johnny cash passe également par là. Phillips profite de l'aubaine pour enregistrer tout ce petit monde en train de se faire la voix autour d'un piano. Les titres en question, des morceaux country et gospel, sont sortis depuis, sous le titre The Million Dollar Quartet, après la mort de Presley. Moins séduisant qu'Elvis, moins sauvage que Jerry Lee Lewis et moins charismatique que Johnny Cash, Perkins sera surtout célébré par les amateurs pour son jeu de guitare exceptionnel, mêlant diverses techniques du country et du blues à des audaces harmoniques sans équivalent dans le genre. Sans l'avoir voulu, il se reconvertira en compositeur à succès tout en poursuivant une carrière à l'ombre des trois géants.

En 1957, Carl Perkins, après l'excellent « Glad All Over », est renvoyé par Phillips qui le considère comme fini. Don Law le recrute chez Columbia et lui fait enregistrer une série de titres pour adolescents dans la veine de Ricky Nelson, tentant de poursuivre le thème des éléments et des chaussures : « Put Your Cat Clothes On », « Lend Me Your Comb » et « Pink Pedal Pushers ». Ce sera ensuite « Pop, Let Me have The Car », « Rockin' Record Hop » et « Jive After Five », de purs disques de rockabilly. Mais Perkins n'a ni le physique ni la mentalité de l'emploi. Son album Whole Lotta Shakin' (1958) est composé exclusivement de reprises, dont quatre de Little Richard. En 1958, son frère Jay disparaît des suites d'une tumeur au cerveau, occasionnée par l'accident de 1956. Carl et son frère sombrent alors dans l'alcoolisme (Clayton se suicidera plus tard) et leur batteur de toujours, « Fluke » Holland quitte le groupe en 1959. Perkins, lâché par Columbia, enregistre un temps pour Decca. En 1964, il part en tournée en Angleterre avec Chuck Berry, alors que son moral et sa santé sont au plus bas. Il découvre qu'il est vénéré dans ce pays, en particulier par le jeune Harrison. En juin, en sa présence, les Beatles enregistrent « Matchbox ». Quelques mois plus tard, ils reprendront « Honey Don't » et « Everybody Want To Be My Baby » dans Beatles For Sale (1965).

En 1965, après avoir quitté le métier pour devenir un temps fermier, Carl Perkins fait partie du show de Johnny Cash, alors au sommet de sa carrière. Les deux hommes font vœu commun d'abandonner l'alcool et les pilules stimulantes, devenant simultanément Born Again Christians. Perkins écrit pour lui « Daddy Sang Bass » qui connaît un énorme succès en 1969, et de meure son accompagnateur jusqu'en 1975. Il enregistre en 1970 l'album Boppin' The Blues pour Columbia avec l'excellent groupe NRBQ. Il forme ensuite un groupe de scène avec ses fils Stan et Greg, publiant deux albums live pour son propre label, Suede. En 1978, il réenregistre ses standards pour le label britannique Jet sous le titre Ol' Blue Suede's Back.

Au début des années 80, Perkins commence à retrouver une certaine popularité. Après avoir ouvert son Carl Perkins Center for prevention of child abuse, il participe à une tournée européenne avec Johnny cash et Jerry Lee Lewis, publiant le live The Survivors en 1982. La même année, Paul McCartney le fait participer à un duo pour son album Tug Of War. En 1985, hommage lui est rendu dans le documentaire télévisé Blue Suede Shoes, auquel participent George Harrison, Eric Clapton, les Stray Cats et Dave Edmunds. En 1986, America-Smash publie l'album The Class Of '55, où il chante avec Jerry Lee Lewis et Roy Orbison. Il est intronisé l'année suivante au Rock'n' Roll Hall of Fame et enregistre deux albums : Born To Rock (1989) pour Universal puis, entre New York et Nashville, Friends, Family And Legends (1991). Il compose des chansons créées par Dolly parton et les Judds. Dès 1991, il doit être traité pour un cancer de la gorge. Guéri, il enregistre en 1992 aux studios Sun, qui viennent de rouvrir, un album instrumental avec le guitariste Scotty Moore, 706 ReUnion : A Sentimental Journey. En 1995, il publie son autobiographie Go, Cat, Go, un excellent témoignage sur la naissance du rock. Plusieurs fois alerté, il a succombé en 1998 à un infarctus. Le label Bear Family a réédité la plupart des grands titres de Perkins dans un coffret intitulé Up Through The Years, 1954-1957. On se reportera aussi à l'intéressant album d'hommage de 1996, qui réunit des enregistrements obscurs de Jimi Hendrix et John Lennon, ainsi que des invités prestigieux comme Johnny Cash, John Fogerty et Tom Petty : un florilège à la mesure de son héritage.