PHILlIPS,
Sam : fondateur de SUN (Disques), compagnie
discographique, 1952-1969, créée à Memphis (Tennessee).
Pour avoir servi de tremplin à Elvis Presley, la compagnie Sun créée par Sam Phillips, à la fois studio et label de Memphis, mérite une place à part, sans doute la première, dans l'histoire du rock'n' roll. Phillips est en effet le premier producteur, au sens artistique, de l'histoire du rock à avoir envisagé le studio comme un terrain d'expérimentation sonore. Sun a vu naître des carrières fabuleuses dont celles de Howlin' Wolf, Johnny Cash, Carl Perkins, Roy Orbison, Jerry Lee Lewis, Charlie Rich et bien d'autres.
Sam Phillips (Né le 05.01.1923 à Florence, Alabama. Mort le 30.07.2003 à Memphis, Tennessee) suit un enseignement en technique radiophonique. En 1940, il est engagé par la station WLAY de Muscle Shoals (Alabama) en 1940. En 1942, il se marie avec Rebecca qui lui donnera deux fils, Know et Jerry. Il est ensuite employé par WMSL à Decatur (Géorgie), puis à WLAC à Nashville, enfin à WREC à Memphis en juin 1945, où son frère Jud est choriste. Il présente les émissions « Songs Of The West » (quotidienne) et « Saturday Afternoon Tea Dance » hebdomadaire). Il se charge également de la maintenance du matériel, supervise la discothèque et enregistre des orchestres de danse dans le studio de la station ainsi que dans le salon de l'hôtel Peabody. Programmateur, il aime mélanger blues, jazz, country et pop, tout comme son concurrent, Dewey Phillips (simple homonyme) qui se fait remarquer par sa faconde et la programmation zazoue de son émission « Red Hot And Blue » (WHBQ) que les jeunes adorent.
Avant de quitter la radio en juin 1951, Sam Phillips ouvre un petit studio, le Memphis Recording Service, au 706 Union Avenue, dès janvier 1950. Son slogan est : « nous enregistrons n'importe quoi, n'importe où, n'importe quand. » Le matériel est portable : console, magnétophone et graveur Presto. Après avoir immortalisé mariages et enterrements, Phillips se concentre sur la musique, avec une préférence pour le blues non édulcoré. Associé à Dewey Phillips, Sam crée sa propre étiquette, Phillips, dont la brève existence s'achève après l'unique « Boogie In The Park » par l'homme-orchestre Joe Hill Louis (août 1950). Les autres bandes de ce musicien comme celles de Rufus Thomas Jr. (future vedette du label Stax) ou de Roscoe Gordon sont alors transmises à RMP (le label des frères Saul et Jules Bihari) pour qui Phillips réalise plusieurs séances de B.B. King. L'association cesse quand, en avril 1951, Phillips confie à Chess, concurrent direct de RMP, « Rocket 88 » par Ike Turner, interprété par Jackie Brenston. Cette année-là, Sam Phillips découvre Howlin' Wolf sur KWEM et lui fait faire ses premières séances (entre mai 1951 et octobre 1952). Se méfiant de la comptabilité de Chess et aiguillonné par la création à Memphis du label Duke, par Mattis & Fitzgerald, Phillips, en partie financé par Jim Bulleit, décide de fonder les disques Sun dont « Drivin' Slow » par le saxophoniste Johnny London constitue le premier simple (mars 1952). Il obtient de maigres résultats et n'est pas loin d'abandonner. Fin 1952, voyant un nouveau label local, Meteor, bien réussir, il réitère sa tentative avec notamment Rufus Thomas Jr. A qui il fait enregistrer « Beat Cat », réponse à « Hound Dog », quelques semaines après la sortie de la version originale par « Big Mama » Thornton (mars 1953).
Début 1953, Sam Phillips connaît ainsi son premier succès. Le label jaune, avec ses rayons de soleil et son coq de couleur marron, est à l'aube d'une fantastique apogée. Son frère Jud rachète la part de Bulleit et se charge des relations extérieures, ainsi que la promotion et de la distribution. Phillips produit presque exclusivement des artistes noirs (il n'accueillera des chanteurs country puis de rockabilly qu'en 1954) : Little Junior Parker & The Blue Flames (« Mystery Train », « Love My Baby »), les Prisonaires, Little Milton, Billy « The Kid » emerson (« When It Rains It Pours », « Red Hot »), Bobby « Blue » Bland, James Cotton… Il améliore son matériel (magnétophone Ampex, console RCA). Il est alors censé avoir déclaré, selon une légende jamais attestée, qu'il ferait fortune s'il trouvait un Blanc capable de chanter comme un Noir. Lorsque Elvis Presley vient enregistrer le 5 juillet 1954 la ballade country « I Love You Because » et que, pour se divertir avec ses deux accompagnateurs, Scotty Moore et Bill Black, il s'amuse à chanter d'une autre voix, plus noire, « That's All Right », un blues de « Big Boy » Crudup, c'est Sam Phillips qui encourage les musiciens à poursuivre et les enregistrent presque à leur insu. A partir du premier simple d'Elvis Presley, « That's All Right » (juillet 1954), Phillips engage une majorité de chanteurs et musiciens blancs : Johnny Cash, Carl Perkins, Charlie Feathers, Slim Rhodes, Warren Smith, Roy Orbison, Billy Riley, Malcolm Yelvington, Sonny Burgess, Hayden Thompson, Barbara Pittman (la seule femme), Ray Harris, Jerry Lee Lewis, Charlie Rich, Edwin Bruce, Carl Mann et d'autres.
Une de ses inventions majeures de Sam Phillips et du studio Sun est ce qu'on appelle le slap-back echo (« écho qui gifle en retour », si l'on veut) : une technique élémentaire, mais alors inédite, de léger décalage, permettant, durant l'enregistrement, d'accompagner les chanteurs au moyen de l'enregistrement du même accompagnement joué auparavant, mais légèrement décalé. Ce procédé permet de créer cet effet d'écho et de réverbération étouffée propre à tant de disques de rockabilly et qui demeure l'apport majeur des studios Sun. Après avoir racheté la part de son frère Jud (qui fondera sa propre compagnie Judd, en 1958), Sam reste seul maître en octobre 1955. Le « Colonel » Parker, l'imprésario de deux artistes de RCA (Hank Snow et Eddy Arnold), agit alors en sorte que Presley soit engagé par cette compagnie. En novembre 1955, le contrat liant le chanteur à Sun est négocié par Parker (qui s'impose comme nouveau manager), RCA et les éditions Hill & Range (Julian & Jean Aberbach) pour 40 000 dollars dont 5 000 sont versés directement à Elvis en paiement de royalties en retard. Phillips croit alors avoir fait l'affaire de sa vie : Sun, au bord de la faillite, est remis à flot. Il restera, pour l'histoire, l'homme qui a laissé échapper Presley.
Sam Phillips sait s'entourer : Bill Cantrell, Quinton Claunch, Bill Justis, Jack Clement, Stan Kesler et quelques autres sont tous directeurs artistiques, compositeurs, ingénieurs suivant les besoins. Le local du 706 Union Avenue devenu trop petit, un studio est ouvert en janvier 1960 au 639 Madison. Baptisé Sam Phillips Recording Studio, il est placé sous la responsabilité de Scotty Moore. Bill Fitzgerald, Cecil Scaife et Charles Underwood deviennent les piliers de l'équipe. Phillips achète ensuite un deuxième studio, dans la Seventh Avenue à Nashville et y confirme l'ancien copropriétaire, Billy Sherrill, comme ingénieur du son en février 1961. Sa conception très libre des horaires des séances (la pendule du 706 Avenue n'a jamais fonctionné) ne cadre pas avec l'ambiance qui règne dans cette ville. En février 1964, Phillips revend le lieu à Fred Foster des disques Monument. De 1957 à 1963, il maintient en vie le label Phillips International, plus porté sur les albums, un format que pourtant il n'apprécie guère. La confusion avec la compagnie européenne Phillips contribue ) entraîner la cessation de cette activité. Ses fils Know et Jerry deviennent producteurs au service de leur père, mais es années 60 sont fatales à Sun dont le catalogue est vendu à Shelby Singleton en 1969, fondateur de Sun International Corp., puis de Sun Entertainment Corp. Sam, qui conserve le studio et les éditions, investit habilement dans diverses opérations dont la chaîne Holiday Inn et des stations de radio. Cet extraordinaire pionnier, immense découvreur de talents, producteur inspiré, se tenait consciencieusement éloigné de tout studio d'enregistrement.
Le catalogue Sun fait l'objet de nombreuses rééditions et compilations, en particulier en Europe grâce à Bear Family, Charly et Zu-Zazz, mais aussi aux Etats-Unis avec Rhino. Deux anglais, Colin Escott & Martin Hawkins, ont beaucoup œuvré pour une meilleure connaissance de cette aventure, participant aux diverses rééditions et signant plusieurs livrés consacrés aux artistes de Sun ainsi qu'à la compagnie en général : Catalyst (1975), Discography (1987) et Good Rockin' Tonight (1991). Le studio fonctionne toujours. Il a été utilisé au cours des années 1980 et 1990 par des musiciens aussi divers que Bashung, U2, Screamin' Jay Hawkins et bien d'autres encore.