Bonnie Raitt RAITT, Bonnie : chanteuse et guitariste de blues et de rhythm'n' blues américaine, 1971. Née le 08.11.1949 à Burbank (Californie).

Lorsqu'elle fut révélée au grand public en 1989 avec l'album Nick Of Time, cette californienne avait derrière elle une longue carrière de spécialiste de la guitare slide électrique et de chanteuse. Elle pratiqua un blues traditionnel avant de recourir à des compositeurs extérieurs pour des albums plus rhythm'n' blues, voire pop. Au même titre que son engagement politique et social, l'exceptionnelle longévité de sa carrière aujourd'hui florissante lui assure une place à part dans le paysage de la musique américaine.

Contrairement à ce que sa musique pourrait laisser supposer, Bonnie Raitt n'est pas née à Chicago ni dans le delta du Mississippi. Elevée et scolarisée à Burbank, un quartier de Los Angeles situé non loin des studios de cinéma, elle reçoit de ses parents des principes sociaux égalitaristes inspirés des Quakers et un goût prononcé pour l'engagement politique. Séduite par la musique de Joan Baez et Bob Seger, elle empoigne à dix ans une guitare sèche Stella. A quatorze ans, inspirée par l'album Blues At Newport, elle glisse du folk vers le blues traditionnel de Son House, Robert Johnson, Mississippi John Hurt, Muddy Waters ou John Lee Hooker. Un goulot de bouteille de vin (bottleneck) poncé et ajusté à son majeur lui fournira son premier slide (« Mon premier contact avec le slide m'est venu par mon grand-père qui jouait des airs traditionnels sur un lap steel hawaiien… Il y a quelque chose dans la fluidité du slide qui m'attire. L'expressivité qu'on y trouve est semblable à celle d'un instrument à vent ou d'un violon joué à la perfection. »)

A dix-sept ans, Bonnie Raitt gagne Boston pour suivre des études universitaires au Radcliffe College où elle manifeste contre la guerre du Vietnam et étudie la culture africaine dans le but de partir enseigner en Tanzanie. En 1969, diplômée en études africaines, elle suspend son cursus et consacre le plu claie de son temps à fréquenter les clubs de folk-blues de la ville où elle donne ses premiers concerts. La même année, elle achète pour 120 dollars « Brown », sa Fender Stratocaster fétiche, dont elle jouera à chaque concert jusqu'en 1995. Prise en main par le manager Dick Waterman (qui est aussi son fiancé à l'époque), elle participe à plusieurs festivals folk sur la Côte Est , décroche des concerts au Main Point de Philadelphie et au célèbre Gaslight de New York, rencontre les bluesmen Junior Wells, Howlin' Wolf, Mississippi Fred McDowell et embauche l'ancien bassiste de l'Edison Electric Band, Feebo pour la seconder. A Philadelphie, elle offre ses services à une organisation quaker. Enfin, elle découvre la musique de la chanteuse de blues Sippie Wallace avec qui elle nouera une solide amitié. Aux Etats-Unis, la rumeur commence à enfler autour de Bonnie Raitt, qui chante d'une voix très sûre et démontre une maîtrise étonnante de la guitare électrique slide. Les maisons de disques s'intéressent à elle. Bonnie, qui refuse d'abord de cautionner la course à l'argent et le sexisme associé au lancement de la carrière d'une femme, singe finalement avec Warner en 1971.

Livré en 1971, Bonnie Raitt n'arien d'une superproduction. L'album a été enregistré sur un magnétophone quatre pistes dans un garage du Minnesota avec l'aide de musiciens de rhythm'n' blues recrutés dans les bars de Minneapolis et quelques guest-stars du blues de Chicago, tels l'harmoniciste Junior Wells ou le saxophoniste A.C. Reed. La liste des titres fait découvrir plusieurs reprises (de Robert Johnson, Sippie Wallace, Tommy Johnson), des morceaux offerts par quelques amis (Paul Siebel, Stephen Stills) et deux originaux. La voix et la guitare de Raitt ne sont guère à leur avantage dans ce disque attachant et sincère, mais trop chichement produit. Il faut attendre Give It Up (1972) pour se faire une plus juste idée de son talent. Encore une fois, elle pioche dans le répertoire du rhythm'n' blues et sollicite des compositeurs extérieurs, se réservant seulement trois morceaux personnels. Plus accessible et lisse que l'album précédent, Give It Up, enregistré dans de bonnes conditions à Woodstock avec l'appui de nouveaux musiciens, vaut à Bonnie Raitt sa première entrée dans les classements.

Pour son troisième album, l'artiste décide de regagner Los Angeles. Toujours flanquée du bassiste Feebo, elle fait appel au producteur Lowell George, par ailleurs guitariste de Little Feat, qu'elle congédie bientôt à grands frais au profit de Jim Hall. Le résultat, Takin' My Time (1973), est un disque incertain, à la croisée des musique traditionnelles américaines et d'une pop facile. A ce stade, Raitt ne compose plus, préférant se fournir chez Mississippi Fred McDowell, Mose Allison, Randy Newman ou Chris Smither. Tancée par Warner pour avoir dépassé le budget en changeant de producteur, elle doit se rabattre sur le producteur maison Jerry Ragavoy avec qui elle met en boîte le décevant Streetlights à New York en 1974. Poli et lissé à l'excès par des musiciens de séance, le disque renvoie aux tréfonds du mix la voix et la guitare de Raitt, supplantée par des arrangements sans saveur. Suivent une longue tournée américaine aux côtés de Jackson Browne, puis le retour à Los Angeles.

En 1975, Bonnie Raitt est prise en charge par le producteur Paul Rothchild, qui prétend réussir là où les autres ont échoué et la propulser au sommet des ventes sans sacrifier sa personnalité. L'album qui s'ensuit, Home Plate (1975), s'avère beaucoup plus solide et satisfaisant que Streetlights . La voix est mixée à sa juste valeur, l'interprétation plus forte, mais la formule du 45 tours magique échappe une fois de plus à la guitariste, qui plafonne désormais aux alentours de deux cent mille exemplaires par album. C'est trop pour s'en tenir à une carrière indépendante d'artiste objet de culte, mais pas assez pour s'affranchir d' « une vie de lèche-bottes du music business », comme elle l'explique. Bonnie Raitt cherche alors à obtenir le succès commercial qui lui offrirait l'indépendance et lui permettrait de se concentrer sur les causes politiques et sociales qui lui tiennent à cœur. La collaboration avec Paul Rothchild se prolonge jusqu'à Sweet Forgiveness (1977). Cette fois, c'est avec son groupe de scène que Bonnie Raitt entre en studio pour coucher sur bande un album cru et direct. Le simple, une reprise énergique du « Runaway » de Del Shannon, est enfin un succès, et Bonnie Raitt fait la couverture du magasine Guitar Player.

Ce succès restera malheureusement ponctuel. Malgré la présence de musiciens d'excellent niveau et un son très live, The Glow (1979) ne confirmera pas cet accueil. Si le grand public entend parler de Bonnie Raitt, c'est avant tout pour son activisme politique. En 1979, elle participe à l'organisation des cinq concerts du projet antinucléaire MUSE (Musicians United For Safe Energy, une association qu'elle a cofondée avec Jackson Browne, Graham Nash et John Hall) au Madison Square Garden de New York. Bruce Springsteen, les Doobie Brothers, James Taylor et Gil Scott-Heron sont à l'affiche.

A l'aube des années 80, les ventes des albums de Bonnie Raitt stagnent. Green Light (1982) et Nine Lives (1986) n'y changent rien, en dépit d'un choix de musiciens et de compositeurs toujours impeccable. La musicienne commence à être mal vue d'une partie de l'industrie musicale en raison de sa dépendance croissante à l'alcool et de son activisme dérangeant. Sa participation au single anti-apartheid de Steve Van Zandt « Sun City », au Farm Aid de Neil Young et au concert d'Amnesty International en 1985, sa présence sur scène à Moscou (Peace Concert) et à Los Angeles irritent les mandarins de l'entertainment.

La fin des années 80 est décisive. La vie affective de Raitt, jusque-là inconstante et tourmentée, se stabilise grâce à sa rencontre avec l'acteur Michael O'Keefe (qui deviendra son mari). Parallèlement, elle entame une fructueuse collaboration artistique avec le producteur Don Was, qui la guide pendant les séances de « Baby Mine ». Encouragée par cette expérience positive, Bonnie Raitt qui vient d quitter Warner pour Capitol, propose à Don Was de produire un album entier pour elle. « Pas mal de gens ont sans doute supposé que nous allions réaliser un album de funk à la Was. Mais Don et moi savons ce qui me met en valeur et ce qui me dessert. Nous avons volontairement gardé les chansons axées sur ma voix et mon jeu de guitare. Je ne crois pas avoir jamais connu de conditions aussi favorables en studio. » Enfanté dans la bonne humeur, l'album Nick Of Time (1989) décrochera la timbale. Récompensé par un Grammy (album de l'année) et par un simple au sommet des classements (« Thing Called Love », écrit par John Hiatt), il propulse Bonnie Raitt dans la cour des grands, après dix-huit années d'un relatif succès commercial.

En 1990, désormais reconnue et appréciée à sa juste valeur artistique, Bonnie Raitt apparaît dans The Healer de John Lee Hooker, emportant un deuxième Grammy. En 1991, toujours secondée par Don Was, elle sort l'album Luck Of The Draw et décroche trois Grammys. Don Was reste aux manettes pour Longing In Their Hearts (1994), qui pointe à la première place du Billboard dès sa sortie et remporte le Grammy de l'album de l'année. Les ventes suivent et le succès s'installe. L'année suivante, Bonnie Raitt participe au disque A Tribute To Stevie Ray Vaughan et coproduit avec Don Was un premier album live, Road Tested. Témoignage d'une immense expérience scénique (Bonnie Raitt donne en moyenne cent concerts par an depuis les années 70), ce double CD est pour Bonie Raitt l'occasion d'accueillir quelques-uns de ceux qui ont composé pour elle ou l'ont soutenue au plus bas de sa carrière. Elue pour la 5 ème fois meilleure guitariste slide par les lecteurs du magasine Guitar Player, honorée par Fender qui ajoute à son catalogue une Stratocaster Bonnie Raitt Signature (dont elle reçoit quelques exemplaires pour remplacer la vieille « Brown »), Raitt semble définitivement acceptée par le public et l'industrie musicale américains. « Une grande partie du succès de Bonnie provient de la sincérité qui émane de ses disques, explique Don Was, coproducteur de Road Tested, elle sait exprimer des vérités tirées de son expérience personnelle avec une éloquence rare. » Bonnie Raitt, qui boucle sa vingt-cinquième année de carrière, ajoute simplement : « J'adore la scène. Je fais des disques pour pouvoir partir en tournée. D'autres musiciens fonctionnent selon le schéma inverse. Moi, je suis fière de travailler comme ça depuis les années 70, et j'espère bien de continuer ainsi encore vingt ans au moins. »