Ray Charles CHARLES, Ray (Ray Charles Robinson) : chanteur, pianiste, organiste, arrangeur, chef d'orchestre, producteur et compositeur de jazz, rhythm'n' blues et country américain, 1948-2004. Né le 23.09.1930 à Albany (Géorgie). Mort le 10.06.2004 à Los Angeles.

Surnommé le « Genius » et « le seul génie du métier », selon Frank Sinatra, ce musicien aveugle, originaire de Géorgie qui fit ses débuts en Floride avant de passer par le nord de la Côte Ouest , La Nouvelle-Orléans , New York et Los Angeles, a une stature qui dépasse celle du rock. Interprète des classiques « I Got A Woman », « Waht's I'd Say » ou « Georgia On My Mind », il a toujours été au carrefour des musiques noire et blanche, influençant les Beatles et les Rolling Stones. Il a inventé la musique soul, apportant la ferveur de la musique religieuse à la chanson laïque, modelant ainsi un immense pan de la musique noire américaine. Il a aussi puisé aux sources de la musique blanche, premier musicien noir à reprendre des airs country.

Devenu aveugle à 7 ans, à la suite d'un glaucome déclenché par la vision de son frère se noyant dans une cuvette, le jeune Ray apprend la musique en braille dans une école pour aveugles où l'a placé sa mère Aretha, qui se bat pour que son handicap ne le coupe pas de la vie active. Il y apprend l'orchestration, le piano, l'orgue, le saxophone, la clarinette et la trompette. Orphelin à 15 ans, il émigre à Jacksonville, où il débute professionnellement au sein d'un grand orchestre. A Tampa, il devient le pianiste des Florida Playboys, dont il est le seul noir. Puis on le retrouve à Seattle, où il rencontre Quincy Jones, devient arrangeur et prend le nom de Ray Charles pour éviter la confusion avec le boxeur Sugar Ray Robinson. Il entame alors une longue dépendance à l'héroïne. C'est là qu'il enregistre pour la première fois, en 1948, « Confession Blues », et décroche quelques succès, tous influencés par son idole Nat King Cole. Il part en tournée avec le groupe du bluesman Lowell Fulsom et bien d'autres, jouant aussi bien du blues, swing, bop, boogie-woogie, gospel que country et succès de Broadway.

Ce n'est qu'après avoir signé chez Atlantic, en 1952, qu'il découvrira peu à peu son propre style, en supprimant le caractère religieux du gospel pour en faire le rhythm'n' blues le plus cru et le plus envoûtant qui soit. En 1953, il est à La Nouvelle-Orléans , pianiste et arrangeur du « Things That I Used To Do », énorme succès de Guitar Slim. L'année suivante, il forme son propre orchestre, qui tourne avec la chanteuse Ruth Brown. Enfin, à Atlanta, il découvre la formule magique : « I Got A Woman », son premier véritable tube, sort début 1955 et coïncide avec les débuts du rock. Cette chanson est un parfait exemple de paroles chaudes sur un rythme liturgique qui ne l'est pas moins. Elle permet à chaque noir d'entendre sa négritude s'exprimer enfin sans le voile pudique de l'église. Le scandale est énorme (chanter le sexe sur de la musique sacrée), le succès équivalent. The Bishop, The Right Reverend, The High Priest, enfin The Genius comme Atlantic le surnomme, enregistre alors d'un côté des albums de jazz instrumentaux, de l'autre classique sur classique : « Hallelujah, I Love HerS o », « This Little Girl Of Mine », « Talkin' ‘Bout You », « Don't Let The Sun Catch You Crying », « I Believe To My Soul », « Lonely Avenue », « Drown In My Own Tears », « The Night Time Is The Right Time » et, en 1959, le célébrissime « What's I'd Say », dans une version live où son style, inspiré par les appels-réponses du gospel, confine au sublime et à l'hystérie pure. Ses deux meilleurs albums Ray Charles At Newport (1958) et Ray Charles In Person (1959) datent de cette époque, et sont tous les deux enregistrés sur scène, là où Ray Charles déchaîne sa voix chaude et râpeuse et son jeu de piano éblouissant, accompagné d'un orchestre exceptionnel et de choristes, les Raelettes, qui donnent libre cours à toute leur soul.

Au sommet de sa gloire, il quitte Atlantic pour signer chez ABC. On considère généralement que c'est le début de son déclin, ce qui est largement exagéré. Certes, il s'abandonne à son penchant pour les ballades sentimentales, dont l'archétype reste « Georgia On My Mind » (1960) de Hoagy Carmichael, mais il continue d'enregistrer du jazz, et d'excellents simples en petite formation, comme « Hit The Road Jack », « Sticks And Stones » ou encore « Let's Go Get Stoned ». En 1962, il cause une nouvelle révolution avec Modern Sounds In Country & Western Music : pour la première fois, un noir chante et renouvelle le genre le plus blanc du pays, avant même l'octroi des droits civiques. « I Can't Stop Loving You » sera un tube énorme, et l'album se vendra à plus de 3 millions d'exemplaires l'année de sa sortie. L'influence de Ray Charles sur la nouvelle génération est alors à son comble, aux Etats-Unis (Sam Cooke, Stevie Wonder qui lui consacrera un album entier, le Marvin Gaye des débuts) comme en Grande-Bretagne, où il devient le modèle de tous les blancs qui chantent du rhythm'n' blues. Il pousse nombre d'entre eux à se mettre au piano et à reprendre ses morceaux : parmi les plus fameux, George Fame, Van Morrison, Eric Burdon des Animals, Joe Cocker, Steve Winwood du Spencer Davis Group. Son accoutumance à l'héroïne conduira en 1964 à une spectaculaire arrestation qui choquera le monde entier et le conduira à une première retraite. « Chacune de mes expériences, déclare-t-il, m'a appris quelque chose. Je suis né pauvre dans le Sud, et j'ai déconné avec la drogue. Mais ça a été une bonne école, et je ne regrette absolument rien. »

A partir de là, toutefois, sa créativité va décroître, et ses principaux tubes de la seconde partie des années 60 seront plus conventionnels, de la chanson du film Dans la chaleur de la nuit à ses reprises des Beatles et plus de Randy Newman. Devenu une véritable institution, Ray Charles se tournera dans les années 70 vers la country, enregistrant notamment de nombreux duos avec Willie Nelson, George Jones, B.J. Thomas et d'autres. Il fait une apparition remarque dans le film Les Blues Brothers. En 1985, il est, aux côtés de Stevie Wonder et de Bruce Springsteen, l'un des trois chanteurs vedettes de « We Are The World », montrant à tous ceux qui avaient pu l'oublier qu'il reste un chanteur d'exception. En France, en 1988, il est à la fois le sujet d'une chanson de Michel Jonasz (« Ray Charles ») et classé au Top 50 en duo avec Dee Dee Bridgewater (« Precious Thing »), année où il publie Just Between Us, album où on le retrouve en compagnie de B.B. King, Lou Rawls et Joe Cocker. Dans son autobiographie Brother Day, l'inventeur de la soul music a tenté de définir son apport : « Je ne pense pas faire partie des précurseurs du rock'n' roll, ni appartenir à ce monde. Des gars comme Chuck Berry, Little Richard, Bo Diddley étaient vraiment frénétiques et ont dû abattre des montagnes. Ce que je faisais a toujours été plus adulte, plus désespéré que ce que représentait le rock à cette époque. »

Ces derniers temps, sa santé avait quelque peu décliné. Il est mort à Los Angeles à 73 ans : « j'ai perdu l'un de mes meilleurs amis et il va me manquer. » Willie Nelson.