Screamin Jay Hawkins HAWKINS, Screamin' Jay : chanteur de blues, rhythm'n' blues, rock'n' roll et pop américain, 1949. Né le 18.07.1929 à Cleveland (Ohio).

Avec sa voix de baryton d'opéra, son personnage de sorcier, ses costumes de music-hall, ses chansons aux textes excentriques et ses cris perçants, Screamin' Jay Hawkins est l'un des hommes de spectacle les plus outranciers de l'histoire du rock, précurseur des folies scéniques d'Alice Cooper et d'Ozzy Osbourne. Il est l'auteur d'un des classiques les plus fameux de l'histoire du rock, « I Put A Spell On You », repris par les plus grands.

Abandonné par sa mère quelques mois après le krach boursier de 1929, Jalacy Hawkins fréquente un orphelinat avec ses deux frères. Il est élevé par une famille d'accueil, des indiens algonquins de la tribu Blackfoot (« ¨Pieds noirs » de l'Ohio), chez qui les rites magiques sont quotidiens. Il l'échappe un jour, à six ans, pour taper sur le piano des voisins. Ayant pris ensuite des cours de piano, il joue dans les bars dès l'âge de quatorze ans. Deux fois par an à partir de la puberté, il subit le rituel du guerrier qui marque le passage à l'âge adulte. Il rapporte qu'il a dû chaque fois survivre un mois entier seul et, de surcroît, absolument nu dans la forêt hostile, mangeant des racines, des herbes, de l'écorce, des crabes, des serpents, et il prétend avoir « même avalé des scorpions » ! Il ne quitte plus depuis sa plume de corbeau, symbole du guerrier « Pied noir », qu'il porte parfois sur son chapeau, en dehors de la scène.

A seize ans, appelé par l'armée en 1945, il combat au front, notamment aux îles Samoa. Il y apprend la boxe et le saxophone. Torturé par les japonais (qui lui auraient arraché les ongles), il raconte avoir tué plusieurs hommes. Il parvient à s'évader et se fait rapatrier pour blessures : « Au cours d'une torture psychologique, racontera-t-il, l'officier m'a tendu un pistolet chargé pour que je me suicide. Je m'en suis servi pour lui tirer entre les deux yeux. J'ai saisi un fusil et j'ai liquidé le reste des soldats. » Il consommera toute sa vie des pilules diverses, qu'il a « un mal fou à passer aux douanes », mais qui « calment les douleurs de (ses) cicatrices ». Boxeur, il monte sur le ring en 1947, remporte le grand tournoi amateur des Golden Gloves et passe professionnel en 1948. Il est champion des poids moyens d'Alaska l'année suivante.

Impressionné par le chanteur noir d'opéra Paul Robeson (« Old Man River »), Hawkins rêve de respectabilité et se passionne pour l'opéra, un lieu où les noirs ne peuvent pas accéder dans de nombreux états, et encore moins chanter. Il travaille le piano avec l'aide de Nat « King » Cole. Cab Calloway lui apporte une aide précieuse, et Amos Milburn lui donne des conseils de chant. Il tourne dans les circuits rhythm'n' blues avec Arnett Cobb, Gene Ammons, James Moody, Illinois Jacquet, Tiny Grimes, Lynn Hope. Appréciant le rhythm'n' blues d'Earl Bostic, Leontine Price, Earl Garner, T-Bone Walker, Tiny Tim et surtout Wynonie Harris, il entraîne comme celui-ci ses exceptionnelles cordes vocales avec une technique de chanteur d'opéra. Les grandes formations de rhythm'n' blues des années 40 requièrent en effet une voix capable, avec ou sans amplification, de faire face aux puissants cuivres. Il enregistre dès 1951 pour différentes marques et abandonne la boxe, trop dangereuse, en 1953.

Il a la révélation de sa voix, d'une puissance effrayante, faite pour « Nessun Dorma », en 1950 dans un bouge de Nitro, un village oublié de l'Etat de Virginie : « Cette énorme bonne femme était accoudée au bar… une gloutonne ! Enorme ! A côté d'elle, un éléphant aurait ressemblé à un porte-plume ! Et elle était hilare… Elle buvait à la fois un verre de scotch et une bouteille de Jack Daniels. Chaque fois qu'elle me regardait, elle hurlait : « Scream, baby, scream ! ». Je me suis dit : tu veux un nom ? Le voilà ! ». Il trouve ensuite une place de chanteur et pianiste au sein d'un étrange ensemble, le Tiny Grimes' Rocking Highlanders, un groupe de jump blues dont tous les membres se produisaient habillés d'un kilt. En 1952, déjà, Hawkins avait crée son style, décrit ainsi par le journaliste britannique Bill Millar : « un extraordinaire baryton taché de whisky, ponctué d'éructations destinées à débloquer les sinus et de gémissements profonds et dissolus. » Cela dit, Hawkins demeurait un chanteur de blues, comme le prouvent les quelques disques qu'il grava avec Grimes et en solo au cours de ces premières années. Il est engagé par Fats Domino dans sa revue de 1954. Cette tournée, qui le fait réellement connaître, lui permet d'entamer sa carrière solo. Hawkins présente un spectacle où, petit à petit, la mise en scène prend une grande importance : costumes, colliers, faux serpents et araignées, références macabres, postiches, accessoires, trucs de prestidigitateur, sorcellerie de bazar et hurlements « de terreur » dans le ton des films d'horreur les plus outranciers de l'époque. Le célèbre DJ Alan Freed lui suggère d'entrer en scène dans un cercueil. Il refuse d'abord mais, contre 300 dollars, il accepte finalement et reproduira longtemps ce gag. Collier de barbe, coupe « pompadour » crépue, yeux ronds expressifs et sourire de maniaque sont souvent agrémentés de dents de vampire en plastique. Il porte toujours avec élégance ses costumes de satin, sa cape de Béla Lugosi ou, alternativement, son costume en imitation panthère pour figurant de Tarzan des années 30. « Henry », le nom du crâne fiché sur une canne, est son compagnon de scène depuis des décennies. Sans oublier le cercueil d'où il fait son entrée sur scène et dans lequel, dit la légende, l'un des Drifters le cloua avant un concert.

Son spectacle humoristique a fait trop souvent oublier son talent de pianiste et l'intensité de ses interprétations vocales. Authentique blues shouter de rhythm'n' blues, capable d'un fort volume sonore, doté d'une voix au timbre très particulier, il chante déjà « She Put The Whammy On Me », une esquisse du chef d'œuvre qui allait bientôt faire de lui l'un des premiers cult artists de l'ère du rock'n' roll, « I Put A Spell On You, enregistré sous l'effet de l'alcool le 12 février 1956 à New York. Il sera repris au moins quarante fois, par Creedence Claerwater Revival, Alan Price, Bryan Ferry, entre autres. Ce mélange de valse et de blues pour sorcier doit en grande son succès au bouche-à-oreille. Plusieurs DJ avaient en effet connu des ennuis en diffusant ce titre pas très catholique, dans un pays où les cultes animistes, syncrétiques et la sorcellerie sont bannis. Hawkins réinvente un nom pour sons style : le Ghoul Rock (« rock du vampire »). La compagnie Paramount exige alors qu'on gomme sa prestation du film Mister Rock'n' Roll, produit par son grand admirateur Alan Freed en 1957. Raison invoquée par la compagnie : le costume de scène de Hawkins était une « insulte à la communauté noire ». « J'étais nu, expliquera l'intéressé, à l'exception d'un pagne, mes cheveux coiffés en banane, une sagaie dans une main, un bouclier dans l'autre comme un sauvage Mau-Mau pour chanter une chanson qui s'appelait « Frenzy » ; l'un de ses plus grands classiques. C'est à cette même époque qu'il enregistre l'excellent « Alligator Wine » (1958), l'un des premiers exemples du swamp blues des bayous de Louisiane, où il donne la recette d'un ignoble philtre d'amour imaginaire à base de sang d'alligator. (Ce titre avait été composé par le tandem Leiber & Stoller : John Fogerty de Creedence Clearwater Revival s'en souviendra dix ans plus tard dans des chansons comme « Born On The Bayou » et « Run Through The Jungle »). La maison de disques OKeh, heureusement moins prude, permet à Hawkins de donner libre cours à son imagination de scénariste des séries B, comme en témoignent d'autres titres comme « Yellow Coat » et « Little Demon ». Il enregistrera aussi généreusement pour Mercury, Roulette, Decca et RCA, mais rares sont les morceaux qui trouveront un écho. Il développera aussi une approche toute personnelle de classiques comme « I Love Paris » de Cole Porter : il faut imaginer un crooner qui beugle à pleins poumons et qui, sans prévenir, se lance dans l'imitation de ce qu'il imagine être des touristes chinois en goguette sur les bords de la Seine.

En 1960, Screamin' Jay Hawkins perd sa carte de musicien syndiqué et émigre à Hawaii. Il y ouvre une boîte où il chante tous les soirs. Par jalousie, sa maîtresse « Shoutin' » Pat Newborn, une chanteuse avec laquelle il avait formé un duo sur scène, tente de le tuer (d'un coup de couteau dans la poitrine) à la suite de son mariage, en 1964. Après des mois d'hôpital, il revient sur le continent américain présenter à un public éberlué un spectacle qui n'a rien perdu de son exubérance. Il grave « The Whammy » pour Roulette, mais les faces soul qu'il enregistre pour Decca à cette époque ne convainquent pas. Deux ans plus tard, il fait de la prison puis essaie de relancer sa carrière. Ce n'est qu'en 1969 que Hawkins rappelle de quoi il est vraiment capable avec l'album What That Is ! Ce premier disque pour Phillips contient de nouveaux classiques comme « Thing Called Woman », « Feast Of The Mau-Mau », « Do You Really Love Me » et le fameux « Constipation Blues », compte rendu scatologique d'une crise de constipation simultanément vécue et écrite sur un rouleau de papier toilette. Les ventes modestes de cet album réussi mettent hélas un frein à cette renaissance spectaculaire, et Hawkins, une fois de plus, doit se replier sur scène, enregistrant au passage quelques disques anodins pour une variété de petites marques au cours des années 70.

Sa propension à l'excentricité ne faiblira pas avec l'âge. Il a l'habitude de faire usage d'explosifs sur scène et en 1976 une explosion lui fait perdre la vue pour plusieurs semaines. Il brûlé au deuxième degré. Sorti de l'hôpital, il reprend la route, interprétant infatigablement le « Shout » des Isley Borthers. Les années 80 et 90 lui seront plus clémentes. Après s'être apparu au cinéma dans le film American Hot Wax (1978), on le reverra dans Mystery Train (1989) de Jim Jarmusch. Il joue régulièrement en France à partir de 1988, notamment à l'hôtel Méridien à Paris, qui relance sa carrière, et chauffe la salle pour les Rolling Stones au Madison Square Garden. De nombreuses compilations le font découvrir à une nouvelle génération d'amateurs. Enfin, il est récompensé par un vrai succès lorsque sa version du « Heart Attack And Wine » de Tom Waits entre dans les meilleures ventes après avoir servi de thème à une campagne de publicité pour une célèbre marque de pantalons.

Sous contrat avec les disques Demon en Grande-Bretagne, à 70 ans, Screamin' Jay Hawkins est plus actif que jamais depuis la fin des années 50. Marié avec une femme de quarante sa cadette, ce solide homme d'affaires vit à Levallois-Perret, dans la banlieue parisienne, face au café Limousin, non loin de l'hôtel Méridien, depuis janvier 1993. Cet orphelin raconte être le père de dizaines d'enfants et n'avoir qu'un seul regret, en dehors de sa carrière manquée de chanteur d'opéra, celui de ne s'en être jamais occupé.