The Shangri-Las SHANGRI-LAS (The) : groupe vocal de pop américain, 1964-1968.

- Mary Weiss : chanteuse principale. Née en 1947 à New York City (New York).
- Liz (Betty) Weiss : chanteuse. Née en 1948 à New York City.
- Marge (Margaret) Ganser : chanteuse. Née en 1947 à New York City. Morte en août 1996.
- Mary Ann Ganser : chanteuse. Née en 1947 à New York City. Morte en 1971.

Surnommé « The Queens of Teen Melodrama », ce groupe féminin new yorkais est l'auteur, sous la houlette du producteur George « Shadow »Morton, de certains des tubes les plus spectaculaires de la première moitié des années 60, comme « Remember (Walking In The Sand) » et « Leader Of The Pack », demeurés célèbres pour leur utilisation révolutionnaire d'effets sonores inhabituels et l'extravagance de leurs arrangements.

Les Shangris-Las n'étaient pas le genre de filles que l'on pouvait présenter à sa famille et n'étaient, pour tout dire, guère recommandables. Avec leurs cuissardes, leurs toutes petites minijupes et leurs voix de mâcheuses de chewing-gum, les Shangri-Las collectionnaient les fiancés douteux (« Leader Of The Pack »), passaient leurs nuits dans des boîtes pour le moins bizarres (« Sophisticated Boom Boom ») et étaient du genre à fuguer si maman levait le petit doigt (« I Can Never Go Home Anymore »). Jeunes filles émancipées avant la lettre, la tête pleine de rêves impossibles, elles chantaient l'amour absolu et célébraient la beauté de vivre dangereusement avec un élan et un abandon qui effrayaient les parents et faisaient bien entendu fondre les adolescent(e)s.

On n'en serait pas arrivé là si les sœurs Weiss et les jumelles Ganser n'avaient pas rencontré un jeune auteur-compositeur de Brooklyn, George « Shadow » Morton, qui modela entièrement leur image de « dures » comme leur « son ». Toutes les quatre ont commencé à chanter dans leur lycée qu quartier du Queens en 1963 et ont même enregistré deux 45 tours pour le label Smash, « Simon Says » et « Wishing Well », dont le style doo-wop on ne peut plus traditionnel ne pouvait laisser anticiper les explosions à venir. (Deux sources avancent, sans avoir jamais pu être vérifiées, que les Shangri-Las ont aussi gravé deux simples sous le nom de Bon-Bons pour Coral en 1963 et 1964). Morton, de son côté, était allé démarcher les disques Red Bird, parvenant à convaincre Jerry Leiber et Mike Stoller de lui confier un studio et des musiciens pour « faire un tube ». Tout comme il avait su trouver les mots justes pour convaincre les Shangri-Las, il sut mettre le duo dans sa poche et tint parole en lui offrant une chanson extraordinaire, « Remember (Walking In The Sand) ».

Shadow Morton n'avait pas la moindre formation musicale, ni aucune expérience du travail en studio. La légende veut même qu'il ait imaginé « Remember » sur le bord d'une route, dans la voiture qui l'emmenait à la séance d'enregistrement. Mais il avait l'oreille pour deux et de l'imagination pour dix. « Remember » est le premier disque pop à se servir d'effets sonores pour définir l'atmosphère et le paysage musical d'une chanson (un paysage dont l'ampleur rivalise avec celle des productions de Phil Spector). Dans le cas de « Remember », il s'agissait de cris de mouettes. Dans « Leader Of The Pack », du vrombissement d'une Harley-Davidson (la sienne). Dans « The Train From Kansas City », d'un train lancé à pleine allure, ingénieusement fondu avec le rythme effréné de percussions latines. Bref, Morton fut un inventeur, au sens plein du terme. « Remember » donne à Red Bird l'un de ses plus gros succès de son histoire dont l'impact se fait également sentir de l'autre côté de l'Atlantique, tout comme le disque suivant, « Leader Of The Pack ». Cette chanson est une tragédie en trois couplets, un pont et une coda de crissements de pneus, dont le héros est un beau rebelle aux yeux de braise que personne ne comprend, surtout pas les parents de Mary, qui explique aux trois autres Shangri-Las comment elle a rencontré son motard de rêve (« My folks were always putting him down/They said he came from the wrong side of town », « mes parents le rabaissaient tout le temps/Ils disaient qu'il venait d'un mauvais quartier »). Phil Spector avait inventé les « petites symphonies pour adolescents » ; Morton, lui, fait de l'opéra. « Leader Of The Pack » utilise la technique du parlando comme aucun autre disque pop n'a osé le faire : il faut tenter le coup de génie consistant à monter la voix de Mary Weiss dans le pont, pour donner l'illusion qu'elle partage ses confidences, non seulement avec les autres Shangri-Las, mais aussi avec tous les auditeurs. « Leader Of The Pack », bien sûr, est absurde, mais pas plus absurde que les coups de cœur absolus qui traversent l'adolescence. Accessoirement, le disque fut aussi n°1, et son authenticité émotionnelle lui a permis de redevenir un succès à deux autres reprises, en 1972 et 1976.

Morton a quatre chanteuses et actrices d'exception pour donner de la chair à ses mélodies de deux minutes trente et faire oublier ce qu'elles ont d'artificiel. Mary Weiss, avec son timbre nasal, est la tough cookie (« dure à cuire ») dont tout apprenti James Dean a rêvé. Et les paroles sont remarquables. Le dialogue de « Give Him A Great Big Kiss » mérite d'être cité. Les Shangri-Las, parlant du petit ami de Mary, encore un vaurien : « We hear he's bad… (« il paraît qu'il n'est pas comme il faut… ») – Mary : « He's bad but he's not evil » (« Il n'est pas comme il faut mais il n'est pas méchant ») ; « Is he a good dancer ? » (« Il danse bien ? ») ; « Whaddya mean, is he a good dancer ? » (« Comment ça il danse bine ? ») ; « But how does he dance ? » (« Mais comment est-ce qu'il danse ? ») « Close…very, very close… ». Les Shangri-Las ne dévieront pas de cette formule pendant les deux années à venir. Après « Give Him A Great Big Kiss », elles publient « Out In The Streets » (1965), encore une histoire de bon à rien dont le pont est l'un des moments les plus sublimes de l'histoire des girl groups ; « Give Us Your Blessings » (1965), Mary et son Jimmy en fugue par une nuit d'orage et « I Can Never Go Home Anymore », Mary ne reviendra jamais à la maison et maman en meurt de chagrin, chanson dans laquelle Mary Weiss crie un Mama ! bouleversant à serrer la gorge. Et il n'y a pas que ces tubes. Cachées en faces B, et dans leur album Shangri-Las 65 , se dissimulent des merveilles du genre : « The Train From Kansas City », « Heaven Only Knows », « Dressed In Black », « Paradise » et nombre d'autres compositions, signées de Shadow Morton ou du duo Barry-Greenwich, qui représentent l'apogée d'un genre au moment même où il est sur le point de passer à la trappe après l'arrivée des Beatles et de leurs imitateurs.

Red Bird, chez qui tous les disques des Shangri-Las avaient jusque-là paru, perdit beaucoup de son cachet et de son poids au près des distributeurs après que Leiber et Stoller eurent vendu (pour un dollar symbolique) leurs actions à leur partenaire George Goldner, au début de 1966. De fait, après trois succès modestes, « Long Live Our Love », « He Cried » et l'invraisemblable « Past, Present & Future », construit autour de la sonate Au clair de la lune de Beethoven, Morton et ses protégées (sans Betty, dont la participation avait été de plus en plus irrégulière depuis 1965) rejoignent Mercury pour deux 45 tours, dont le plus réussi, « Sweet Soft Sounds Of Summer », n'est pas même pas entré dans le Top 100 du Billboard. Les Shangri-Las sont parfois créditées du 45 tours « So Sotf, So Warm » produit par Morton et le compositeur Tony Michaels pour les Nu-Luvs.

En 1968, les Shangri-Las ont cessé d'exister ; Mary s'est reconvertie dans la décoration d'intérieur ; Betty et Marge se sont mariées ; et l'infortunée Mary Ann est morte d'une encéphalite en 1971. Les trois Shangri-Las survivantes se sont réunies en 1989 pour un concert unique à Palisades Park où, vêtues de cuir noir, elles ont déchaîné l'enthousiasme avec une version particulièrement musclée de « Leader Of The Pack ». (Marge mourra d'une overdose en 1996). Shadow Morton ne s'est pas retiré immédiatement de la scène. Il supervisera les premiers pas de Janis Ian et veillera également sur Vanilla Fudge avant de jouer un rôle déterminant (sans que son nom apparaisse sur les pochettes) dans la production de quelques-uns des albums le plus importants de la fin des années 60 et du début des années 70 : The Young Rascals, Projections (du Blues Project d'Al Kooper), Eli And The 13th Confession (Laura Nyro), In A Gadda-Da-Vida (Iron Butterfly) et Are You Experienced ? (The Jimi Hendrix Experience). Dans l'ombre, Morton était devenu l'un des créateurs de ce qu'on appelle parfois le « Long Island Sound », ainsi nommé parce qu'il a été élaboré aux Studios Ultrasonic de Long Island. Il a également produit en 1974 le second album des New York Dolls, Too Much, Too Soon. La réussite de ces projets n'a pas empêché Morton de sombrer dans l'alcoolisme à partir de 1976, et dans un silence dont il n'est sorti timidement qu'en 1991, après des années passées à lutter contre ses démons dans des centres de désintoxication. Fighting Again , album de rédemption, est le dernier témoignage que nous ait livré cet improvisateur génial.