SIMON
& GARFUNKEL : duo vocal de folk
et pop américain, 1964-1970
- Paul Simon : chanteur et guitariste. Né le 13.10.1941
à Newark (New Jersey).
- Art Garfunkel : chanteur. Né le 05.11.1941 à New York City (New York).
Ce duo new yorkais des années 60 reste l'un des plus populaires de l'histoire du disque, grâce à un mélange inégalé de raffinement vocal et de tendresse mélodique, comme en témoignent les inusables "The Sound of Silence", "Mrs Robinson" et "Bridge Over Troubled Water".
Simon et Garfunkel sont deux amis d'enfance. Ils grandissent à une centaine de mètres l'un de l'autre dans le qartier de Forest Hills, situé dans le district du Queens à New York. Ils fréquentent la même école où, à l'âge de onze ans, ils interprètent pour la première fois les chansons du dessin animé de Disney Alice au pays des merveilles. Dans le garage de la maison des parents d'Art Garfunkel, ils s'exercent avec beaucoup d'application sur les airs de doo-wop qu'ils entendent sur les stations de musique noire. Les parents leur laissent aussi l'usage d'une paire de magnétophone à bandes avec lesquels ils parviennent à réaliser artisanalement des parties d'harmonies à quatre voix. Ils composent leur première chanson, « The Girl For Me », en 1955. La découverte du rock'n' roll sert de détonateur à leurs débuts semi-professionnels. La maquette d'une chanson enregistrée en 1957, alors qu'ils n'ont que 15 ans, « Hey Schoolgirl », un pastiche des Everly Brothers, est remarquée par un certain Sid Prosen qui lance le titre avec succès sous sa marque confidentielle Big Records. Sous le nom de Tom & Jerry , ils se produisent à l'mission télévisée très suivie « American Bandstand », de Dick Clark. Grâce à ce passage, la chanson monte au n°49 du Billboard en 1958. Malheureusement, les trois 45 tours suivants ne donnent rien et les deux lycéens poursuivent leurs études, Simon en littérature et en droit au Queens College Carole King, tente de placer des chansons au Brill Building, la grande « usine à tubes » new-yorkaise. Il enregistre plusieurs 45 tours dont, sous le nom de Tico And The Triumphs, « Motorcycle » (1962) et, sous celui de Jerry Landis, « Lone Teen-Ranger » (1963), mais gagne surtout sa vie en chantant pour des maquettes de démonstration destinées à des maisons d'édition musicale. Garfunkel publiera, quant à lui, deux 45 tours sous le nom d'Artie Garr.
Au début des années 60, une révolution se produit à New York dans le quartier étudiant de Greenwich Village : la chanson folk engagée, se réclamant de l'exemple du troubadour et militant socialiste Woody Guthrie, se cristallise autour des figures de Bob Dylan et Joan Baez. Ce mouvement inspire à Paul Simon de nouvelles compositions, dont « Bleecker Street », une sorte d'ode aux poètes et aux cafés du Village. « Bob Dylan a été le premier à écrire sur la vie et le monde, avec intelligence et une maîtrise du langage. C'est lui qui m'a encouragé à m'y mettre sérieusement », dira Simon. De son côté, Garfunkel a fait le même chemin. Simon travaille alors comme représentant pour une maison d'édition musicale et, dans ce cadre, obtient un rendez-vous avec Tom Wilson, producteur affilié à Columbia. Il en profite pour présenter ses propres chansons, qu'il interprète avec son ami Garfunkel. Une audition est arrangée en mars 1964 : le duo chante « Bleecker Street » et le futur classique « The Sound of Silence ». La prise est assurée par l'ingénieur du son Roy Halee, qui restera le collaborateur privilégié du duo durant toute sa carrière. Les titres de ce qui constituera le premier album de Simon & Garfunkel, Wednesday Mornin 3 A.M. (1964), sont enregistrés le même mois en quelques séances. Un sous-titre accompagnera l'album : New Exciting Sounds in the Folk Tradition. Tout l'apport unique de Simon & Garfunkel y est déjà présent : quoiqu'inscrit dans le courant folk et militant, le duo privilégie la séduction des mélodies et la douceur des voix, venues d'un indéracinable amour du chant. Que ce soit la reprise de Bob Dylan, « The Times They Are a Changin' », ou une composition originale de Simon comme « He Was My Brother » (consacrée à son camarade du Queens College Andrew Goodman, un militant pour le mouvement des droits civiques assassiné par des membres du Ku Klux Klan dans le Mississippi en 1964), chaque chanson est abordée comme une pure mélodie. Le toucher de guitare de Simon, tout en arpèges, a la délicatesse du luth, et les voix de séraphins des deux chanteurs, qui s'élancent même dans un motet comme « Benedictus », semblent toujours célébrer l'amour courtois.
Une autre influence déterminante achève de façonner le style de Simon & Garfunkel : celle des guitaristes du folk britannique, que Simon rencontre à Londres. Simon s'est rendu une première fois à Londres en 1964, où il a enregistré en solo une version de « He Was My Brother » pour la petite compagnie Oriole. Après l'échec commercial de Wednesday Morning 3 A.M., le duo s'est séparé, et Simon a décidé de partir en voyage à travers l'Europe. Il se produit dans les clubs folk de Londres et de Copenhague et chante aux terrasses des cafés parisiens, ayant élu domicile sous le Pont-Neuf. A Londres, dans l'appartement de l'East End où il habite, passent Sandy Denny, future chanteuse de Fairport Convention, et son fiancé d'alors, le chanteur new yorkais Jackson C. Frank dont il produira l'unique et mythique album, ainsi que le chanteur Al Stewart. Il rencontre les guitaristes Bert Jansch, Martin Carthy et Davey Graham, qui lui apprennent de nouveaux accordages et des airs du folklore anglo-irlandais, comme « Scarborough Fair ». Il compose alors des chansons de voyage sur le modèle des ballades anglo-irlandaises, évoquant l'amour (« Kathy's Song »), la solitude (« Homeward Bound ») ou l'éloignement (« America »). Sur ces entrefaites on lui propose une séance d'enregistrement pour un programme religieux de la BBC. Ainsi, en janvier 1965, il grave douze chansons, dont quatre (« The Sound of Silence », « I Am A Rock », « A Most Peculiar Man » et « Bleecker Street ») sont retenues pour une diffusion à une heure de grande écoute au mois de mai. Un déluge de lettres d'auditeurs convainc CBS Londres de proposer à Paul Simon un nouveau contrat, lui permettant ainsi d'enregistrer seul, avec sa guitare, The Paul Simon Songbook avec un unique micro, pour la somme modique de 60 livres. Entre-temps, à New York s'est produit un coup de théâtre. Tom Wilson, à qui le triomphe de la version électrifiée du « Mr. Tambourine Man » de Dylan par The Byrds donne des idées, prend une initiative audacieuse ; demander aux musiciens qui viennent d'accompagner Bob Dylan pour la face « électrique » de Bringing It All Back Home (1965) de plaquer un accompagnement rock sur « The Sound of Silence ». Publiée en 45 tours, la chanson connaît un succès foudroyant et se retrouve n°1 en décembre 1965. Des millions de jeunes gens dans le monde se retrouvent dans cette chanson où résonne un appel à briser la solitude : « Hello darkness my old friend/I've come to talk with you again ».
Début 1966, Paul Simon annule tous ses plans : il rentre sur-le-champ à New York et retrouve Garfunkel. Le duo retourne aussitôt en studio pour enregistrer un nouvel album. Le résultat est publié en toute hâte début 1966 sous le titre de Sounds of Silence . L'influence du folk anglais est très marquée dans le jeu de guitare plus syncopé et harmoniquement riche de Simon dans « Kathy's Song » et « April Come She Will ». Le très pop « I Am A Rock », qui fait penser aux Hollies, un immense succès lors de sa publication en 45 tours quelques mois plus tard, et le véhément « Richard Cory » sont chantés avec beaucoup plus de nervosité que par le passé. Simon & Garfunkel se révèlent vite en pleine possession d'un style qui n'appartient qu'à eux. Pour la première fois, grâce à l'assurance croissante offerte par le succès des 45 tours « Homeward Bound » et « I Am A Rock », Paul Simon pourra tenter, à la façon des Beatles, divers styles et arrangements pour l'album Parsley, Sage, Rosemary And Thyme (1966) qui contient les inoubliables « Scarborough Fair Canticle » et « The 59th Street Bridge Song », où joue la section rythmique du Modern Jazz Quartet. Pour cet album, Simon chante aussi une de ses plus fines mélodies inspirées du folklore anglais, « For Emily, When I Find Her ». Simon & Garfunkel s'imposent dans une musique pop électrique : « A Hazy Shade of Winter » évoque vaguement « Oh ! Pretty Woman » de Roy Orbison, « At The Zoo » est un mélange de bossanova, de jazz et de pop à la Hollies, et « Fakin' It » (1967) s'inspire du folk-blues psychédélique californien à la Love. Ce succès constant permet au duo d'enregistrer Bookends (1968), un album que, pour la première fois, Simon & Garfunkel produisent eux-mêmes avec l'aide de leur ingénieur du son Roy Halee. La première face est conçue comme une suite consacrée aux différents âges de la vie, débutant par le bondissant « Save The Life of my Child » et s'achevant par le délicieux « Old Friends Bookends » dont le bel arrangement orchestral évoque Gershwin. Le résultat donne un album splendide où les rythmes brésiliens sont très présents : outre les mélodies raffinées de « Punky's Dillema » et « America », on y trouve une de leurs chansons les plus connues, « Mrs Robinson (1968), dont les paroles symboliques évoquent la mort de l'idéalisme américain : la chanson devient un succès mondial grâce à sa présence sur la bande-son du film de Mike Nichols Le Lauréat . Au printemps 1969 paraît en 45 tours une des chansons les plus touchantes et personnelles de Paul Simon, « The Bower », histoire d'un homme qui parvient à triompher de toutes ses épreuves, reprise l'année suivante par Bob Dylan dans Self-Portrait . Publié en 45 tours en février 1970, « Bridge Over Troubled Water » est magnifiquement inspiré des productions wagnériennes de Phil Spector pour les Righteous Brothers : commençant doucement comme un cantique fervent et recueilli, montant ensuite jusqu'à une explosion lyrique, cette chanson, l'une des plus souvent reprises de tous les temps, révèle quel merveilleux chanteur est Art Garfunkel. Elle restera n°1 dix semaines de suite. L'album du même nom est partagé entre des titres légers et bondissants, au parfum antillais, proches d' « Ob-La-Di, Ob-La-Da » de Paul McCartney, et des ballades crépusculaires, comme « So Long Frank Lloyd Wright » où, à travers l'évocation de la carrière d'architecte que Garfunkel aurait pu faire, la séparation du duo semble anticipée. Le joyeux « Cecilia », à la coloration hispanique ramenant au doo-wop, et « El Condor Pasa », tiré d'une mélodie du folklore andin que Simon avait entendue dans la rue, à Paris, interprétée par Los Incas, seront d'immenses succès dans le monde entier.
Après un concert à Forest Hills en été 1970, Simon & Garfunkel vont suivre chacun leur chemin. Dans un premier temps, Garfunkel se consacrera à sa carrière en solo. Un peu par accident, ils chanteront à nouveau ensemble « My Little Town » en 1975, une chanson qui figurera dans chacun de leurs albums solo de cette années-là et qui, publiée en 45 tours, atteindra le n°9. En 1978, en trio avec James Taylor, ils se retrouveront pour une reprise du « Wonderful World » de Sam Cooke. Le 15 août 1981, Simon & Garfunkel ont chanté à nouveau ensemble devant cinq cent mille spectateurs à Central Park. Il en est résulté une tournée mondiale triomphale l'année suivante et un double album multiplatine, The Concert in Central Park. Un album en studio est alors entrepris, mais les deux hommes entreront vite en conflit, Simon estimant en fin de compte ses chansons trop personnelles pour être partagées, puisqu'elles évoquent son récent divorce : il effacera des pistes les vocalises de Garfunkel et publiera sous son seul nom Hearts and Bones. Depuis, Simon & Garfunkel ont donné quelques concerts ensemble au début des années 90 pour différents œuvres de charité, mais, comme les Beatles, la magie de leur musique reste attachée et à l'idéalisme innocent de la période, bien révolue, des années 60.