VELVET UNDERGROUND, The : groupe de rock américain, 1965-1970.
- Lou Reed
: chanteur et guitariste. Né le 02.03.1942 à Brooklyn (New York).
- John Cale
: bassiste, altiste, pianiste et chanteur. Né le 04.12.1940 à Crynant (pays de Galles).
- Sterling Morrison
: guitariste et bassiste. Né le 29.08.1942 à East Meadow (New York), mort le 30.08.1995 à Poughkeepsie (New York).
- Maureen "Moe" Tucker
: batteuse. Né le 26.08.1945 dans le New Jersey.

Largement ignoré en son temps, ce groupe new yorkais est l'un de ceux qui ont le plus influencé le cours de l'histoire du rock à partir de 1970, et ce principalement avec son légendaire premier album paru en 1967, The Velvet Underground & Nico. Le Velvet Underground a révélé les talents de Lou Reed et John Cale, sans oublier l'ex-mannequin allemand Nico, devenue chanteuse. A contre-courant du mouvement hippie dominant, il a été le premier, suivant un chemin ouvert par Bob Dylan, à aborder dans le rock des thèmes adultes, littéraires et artistiques, puisés dans la peinture de la marginalité urbaine, que Lou Reed a décrite avec froideur, crudité et stylisation poétique. Situé au point de renconttre entre la poésie beat, le théâtre, l'avant-garde musicale et différentes formes de la musique populaire américaine, du rock'n' roll au folk, le Velvet Underground a été le point de référence de tous les groupes qui tentèrent de marier le rock avec une ambition artistique radicale et sans compromission. Sans le Velvet Underground, une immense part du rock allemand d'avant-garde comme du punk rock n'aurait pas existé, pas plus que Patti Smith, Joy Division, REM et bien d'autres.

En 1964, Lou Reed, fraîchement diplômé en littérature anglaise, travaille comme compositeur pour les disques Pickwick, une marque spécialisée dans les albums de bas de gamme visant à exploiter les tendances musicales à la mode. Son employeur est persuadé que « The Ostrich » (nom d'une nouvelle danse imaginaire, « l'Autruche »), un morceau aux paroles absurdes qu'il a composé, a de quoi faire un tube. Le titre est enregistré par le groupe maison et diffusé en 45 tours. Pickwick a cependant besoin de donner un visage au groupe qui joue ce morceau pour en assurer la promotion scénique : c'est ainsi que Lou Reed est chargé de recruter des musiciens pour quelques exhibitions. Il se met ainsi en rapport avec John Cale, venu là par curiosité. Ce dernier, qui n'a aucune expérience du rock, joue alors au sein du Theatre Of Eternal Music (qui donne à l'une de ses recherches de groupe le nom de The Dream Syndicate), un groupe expérimental animé par le compositeur La Monte Young dans son loft de Manhattan. Cale, originaire du pays de Galles, est arrivé aux Etats-Unis en 1963 pour étudier aux côtés de Xenakis dans une université du Massachusetts. Six mois plus tard, il s'est installé à New York, fréquentant rapidement la bouillonnante scène avant-gardiste, dont John Cage est le chef de file, jouant notamment avec Terry Riley.

Avec le violoniste Tony Conrad, son condisciple au sein du Theatre Of Eternal Music, et Walter DeMaria, un ami sculpteur et percussionniste, Cale se présente donc à Lou Reed. L'affaire est conclue : le quatuor fait une demi-douzaine d'apparitions, principalement dans des centres commerciaux, sous le nom des Primitives. Le 45 tours n'a aucun succès, et Conrad et DeMaria ont tôt fait de retourner à leur famille d'origine. Cale est sur le point de faire de même, quand Reed lui fait découvrir des compositions plus personnelles, refusées par Pickwick. L'une d'elles est « Heroin », écrite alors qu'il était encore à l'université. En s'injectant de l'héroïne pour la première fois quelques mois plus tôt, Reed avait contracté une hépatite qui, n'en déplaise au mythe, le dissuadera longtemps de recommencer (il consommera par la suite surtout du chanvre indien et des amphétamines). Pour Cale, c'est une révélation : « Les morceaux que Lou avait écrits pour Pickwick n'avaient rien de neuf ou d'excitant. Puis il m'a joué « Heroin » et ça m'a renversé. Les paroles et la musique étaient réellement lubriques et dévastatrices, et elles collaient parfaitement à ma conception de la musique. » Après l'avoir tenu en mépris, Cale est fasciné par le rock'n' roll, qu'il considère comme la musique la plus directe et le plus puissante jamais inventée, trouvant en Reed un initiateur et un alter ego. Ce dernier découvre pour sa part qu'il existe des musiciens d'avant-garde partageant les mêmes centres d'intérêt que lui, ce qui lui donne confiance. Il est d'autant plus excité que Cale, formé à l'alto et au piano classiques, lui propose de produire et d'enregistrer les morceaux immédiatement.

En janvier 1965, Lou Reed retrouve Sterling Morrison, un de ses rares amis de l'université de Syracuse, avec qui il a joué dans quelques groupes d'étudiants. Aîné d'une famille de six enfants, Morrison a étudié enfant la trompette avant de se mettre à la guitare et au rock, séduit par Django Reinhart comme par Mickey Baker, T-Bone Walker, Bo Diddley, Jimmy Reed, Chuck Berry, Lonnie Mack et Steve Cropper (voir Stax). Lou Reed l'invite à se joindre à son groupe naissant. Dans un appartement de Ludlow Street, le trio enregistre alors des maquettes dans un style très folk (« Venus In Furs » a même un côté médiéval et celtique). Dans le même immeuble, vit l'écossais excentrique Angus MacLise, qui a rencontré Cale en 1963 au sein du Theatre Of Eternal Music. Il rejoint aux tablas. Les musiciens prennent le nom des Warlocks, puis des Falling Spikes. Pendant les mois qui suivent, ils répètent avec acharnement, isolés de tout circuit musical. Ils expérimentent avec les guitares électriques, les claviers et la distorsion, enregistrant des heures de musique (un de leurs titres, « Loop » sera disponible en disque souple avec la livraison de décembre 1966 du magasine d'avant-garde Aspen) : « Nous aimions jouer pour nous-mêmes, c'est tout : pas de concerts, pas de maisons de disques, rien. Nous pensions pouvoir éventuellement intéresser une poignée d'amateurs de musique expérimentale, mais pas plus », racontera Morrison. Grâce à MacLise, ils jouent parfois à la cinémathèque de Jonas Mekas à New York pendant les projections de films underground de Piero Helizer, participant ainsi à ce qui est baptisé un « événement rituel », c'est-à-dire un spectacle multimédias avant la lettre, avec danseurs des deux sexes intitulé Launching The Dream Weapon, mais aussi durant un film de Kenneth Anger et le Christmas On Earth de Barbara Rubin, qui devient leur première véritable admiratrice. Le groupe se baptise alors The velvet underground d'après un livre enquêtant sur les perversions sexuelles aux Etats-Unis (échangisme, sadomasochisme…) prêté par leur voisin de palier Tony Conrad, membre de The Dream Syndicate. L'un de ces événements attire l'attention d'Al Aronowitz, un critique musical en vue, qui propose aux musiciens de donner un concert rémunéré. MacLise, qui refuse d'être payé pour sa musique, démissionne : par la suite, après avoir collaboré avec Terry Riley, il créera divers groupes, Dreamweapon, Joyous Lake et The Tribal Orchestra, avant de s'exiler en 1971 en inde, puis au Népal, mourant de malnutrition en 1979, à Katmandou, à l'âge de 41 ans. Reed et Morrison prennent alors contact avec Maureen Tucker, la sœur d'un de leurs camarades d'université. C'est une jeune femme discrète, travaillant comme perforatrice de cartes informatiques. Elle possède une batterie dont elle joue debout, à la façon de Frank Kirkland avec Bo Diddley. Son instrument, dépareillé, est réduit à une caisse claire, une grosse caisse, qu'elle a posée sur le flanc, un tom basse et une cymbale défoncée. Admiratrice de l'album Drums of Passion du percussionniste nigérian Babatunde Olatunji, elle expliquera sa démarche de la sorte : « Je voulais que ma batterie sonne africain. » Reed et Morrison sont également intéressés par l'ampli qu'elle possède. Embauchée à l'essai pour un concert dans un lycée du New Jersey, puis pour une semaine, « Moe » Tucker restera jusqu'à la fin.

En décembre 1965, le Velvet Underground est engagé dans un club de Greenwich Village, le Café Bizarre, pour se produire six soirs par semaine. C'est là que le groupe est repéré par Gerard Malanga et le cinéaste Paul Morrissey, deux collaborateurs d'Andy Warhol, amenés là par Barbara Rubin. Morrissey raconte : « La première chose qui m'a frappé a été Maureen, parce qu'on ne pouvait pas savoir si c'était un garçon ou une fille. La deuxième fut l'alto électrique de Cale. La troisième fut le morceau « Heroin ». » Cale a en effet conservé du Theatre Of Eternal music une innovation marquante : un alto classique sur lequel il a monté des cordes de guitare électrique. Peu après, le groupe est renvoyé du Café Bizarre pour avoir interprété une fois de trop « The Black Angel's Death Song », un de ses titres les plus bruyants, qui se conclut par un solo de guitare paroxystique, aussi violent qu'atonal. Warhol invite le Velvet Underground à s'installer à la Factory , lieu en permanente effervescence (on y consomme beaucoup d'amphétamines) où se croisent artistes, expérimentateurs, désaxés et parasites de tout poil. Warhol est alors dans une phase où il s'intéresse exclusivement à l'expérimentation cinématographique. Il a déjà réalisé quelques films comme Eat ou Sleep. Il se rend compte que le Velvet underground est un groupe d'une nature radicalement nouvelle, et qu'il peut l'inscrire dans son projet esthétique avant-gardiste. Jamais, jusque-là, le monde de l'art et le rock ne s'étaient rejoints : « Les sujets des chansons écrites avant notre rencontre correspondaient parfaitement avec les sujets de ses films. », commentera Lou Reed en 1990. Warhol propose au groupe de devenir son imprésario et de l'emmener avec lui dans les festivals et les galeries d'art, lui permettant en échange de profiter de sa renommée. Travailleur acharné, il pousse Lou Reed à composer et travailler sans relâche, l'encourageant avant tout à cultiver son originalité sans jamais se soucier de popularité, et à « conserver les gros mots » dans les paroles de ses chansons. Ce dernier dira d'ailleurs plus tard : « Andy nous a permis d'être le Velvet Underground. »

Parmi les personnages qui gravitent autour de la Factory figure Nico. Célébrée pour sa beauté, cet ancien mannequin s'est mis en tête de devenir chanteuse. Warhol suggère de faire du Velvet underground son groupe d'accompagnement. Reed est réservé, mais finit par composer pour elle quelques chansons plus apaisées. Warhol veut la voir sur scène, vêtue de blanc, surgissant comme une apparition au cœur du malaise que dégagent les musiciens, souvent habillés de sombre, portant leurs fameuses lunettes noires (ils les avaient adoptés pour atténuer l'aveuglement suscité par la projection des films de Warhol sur le fond de la scène par-dessus leurs silhouettes). L'effet est saisissant. Début 1966, le groupe assure la partie musicale d' « Andy Warhol's Up-tight », un spectacle multimédias combinant films expérimentaux, diapositives, jeux de lumière psychédéliques, musique improvisée, chansons et danse (Gerard Malanga, tout en cuir noir, frappe le sol d'un fouet). Celui-ci est présenté ensuite dans quelques villes des Etats-Unis sous le nom d' « Exploding Plastic Inevitable ». Nico y improvise des mélopées comme le répétitif « Melody Laughter » et interprète les futurs classiques de Lou Reed : « All Tomorrow's parties », un hymne à l'ingénuité, à la partie de claviers inspirée par Terry Riley, « I'll Be Your Mirror » ou « Femme Fatale ». Mêlant les influences de Bo Diddley, du doo-wop, du rhythm'n' blues, du jazz d'avant-garde et du rockabilly, le Velvet Underground chante la dépravation urbaine avec une froideur et un esthétisme baudelairiens : toxicomanie, prostitution, perversion, souffrance morale, violence et présence de la mort en sont les thèmes récurrents.

Début 1966, Andy Warhol, associé à Norman Dolph, ancien chef des ventes de Columbia, investit une partie des sommes gagnées avec l'EPI pour louer durant deux jours de mai un petit studio en construction à New York, Scepter. Warhol et Dolph assistent aux séances, supervisées par Lou Reed. Ils parviennent à obtenir un contrat avec Verve, un label de jazz et d'avant-garde appartenant à la MGM. A Los Angeles, où le groupe donne quelques concerts (Nico y aura une aventure avec Jim Morrison), les musiciens enregistrent de nouvelles versions de « Heroin », « Venus In Furs » et « I'm Waiting For The an » sous la houlette de Tom Wilson, un producteur noir de la Columbia connu à l'époque pour son travail avec Bob Dylan et Simon & Garfunkel. A New York, enfin, le groupe réenregistrera, toujours avec Wilson, une nouvelle version de « Sunday Morning ». Deux 45 tours, « All Tomorrow's parties », couplé avec « I'll Be Your Mirror », puis « Sunday Morning », avec « Femme Fatale », précèdent, en décembre 1966, la parution de The Velvet Underground & Nico, qui sort début 1967. Sa pochette s'orne de la fameuse banane peinte par Andy Warhol (sur les premiers exemplaires, la banane peut être « pelée », laissant apparaître la chair du fruit dont la couleur rose renforce le sous-entendu sexuel ; le bruit courra que la banane a été imprégnée de LSD). Traitant de thèmes radicalement différnts du rock psychédélique et de l'atmosphère du Summer of Love qui s'annonce, c'est un album sombre et déroutant dont les compositions vénéneuses tirent leur force, à l'image de la fusion nucléaire, de la collision entre le rock'n' roll teigneux et dépouillé de Lou Reed et l'approche plus iconoclaste prônée par Cale (parties de basse inattendues, larsens, crissements de violons, tonnerre de guitares atonales, bruitages divers). Dans cette ambiance tendue, le style rudimentaire et instinctif de « Moe » Tucker fait merveille, comme pour « Heroin » qu'elle accompagne de roulements orageux de tom basse, ou « All Tomorrow's Parties », rythmés par ses coups de maillets implacables. Nico apparaît dans « I'll Be Your Mirror », « Femme Fatale » et l'envoûtant « All Tomorrow's Parties », trois titres marqués par sa voix sépulcrale et le profond sentiment de fatalité qu'ils inspirent. The Velvet Underground & Nico se distingue également par les paroles de Reed, qui rêve de marier rock et littérature : « Il me semblait évident d'aborder les chansons comme un romancier, à tel point que je comprenais pas pourquoi personne ne le faisait. » Truffés de raccourcis déconcertants et d'expressions argotiques, ses textes s'inspirent du style des écrivains beat. Ils décrivent avec crudité le petit monde de la Factory, du New York de la bohème et des bas-fonds, un monde en trompe-l'œil dont les acteurs s'abîment dans un tourbillon de délices destructeurs mêlant fêtes orgiaques, drogues (« Heroin », récit poétique du voyage d'un homme halluciné qui répète qu' « il ne sait pas », « I'm Waiting For The Man », qui raconte l'histoire d'un jeune blanc drogué à la recherche de son revendeur dans un quartier noir) et sadomasochisme (« Venus In Furs », d'après La Vénus à la fourrure de Sacher-Masoch). Reed a dédié le morceau « European Son » à Delmore Schwartz, son professeur de poésie et ami, mort en 1966, qui est à l'origine de sa vocation littéraire.
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