Où commence le rock, où s'achève-t-il (ou pas)? Comme beaucoup le savent sans doute, le terme de rock'n'roll s'est répandu dans le monde à la fin des années 50, principalement grâce au succès d'Elvis Presley. Fusion du blues, du rythm'n blues, du gospel, du doo-wop et de la country, cette musique résultait des liens, longtemps clandestins, traditionnellement tissées aux Etats-Unis entre Noirs et Blancs de condition modeste, notamment dans les Etats du Sud-Est (Mississippi, Tennessee, Louisiane...) La diffusion rapide du rock'n'roll reste inséparable, aux Etats-Unis, de la propagation d'un nouveau moyen de communication, la télévision, qui en amplifia considérablement l'impact. Dans le reste du monde, la radio lui donna d'abord toute son ampleur. On peut ainsi considérer que le rock'n'roll existait déjà avant qu'il ne fût baptisé ainsi et que ce terme lancé par le disc-jockey Alan Freed se réduit à une étiquette destinée à en faciliter la diffusion et le commerce de masse. C'est pourquoi ce site accorde une place aux précurseurs du genre tout en y incluant des notices consacrées au bluesmen Robert Johnson (référence au nom du site...) et d'Hank Williams.

1964 année du débarquement triomphal des Beatles aux Etats-Unis marque le début d'une nouvelle ère où l'on commence à parler de rock et non plus de rock'n'roll. Rapidement tout converge vers le rock qui devient dans le monde anglo-saxon le courant fédérateur de toutes les musiques populaires interprétées par la jeune génération. Le mouvement sera irréversible : différents folklores et styles de chansons populaires, mélodies et orchestrations issues de répertoires des musiques baroque et classique, musique indienne, nouvelles sonorités électroniques, jusqu'au jazz, tout est entraîné par la force du rock, premier véritable courant de fusion. C'est alors que surgissent des interprètes venus d'horizons extra-musicaux qui, en d'autres temps, auraient été poètes, militants politiques, peintres, cinéastes, journalistes, photographes. Mais ce mouvement d'absorption et de concentration est vite suivi, dès la fin des années 60, par un mouvement opposé de déflagration. Un nombre de genres particuliers se développe, affirmant une autonomie croissante dans les années 70 : blues-rock, hard-rock, country-rock, jazz-rock, progressive rock. Cette tendance à l'émiettement s'accentuera sous l'influence d'autres courants musicaux : reggae, musique électronique, musique latino-américaine.

Au milieu des années 70, il reste peu de rock'n'roll dans le rock. D'où la révolution paradoxale du punk rock dans les années 1976-1977: en regardant en arrière vers la crudité, l'amateurisme et la sauvagerie des premiers rockers, elle renouvellera radicalement le paysage musical, marquant une sorte d'an zéro du rock tel qu'on le connaît aujourd'hui. Assez peu populaire en son temps, le mouvement punk a exercé un travail souterrain, créant la base qui permit au rock de devenir dans les années 80 la musique populaire dominante, grâce à un langage simplifié et d'autant plus efficace. Surtout, il permit à des groupes de sensibilité nouvelle (qu'on appela en France new wave alors qu'on utilise plus justement le terme post-punk dans les pays anglo-saxons), de toucher un large public. Nombre d'interprètes de chansons populaires, dans tous les pays du monde, adoptent le langage du rock, ses rythmes et ses sons remplaçant les orchestrations traditionnelles.

Dès le début des années 80, pourtant, l'hégémonie du rock sera mise à mal par l'émergence de nouveaux courants. Il est alors entré de manière spectaculaire dans l'ère de la communication professionnelle grâce à l'apparition du vidéo-clip et bientôt de la chaîne musicale MTV, rélayée et imitée par tout le monde. Cette révolution qui le fit enter dans tous les foyers aura tôt fait de lui ôter une partie de son sens et de son message. De façon concomitante apparaît le rap ou hip-hop qui rend aux textes un sens et une portée sociale du moins au début que le rock a progressivement abandonnés au profit d'expressions insignifiantes ou délibérément personnelles. Parallèlement, le mouvement des raves-parties, apparu dès les années 1988-1989, sert de rampe de lancement à des musiques de danse reposant exclusivement sur es sonorités électroniques et les procédés du sampling (échantillonage de sonorités prises aux sources différentes) : house, techno et jungle. Antérieur à cela, le mouvement de la world music a ravi au rock dès le début des années 80 son rôle jusque-là unique de catalyseur, permettant une fusion sans précédent de musiques prises aux souces les plus diverses et les plus lointaines. Tous ces courants sont liés par une révolution technologique : désormais, grâce aux échantillonneurs et à la micro-informatique, chacun peut réaliser sa propre musique et le rôle fédérateur et hégémonique du rock, avec ses studios, ses producteurs, ses styles clairement répertoriés, n'est plus qu'un lointain souvenir.

L'idée est que le rock fut une grande aventure collective de ces quarante dernières années, avec son mélange de naïveté, d'idéalisme, de mégalomanie, mysticisme et parfois de folie. Durant la période qui suivit l'immédiate après-guerre, marquée en Europe par un effondrement progressif des valeurs enseignées par les générations précédentes, la politique et la religion offrirent d'autres voies à l'engagement collectif. Mais le rock représenta le seul élan radicalement neuf, le seul suscepticle de faire naître un nouveau monde qui, pour le meilleur et pour le pire, ressemble à celui dans lequel nous vivons... Il fut une croisade où s'enrôlèrent nombre d'enthousiates, enflammés par la promesse que tout était possible et que le monde ne dresserait aucune frontière à leurs désirs, à leur imagination ni à leur liberté. Que cet élan ait suscité déceptions, drames et désastres est le revers inévitable d'une telle aventure. Celle-ci est modestement contée ici : les moments de bonheur pur et de générosité folle y côtoient les lentes chutes dans la folie et parfois la mort