GIRLS GROUP : style de formation féminine pop américain, 1958-1965.

Les « groupes de filles » désignent un genre bien précis de la musique populaire américaine, situé entre l'explosion du rock'n' roll et l'arrivée des Beatles. Façonné par des compositeurs du Brill Building à New York et des producteurs tels que Phil Spector, « Shadow » Morton et George Goldner, ce style donna naissance à une pléiade de formations, dont les Shirelles, les Ronettes, les Shangri-La's et les Supremes , qui influencèrent profondément les Beatles.

Le phénomène est clairement circonscrit. Dans les temps, tout d'abord, du premier tube des Chantels (« Maybe », janvier 1958), produit par George Goldner, à l'ultime succès des Shangri-La's, « I Can Never Go Home Anyway », en 1965, réalisé par « Shadow » Morton. Il coïncide avec la césure émotionnelle ouverte par le départ d'Elvis Presley pour l'armée, ne disparaissant qu'avec le raz-marée des Beatles. Dans l'espace, ensuite, et pour cause : si les voix sont féminines, les chansons, elles, sortent des doigts de compositeurs new yorkais employés à faire du tube au mètre et dont les bureaux donnent tout sur Broadway. Les deux forteresses du genre, les labels Philles (producteur : Phil Spector ; artistes : Angels, Shandri-La's, Jelly Beans, Dixie Cups…) sont basées à New York, tout comme leurs plus modestes concurrents, Laurie (Chiffons) et Scepter (Shirelles), Motown, dont le centre de gravité est Detroit, joue un autre jeu. Les Supremes et les Vandellas sont de simples faire-valoir à la formation interchangeable, dont l'unique raison d'être est leurs solistes, Diana Ross et Martha Reeves, qui chantent l'amour comme deux femmes, et non deux adolescentes, une distinction cruciale si l'on veut comprendre ce qui fait du rock « girl group » un genre à part entière (en fait, toutes les formations vocales signées par Berry Gordy, seules les Marvelettes, « Please Mr. Postman », ont un quelconque lien de parenté avec l'esthétique paradoxale du genre.)

Le paradoxe tient tout d'abord à ce que ces groupes accueillent des voix exceptionnelles : Darlene Love pour les Crystals, Ronnie Spector pour les Ronettes, Arlene Smith pour les Chantels et (la plus grande ?) Shirley Owens-Alston pour les Shirelles. Et au fait que pas une seule de ces chanteuses ne soit parvenue à mener une carrière de premier plan au-delà de l'environnement très discipliné des girls groups. C'est que, derrière chacune de ces formation de collégiennes (découvertes dans des concours ou des radio-crochets), se cache un producteur qui choisit leurs chansons (allant parfois jusqu'à les écrire) et en supervise l'enregistrement en studio.

On cherchera en vain un autre genre dans lequel le producteur aura joué un rôle aussi déterminant. Sans Phil Spector et son mur sonore, pas de Crystals ou de Ronettes ; sans George Goldner, pas de Dixie Cups ; sans « Shadow » Morton et ses effets (cris de mouette, trains, motos) en dépit de la personnalité de Mary Weiss, leur principale chanteuse, pas de Shangri-La's. Et, lorsque les Shirelles perdirent les services de Luther Dixon après avoir aligné quarante succès de 1960 à 1962, elles perdirent aussi tout espoir d'enrichir l'un des plus beaux palmarès du genre.

Le miracle tient à ce que ces producteurs omnipotents surent préserver toute la fraîcheur des voix de leurs interprètes, se fixant comme quête de façonner le parfait écrin dans lequel elles pouvaient exprimer sans le moindre cynisme les joies et les frustrations des amours adolescentes. Comme l'a écrit le critique américain Greil Marcus, « la musique des girl groups était une musique de célébration de joies simples, de l'innocence, du sexe, parfois de la vie elle-même mais le plus souvent du garçon. Le garçon est la figure centrale mythique du rock « girl group ». Il est mystérieux… Il est irrésistible, et presque jamais macho. » Il est le rebelle d' «Out In The Streets » et de « Leader Of The Pack » (Shangri-La's), l'amant de la première fois (« Will You Love Me Tomorrow », les Shirelles), l'objet de tous les désirs (« He's So Fine » des Chiffons, « The Kind Of Boy You Can't Forget » des Raindrops), le solitaire romantique du « Walking In The Rain » des Ronettes. On le devine brun, avec des yeux de braise, mince et silencieux. Vêtu de cuir, il laisse les T-Birds et les hot-roads aux surfers californiens et s'enfonce dans la nuit sur sa Harley-Davidson. Il est le rêve, la liberté et, si tout cela finit avec la Marche nuptiale de Mendelssohn (« Chapel Of Love », Dixie Cups), on peut être sûr que papa et maman ne sont pas trop satisfaits de ce choix.

C'est que la pop des girl groups a pour raison d'être une utopie, comme le genre lui-même en fut une.. On ne saurait oublier que Phil Spector n'avait que 23 ans lorsqu'il produisit « Be My Baby », le même âge qu'Ellie Greenwich, auteur des paroles de cette teen symphony. Ces « manipulateurs » étaient presque aussi jeunes que leurs interprètes, assez jeunes pour avoir conservé (entretenu ?) le sens de l'(absolu, qui n'appartient qu'à l'adolescence, avec suffisamment de respect pour que, trente ans plus tard, leur pop calculée au millimètre nous rappelle qu'il est possible de marier le savoir faire le plus habile et l'émotion la plus authentique.