6°) LES ANNEES 50 : BLUES ELECTRIQUE ET CHICAGO BLUES

D’abord danseur de claquettes des vaudevilles, le texan T-Bone Walker enregistre à la guitare dès 1929. Il adopte la guitare amplifiée électriquement dès 1937 en rencontrant le jazzman de premier plan Charlie Christian, lui aussi pionniers de cet instrument dès la même année. Ouvert à tous les styles, Walker devient bientôt le symbole du style « Côte Ouest », plus sophistiqué et jazzy. Les guitares deviennent le plus souvent électriques et ce n’est qu’à trente-cinq ans que le bluesman texan Sam « Lightnin’ » Hopkins commence à enregistrer. Il ne s’arrêtera plus et son style chaud, intime, simple et solitaire restera l’un des plus influents du siècle. Les texans Frankie Lee Sims (« Soul Twist ») et Lil’ Son Jackson enregistrent des disques très émouvants dans ce même genre intimiste. A Detroit (Michigan), John Lee Hooker (« Black Blues Man », « Boogie Chillen » en 1948, « Goin’ Mad Blues » en 1949) commence une longue carrière solo, mais avec un style plus nerveux où il frappe bruyamment le rythme du pied. Son instrument amplifié, utilisé avec parcimonie et simplicité, est le prolongement de sa voix. Il deviendra l’une des rares grandes célébrités du blues, capable de renouveler son public. Originaire de l’Alabama, le chanteur Eddie Kirkland, un grand talent méconnu, enregistre avec Hooker. L’alcoolique Smokey Hogg, qui enregistre depuis 1937, amplifie outrageusement sa guitare après-guerre et obtient ainsi un grand succès populaire. Parmi les premiers bluesmen du Mississippi à électrifier le blues de Chicago, il faut signaler le méconnu Floyd Jones. Venu des chorales religieuses, Guitar Slim (« The Things I Used To Do ») est un pionnier du genre. Il est suivi par son disciple Earl King, qui deviendra un professionnel du rock’n’ roll.

La guitare slide et le style très influent de Robert Johnson sont électrifiés par ses émules. De plus, la musique rurale des Blancs du Texas popularise un nouvel instrument, la pedal steel guitar, aux effets de glissando similaires, et incite les bluesmen à développer ce genre. Parmi les nouvelles vedettes à Chicago, les as de la slide sont Elmore James (dont le grand succès « Dust My Broom » en 1952 est une reprise de Robert Johnson), Muddy Waters (« I Can’t Be Satisfied »), « Mannish Boy »), qui devient vite un des géants du blues, Johnny Shines (« Ramblin’ »), puis Hound Dog Taylor, roi du boogie brûlant et rapide dont la main gauche a six doigts (il glisse son bottleneck sur son sixième et dernier doigt). Les harmonicistes virtuoses Little Walter (« My Babe »), Snooky Prior (« Telephone Blues ») et John Lee « Sonny Boy » Williamson (« Bluebird Blues ») et de grands talents comme J.B. Hutto, Robert Nightthawk (« Sweet Little Angel »), le californien Lowell Fulsom (« River Blues »), Arthur « Big Boy » Crudup (« Mean Ol’ Frisco »), « Pee Wee » Crayton, Eddie Clearwater (l’imitateur de Chuck Berry), Homesick James, les guitaristes solistes de Muddy Waters Luther Johnson (ne pas confondre avec Luther Johnson Junior) et Jimmy Rogers surgissent avec un blues urbain qui a conservé la dureté et l’intensité dramatique du country blues du delta. Howlin’ Wolf ‘ « Smokestack Lightnin’ »), accompagné par son guitariste soliste Hubert Sumlin, est le seul à tenir la dragée haute au grand Muddy Waters.


L’électrification de la guitare devient systématique. D’abord à Memphis, puis à Los Angeles, le style électrique élaboré de B.B. King, fondé sur les innovations de Lonnie Johnson et influencé par T-Bone Walker, connaît un énorme et très durable succès (dès 1949), dont l’impact est considérable chez les guitaristes de l’époque. Ils le copient tous sans vergogne, au point que ce courant devient étouffant. Parmi eux, Otis Rush, Buddy Guy, Little Milton, Little Joe Blue et le chauffeur de B.B. King, Bobby « Blue » Bland, qui calque son style sur celui de son patron avant de trouver le succès avec un blues sophistiqué et très doux, exploitant sa belle voix dans un style assez crooner. Junior Parker (« Mystery Train ») l’imite d’ailleurs avec talent. Tout comme le brillant soliste et compositeur T-Bone Walker (« Stormy Monday », 1947), qui influence énormément Chuck Berry, B.B. King est vite accompagné par un orchestre avec cuivres et présente un style rappelant celui des grandes formations de jazz, comme celle de Benny Goodman où jouait le virtuose pionnier de la guitare électrique Charlie Christian, Clarence « Gatemouth » Brown, très marqué par T-Bone Walker et son big band, marie blues et rythm’n’ blues avec un style de guitare personnel. L’excellent Johnny « Guitar » Watson, lui aussi sous l’influence de T-Bone Walker, fera par la suite carrière dans la soul et le funk avec humour. Le pianiste Ray Charles (« Losing Hand ») chante un blues aux intonations semblables aux chants d’église gospel qu’il adapte avec succès en chansons populaires. Il est aussi marqué par des crooners comme Nat « King » Cole. Ray Charles choisit à son tour la grande formation. Un de ses arrangeurs, Mickey Baker, un musicien de studio professionnel, est un extraordinaire guitariste qui enregistrera plusieurs chefs-d’œuvre dans divers styles, notamment des blues d’une grande originalité et d’une grande classe. Il sera un des premiers à faire saturer sa guitare sur scène dans son spectacle Mickey & Sylvia (« Love Is Strange »). Percy Mayfield, parolier attitré de Ray Charles pour qui il écrit « Hit The Road Jack », est aussi un chanteur remarquable (« It Serves You Right To Suffer »).