LE RHYTHM'N' BLUES : style et étiquette musical apparu aux Etats-Unis dans les années 40.

A l'origine forme de blues, la signification de ce terme désignant une musique jouée exclusivement, à ses débuts, par des noirs, a évolué au fil des années.

La fin de la Seconde Guerre mondiale coïncide avec une demande de divertissement sans précédent aux Etats-Unis, et la musique noire américaine connaît une extraordinaire explosion créative. Les grandes formations de jazz de Count Basie et son blues shouter le chanteur Jimmy Rushing, de Lionel Hampton, Buddy Johnson, Cootie Williams ou Lucky Millinder répondant d'abord à cette demande au moment où les quintettes du mouvement bop, mené par Charlie Parker, révolutionnent le jazz, qui devient soudain le jazz moderne. Avec le bop, le tempo du jazz s'accélère. Le blues l'imite souvent et devient alors jump blues ou rhythm and blues.


A la fin des années 40, les meilleures ventes de la race music américaine commencent à être classés dans les magazines spécialisés américains. Elle figurent désormais dans une colonne intitulée rhythm'n' blues ou r'n'b, séparée de la colonne pop réservée aux artistes populaires, donc a priori, blancs. La guitare électrique et la batterie sont déjà largement répandues dans le blues. Le jump blues d'après-guerre est plus ou moins marqué, selon les artistes, par le rythme boogie-woogie, les structures harmoniques du blues, le jazz (cuivres) et le gospel. Il se distingue surtout du blues pur par ses thèmes plus gais, l'accent mis sur la batterie et un tempo plus rapide. Avec des titres comme le « Good Rockin' Tonight » de Roy Brown, le rhythm'n' blues des années 40 contenait déjà tous les éléments de ce que le grand public appellerait le rock'n' roll au milieu des années 50. Blues électrique des guitaristes T-Bone Walker et le B.B. King, grande formation de Louis Jordan, combos de pianistes crooners comme Nat »King » Cole, Roy Brown, Charles Brown, boogie-woogie moderne d'Amos Milburn (« Down The Road Apiece », 1946), blues shouters comme Wynonie Harris (« Rock Mr. Blues », 1950) ou Big Joe Turner (« Shattle Rattle And Roll », 1954), vedettes populaires comme Ruth Brown, Antoine « Fats » Domino (« Rockin' Chair », 1951), doo-wop vocal (Coasters, « Riot In Cell Block #9 », « Smokey Joe's Cafe », 1955) des bird groups (« groupes au nom d'oiseau ») de doo-wop comme les Penguins, rhythm and gospel de James Brown (« Please Please Please », 1956) ou Ray Charles, le rhythm'n' blues est peu à peu à découvert par le public blanc après la guerre.

Dès 1950, l'animateur de radio blanc Alan Freed présente le rhythm'n' blues sous les noms de big beat music ou, déjà, de rock'n' roll, des termes qui n'ont pas encore la connotation ségrégationniste de l'appellation rhythm'n' blues, gênante pour attirer le grand public. En France, pour se référer à cette période, certains spécialistes préfèrent le terme trouble de « black rock ». Après le « Rock Around The Clock » de Billy Haley et surtout l'interprétation de tubes du rhythm'n' blues par Elvis Presley et ses musiciens blancs de hillbilly-rockabilly, le plus souvent le terme de rock'n' roll n'inclut pas les artistes noirs, qui jouent pourtant fondamentalement la même musique, et pour cause, puisque ce sont eux que les Blancs ont copiés, comme en atteste par exemple le premier succès de Jerry Lee Lewis « Whole Lotta Shakin' Goin' On », emprunté à Mabel « Big Maybelle » Smith. Chuck Berry, Fats Domino et Little Richard échappent à peu près à cet apartheid stylistique et touchent une partie du public blanc, certes plus facile à convaincre lorsque l'artiste est lui-même blanc.

Mais le terme rhythm'n' blues reste associé à la musique américaine exclusivement noire, alors qu'il a des influences très mêlées et qu'il est souvent exécuté par des musiciens de groupes en partie blancs, comme bientôt Booker T. & The MG's au studio des disques Stax, temple du rhythm'n' blues. Plus que jamais, l'absurdité d'une distinction entre musiques noire et blanche est frappante dans l'Amérique alors encore en partie ségrégationniste. Avec l'émergence d'artistes noirs très populaires comme Sam Cooke, Clyde McPhatter ou Jackie Wilson, le rhythm'n' blues se rebaptise peu à peu soul music à la fin de la décennie, se démarquant progressivement du blues par une diversification mélodique et harmonique. Mais, pour le plus grand nombre, le rhythm'n' blues reste le terme générique du très riche rock noir américain des années 60 : la soul des disques Atlantic, Motown, Stax, avec Otis Redding, Smokey Robinson, Stevie Wonder, Sam & Dave et des centaines d'artistes très différents. Les multiples formes de rhythm'n' blues-soul sont en réalité typées par la région d'où elles proviennent, du Canada à la Jamaïque et de Los Angeles à New York.

L'apparition de la musique psychédélique en 1966-1967 démode le terme rhythm'n' blues. Le terme rock à la mode indique en fait surtout que les interprètes sont des blancs, et ce malgré des exceptions comme Jimi Hendrix, dont la maison de disques vise le grand public blanc. Les musiciens noirs américains préfèrent l'appellation de soul, liée à la lutte pour les droits civiques et à l'émancipation des noirs, puis à partir des années 70 le mot funk s'y subsiste. En Europe, à la fin des années 70, les amateurs de musique noire américaine préfèrent souvent utiliser le terme de rhythm'n' blues, signifiant un style classique, bien senti, comme une sorte de gage d'authenticité pour décrire ce qui est en réalité une musique pop américaine tout simplement interprétée par des artistes noirs. Un mot tellement symbolique de la quête d'une hypothétique authenticité que des chanteurs blancs britanniques comme Joe Cocker préfèrent finalement utiliser le terme rhythm'n' bues pour décrire le style d'arrangements soul dans les années 80. Le film The Blues Brothers avec John Belushi achève de semer la confusion en présentant à un très large public des chanteurs blancs interprétant les plus grands classiques de la soul music et du rhythm'n' blues. Dans les années 90, le terme « r'n'b » ou « new jack » est le plus souvent associé aux lentes chansons d'amour de formations vocales comme Boyz II Men qui permettent aux légendaires disques Motown de se relever, ou Mariah Carey, facette pop du courant hip-hop, proche du son de Philadelphie des années 70 et du doo-wop des années 50. Tim Balland introduit le terme de « heavy r'n'b » pour dissocier son style du « new jack », à connotation trop commerciale, et un nouveau courant étiqueté « r'n'b » se distingue avec Teddy Riley, Jodeci, Aaron Hall, Babyface & L.A. Reid, R. Kelly, Puff Daddy, Rodney Jenkins, Dallas Austin…