SINGLE  : format de diffusion discographique.

Adjectif anglais signifiant unique ou simple , le single a été désigné chez nous comme 45 tours durant le règne du microsillon, c'est-à-dire de 1960 à la fin des années 80. Disque de petit format, il est inséparable de l'âge d'or du rock, au milieu des années 60. Il était alors courant que les groupes majeurs, Beatles, Rolling Stones, Kinks, Beach Boys…publient de façon très rapprochée des singles qui, la plupart du temps, n'étaient pas disponibles avec les albums. Il existait aussi la formule de l'EP à quatre titres, largement majoritaire en France sous le nom de super-45 tours. Dès 1968, quand le rock devint adulte et se prit au sérieux, le 45 tours commença à être considéré avec un certain mépris. Si l'on met à part le phénomène du glam rock, les années 70 furent dominées par le format des albums 33 tours. Le 45 tours connut une ultime flambée avec le mouvement punk-new wave de 1977-1978, devenant une sorte de tract diffusé par de petites compagnies indépendantes. Dans les années 80, avec l'avènement du vidéo-clip, il perdit de sa spécificité pour devenir l'accompagnement promotionnel d'un album, une situation qui perdure avec le format actuel du CD single.

On l'oublie trop souvent : environ 90% des titres qui ont fait l'histoire du rock n'ont longtemps été accessibles que sous la forme de 45 tours, avant d'être disponibles, bien plus tard, dans des compilations. C'est la cas de l'essentiel des enregistrements du blues, de rockabilly, de british beat, de rock garage américain, d'acid rock, comme au rock indépendant des années 70-80. A nombre de ces musiciens, dont certains ont été parmi les plus influents de leur temps, il n'a souvent pas même été donné la possibilité d'enregistrer un album.

Pour des raisons techniques, le single (ou simple) a été pendant longtemps le seul support de toute musique enregistrée. Dans les années d'avant la Seconde Guerre mondiale sont sortis une multitude de titres de blues et hillbilly sous la forme de 78 tours en Shellac, dont une partie seulement a été recyclée sur vinyle puis sur CD. Survenant dès la fin des années 40, la révolution du microsillon est en premier lieu à l'origine de la notion de single, tournant désormais à 45 tours par minute (on dit aussi SP, abréviation de single player), par opposition à l'album que le nouveau procédé (ou LP abréviation de long player) que le nouveau procédé permet enfin de réaliser et qui tourne à 33 tours par minute. Les singles pressés sur vinyle cohabiteront longtemps avec les 78 tours. Les tout premiers d'entre eux, en vérité, sont plus spécialement destinés aux juke-boxes, le grand public ne disposant pas encore de l'équipement nécessaire pour les écouter. Ainsi, en 1956, c'est encore sous forme de 78 tours que se vend au Royaume-Uni le fameux « Only You » des Platters, les seuls pressages en vinyle étant réservés à l'exportation. En 1960, on fabrique dans le monde occidental les derniers disques en Shellac. Nombre de foyers sont alors équipés de ce qu'on appelle des « pick-up » (qu'on baptisera ensuite « électrophones » puis « platines » quand la « chaîne haute fidélité » se composera de plusieurs éléments séparés).

L'arrivée du microsillon coïncide, spécialement aux Etats-Unis, avec l'accession au marché d'une jeune génération qui a beaucoup plus d'argent à dépenser que toutes celles qui l'ont précédée. Ainsi, les ventes de singles s'envolent au milieu des années 50, permettant de faire du rock'n' roll le mouvement de masse que l'on sait. La fabrication de 45 tours est très facile et bon marché. A l'ombre des singles d'Elvis Presley et de Pat Boone, qui dépassent régulièrement le million d'exemplaires, on voit paraître des dizaines de milliers de simples publiés par de petits labels qui se forment un peu partout. C'est pourquoi de centaines de morceaux aujourd'hui légendaires passent alors inaperçus, étouffés par cette concurrence sans merci. Enregistrer un simple, dans les années 50, est aussi une nouvelle manière de vivre le rêve américain : pour un investissement minimal, chacun peut espérer gloire et fortune.

En concurrence avec le single est mis sur le marché un autre type de 45 tours : l'EP (abréviation d' extended player), qui se présente généralement sous une pochette cartonnée, proposant deux titres par face. Ce format intermédiaire entre le single et le LP se développe surtout dans les pays où le pouvoir d'achat des jeunes ne leur permet que rarement le luxe de se payer un album. Il sera ainsi plus vivace en Grande-Bretagne qu'aux Etats-Unis et remplacera même assez longtemps le single dans de nombreux pays comme l'Espagne, le Portugal et la France. Chez nous, en effet, les EP re présenteront jusqu'en 1967 l'essentiel des ventes ; la plupart des simples ne sont pressés qu'en éditions limitées, souvent réservées aux exploitants de juke-boxes. Les EP français, à la présentation particulièrement soignée, sont aujourd'hui les plus estimés des collectionneurs du monde entier.

A l'origine, les 45 tours étaient présentés dans une simple pochette en papier évidée pour laisser apparaître le rond central. Peu à peu, l'habitude est prise aux Etats-Unis d'en publier certains dans une pochette personnalisée. En Europe continentale, ce type de présentation deviendra systématique. Curieusement, la Grande-Bretagne y sera longtemps rétive, et les quelques singles publiés dans les années 60 dans une picture sleeve (pochette avec image), comme le « Penny Lane » des Beatles, sont autant de pièces de collection très estimées. Ce n'est qu'à la fin des années 70 que l'on se ralliera outre-manche à une pratique devenue alors quasi générale.

On n'a pas idée du nombre de simples enregistrés au cours des années 60 : aux Etats-Unis seul un groupe sur cinquante a pu accéder au stade de l'album. Les 45 tours restent donc la richesse de cette période foisonnaire entre toutes, autant et même bien plus que des albums comme Aftermath des Rolling Stones, ou Blonde On Blonde de Bob Dylan, qui ne sont que la partie la plus visible d'un immense iceberg. A partir de 1968, le single connaît un déclin s'expliquant en grande partie par l'émergence de la musique progressive et du heavy metal, qui ne donnent toute leur mesure que sur la longueur d'un album. De façon assez significative, Led Zeppelin interdira même à sa compagnie de tirer des simples de ses albums pour le marché britannique. Les 45 tours deviennent alors surtout le support de la pop. Et s'adressent à un public adolescent, parfois même encore impubère et qui a rarement les moyens d'acheter des albums. Dans le meilleur des cas, le single est considéré comme un sous-produit servant à attirer l'attention sur l'album dont il est tiré. Ce phénomène n'affecte cependant pas la musique noire, dominée par le disco au milieu des années 70 et dont le single sera le vecteur privilégié.

L'explosion punk de 1977 rend au 45 tours ses lettres de noblesse. Les Sex Pistols, The Clash, The Jam, les Stranglers tous feront l'actualité avec des singles qui ne seront pas, pour la plupart, des extraits d'albums parus précédemment. Même l'EP sera à cette occasion réhabilité. Bientôt, l'essor des labels indépendants permet de voir une floraison de singles, comme dans les années 50 et 60. Entre-temps est née une variante du single, le maxi, du même format que l'album et présentant souvent des morceaux allongés par rapport à la version du simple. Conçu à l'origine pour les discothèques, il permet de proposer des versions des titres de dance remixées et enrichies d'effets divers. Le rock s'en empare et en fait l'équivalent moderne de l'EP, avec quatre morceaux, dont souvent deux inédits. Les maxis constituent une part essentielle de la discographie de la plupart des groupes des années 80, et leur vente a pu parfois dépasser celle des simples. « Blue Monday » de New Order, le 45 tours qui s'est le mieux vendu en Grande-Bretagne en 1983, n'était d'ailleurs proposé que sous cette forme. Au reste, au cours de cette décennie, non seulement les 45 tours ont été presque systématiquement proposés sous forme de simple et de maxi, mais encore on en a multiplié les éditions limitées. Les formules en sont innombrables : pochette ouvrante, vinyle coloré, pressage numéroté, double single pour le prix d'un, picture discs (c'est-à-dire un disque dont le vinyle est gravé d'une image ou d'un dessin), box sets (boîte en carton contenant plusieurs 45 tours). Les maisons de disques ont abusé de ces pratiques (qui font aujourd'hui le bonheur des collectionneurs), capitalisant sur l'intérêt des fans inconditionnels en les poussant à acheter trois, quatre ou cinq fois le même disque.

Avec l'apparition du disque laser ou compact, une certaine confusion a d'abord régné. On a lancé en premier lieu des compact singles de 7,30 cm de diamètre, peu attrayants et difficiles à stocker. Pendant la période où le public passe du vinyle au CD, c'est le cassingle (une cassette préenregistrée présentant les deux mêmes morceaux sur chaque face) qui prend momentanément le relais du bon vieux 45 tours. Dans les années 90, le compact single se modèlera sur le même diamètre que les albums. Dans certains pays, dont la France, il propose deux morceaux ;dans d'autres, comme en Grande-Bretagne, quatre ; dans ce dernier cas, on peut considérer que le simple a été évincé au profit d'une formule actualisée de l'EP ou du maxi. En Grande-Bretagne, les singles continuent à être diffusés en vinyle.

A la fin des années 90, la diffusion du single souffre beaucoup des conditions de production des disques : un titre doit désormais être soutenu par une vidéo pour accéder au succès, l'effort de promotion consenti par les labels allant rarement au-delà de la période de lancement. Si l'acheteur acquiert le single pendant la première semaine de sa sortie, il se voit offrir en cadeau un autre disque, en édition limitée, ou un tee-shirt. Ainsi, en Grande-Bretagne, l'essentiel des ventes est réalisé au cours de la première semaine, après quoi le titre disparaît des listes des meilleures ventes où, sauf exception, les groupes ont bien du mal à se maintenir plus d'un mois. Comme on peut s'y attendre, les ventes globales sont en chute libre, et ce système semble en passe d'étouffer complètement ce format historique, qui restera peut-être associé exclusivement à la fin du XXe siècle.