David Bowie BOWIE, David (David Jones) : chanteur de rock, pop et soul britannique , 1969 : né le 08-01-1947 à Londres, Angleterre.

Depuis la fin des années 60, ce chanteur londonien est l'un des personnages les plus singuliers du rock. Sa musique, qui puise à différentes sources, du cabaret au rock le plus traditionnel, n'est à ses yeux qu'un instrument au service d'une démarche artistique plus globale, où la théâtralité est prédominante. « J'ignore si j'ai introduit l'art dans le rock, ou le rock dans l'art, mais ce que je sais bien faire, c'est prendre des éléments très artistiques et les rapporter au niveau de la rue », a-t-il affirmé. Il fut d'abord l'incarnation de ce qu'on appela le « rock décadent », affirmant haut et fort sa bisexualité. Influence majeure du punk-rock britannique, à la fois metteur en scène et comédien, il a su amener un vaste public vers les tendances les plus avant-gardistes de son temps, anticipant la new wave froide et électronique et le vidéo-clip. Il fut le premier à incarner une approche publicitaire de la musique, pressentant la toute-puissance du look qui allait s'installer durablement à partir des années 80. The Cure, Joy Division, plus récemment Morrissey, Smashing Pumpkins ou Suede, se sont réclamés de lui. Toujours prêt à se renouveler de fond en comble, tour à tour chanteur, musicien, peintre ou comédien, il demeure l'un des artistes du rock les plus charismatiques et les plus énigmatiques.

David Robert Jones naît dans le modeste quartier de Brixton, au sud de Londres, encore dévasté par les bombardements allemands. De dix ans son aîné, son demi-frère Terry l'initie au jazz (Miles Davis, Eric Dolphy) en l'emmenant à des concerts dans les clubs du West End, et à la littérature (Ginsberg, Kerouac). Il n'a que quatorze ans lorsqu'il commence à jouer du saxophone et à se produire au sein de différents groupes de la Technical High School de Bromley, où il étudie : c'est là, au cours d'une bagarre avec son camarade George Underwood, que sa pupille gauche se retrouve irrémédiablement paralysée, lui laissant ce regard aux yeux vairons. Dès l'âge de seize ans, il quitte cette école et, en pleine période du Swinging London, il partage son temps entre divers emplois et de fréquentes sorties nocturnes dans le quartier de Soho en pleine effervescence. Il y rencontre des musiciens, joue avec eux dans les clubs de nuit, et se lie d'amitié avec un certain Mark Feld, futur Marc Bolan.

Au milieu des années 60, David Jones n'est qu'un Mod londonien parmi d'autres qui cherche à chanter du rhythm'n'blueS américain. Avec son ami George Underwood (qui dessinera plus tard quelques pochettes des disques de T. Rex), il forme les King Bees et enregistre un premier 45 tours, « Liza Jane », qui passe totalement inaperçu. En septembre 1964, il rejoint les Manish Boys (nom tiré d'une chanson de Muddy Waters) avec qui il reste le temps d'un 45 tours, « I Pity The Fool » (1965). Le titre n'est qu'une pâle copie de groupes en vogue, mais présente la particularité d'avoir à la guitare le jeune Jimmy Page. La même année, il rencontre à La Giaconda, un café de Dennmark Street, The Lower Third avec qui il enregistre le titre « You've Got A Habit Of Leaving ». Si le succès n'est toujours pas au rendez-vous, David Jones commence à jouir d'une certaine réputation. Soignant beaucoup sa mise, portant les cheveux longs, il a une assurance telle face à ses interlocuteurs qu'il commence à attirer l'attention des managers. Et à l'occasion d'un concert donné par le groupe au Marquee, célèbre club londonien, il est remarqué par Ken Pitt, alors, correspondant du New Musical Express aux Etats-Unis. Sur les conseils de ce dernier, il se décide à changer de nom (Davy Jones est celui du chanteur des Monkees). Il se rebaptise fin 1965 David Bowie (nom choisi en référence au capitaine Jim Bowie dans le film Alamo et au Bowie Knife, long couteau utilisé pendant la guerre de Sécession). Sous la houlette du producteur Tony Hatch, connu pour ses arrangements pour Petula Clark, sort début 1966 le 45 tours « Can't Help Thinking About Me ». Avec The Lower Third, Bowie effectue sa première tournée en Europe, mais l'entreprise prend fin peu après, faute d'argent. Ces 45 tours de rhythm'n'blues sont aujourd'hui disponibles dans la compilation Early On (1964-1966).

Traînant un peu partout, David Bowie continue à composer seul à la guitare sèche, et se produit occasionnellement avec le groupe The Buzz. Ses apparitions de plus en plus fréquentes au Marquee attirent de nouveau l'attention de Ken Pitt. Fasciné par sa présence scénique et son attitude de plus en plus arrogante — celle d'un jeune homme déjà attiré par la gloire —, il décide en avril 1966 de devenir son manager. Conscient que le son exploré par les Who ou les Kinks ne lui convient pas, Bowie souhaite explorer d'autres voies. Il signe chez Deram, autre label du groupe Decca, et travaille à un premier album solo, David Bowie (1967 également connu sous le titre Love You Till Tuesday). Encore fortement marqué par les productions du moment, comme le laissent entendre les titres « Rubber Band » ou le très mod « London Boys », il commence néanmoins à adapter ces influences à un style plus personnel. il débute aussi comme acteur sur le tournage d'un court-métrage, The Image, mis en scène par Michael Armstrong. Puis il se rend chez le mime Lindsay Kemp, un ancien élève de Marcel Marceau, considéré comme l'un des plus doués de sa génération. Il travaillera dans sa troupe plus de trois années, participant à des spectacles où se mêlent musique, mime et poésie, afin de parfaire sa gestuelle et de développer les aspects scéniques de ses concerts. Il découvre alors le théâtre de l'absurde d'Antonin Artaud et les livres de Jean Genet, sources auxquelles il ne cessera de puiser tout au long de sa carrière.

Séduit par la maquette de « Space Oddity » — référence explicite au film 2001 : l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick —, Ken Pitt décide d'inclure ce nouveau titre dans un film qu'il prépare pour la télévision, Love You Till Tuesday (non diffusé à sa création, il est aujourd'hui disponible en vidéo chez PolyGram). Bowie se produit alors dans de petits clubs et des cabarets où il s'évertue à chanter avec une voix aux accents cookney, trahissant sa dette envers le music-hall, et plus particulièrement à l'égard du chanteur-acteur-clown Anthony Newley. En cette fin des années 60, rien ne laisse présager de la suite des événements. Bowie reste pour la presse musicale un jeune artiste au style peu affirmé. Tout s'accélère en 1969 avec la parution du titre « Space Oddity », juste avant que Neil Armstrong ne marche sur la Lune. La chanson sert de thème musical à une émission dc télévision relatant les exploits de l'astronaute. Bowie décroche ainsi un passage à « Top Of The Pops » et obtient son premier succès significatif. La chanson reste quelque temps dans les classements britanniques, mais l'album du même nom, paru quelques mois plus tard, ne suscite pas l'intérêt. Très marqué par Bob Dylan, Space Oddity, un disque sans instruments électriques, recèle pourtant, en dehors du titre phare, des compositions plus personnelles, comme « An Occasionnal Dream » ou « Letter To Hermione ». Bowie se produit sur scène avec le groupe The Hype, formé de Tony Visconti à la basse, de John Cambridge à la batterie et du guitariste Mick Ronson. Tous trois vont largement contribuer dans les années à venir à la formation du son de Bowie. On commence à l'apprécier plus pour ses prestations scéniques que pour sa musique : lors d'un concert à l'université de Hull, il suscite une émeute en prenant des poses et jouant dc son ambiguïté sexuelle. Conscient de sa notoriété grandissante, il se sépare d'une partie de son entourage, manager en tête, jugé trop « vieille école » pour ses ambitions grandissantes.

L'année 1970 marque un tournant important dans sa vie professionnelle et personnelle. Bowie se marie avec une étudiante en art, Angela Barnett, mais il voit également son demi-frère Terry être admis dans une institution pour déséquilibrés. Son père meurt la même année. Pris en charge par un nouvel agent, Tony DeFries, il enregistre The Man Who Sold The World (1970) avec la collaboration du guitariste Ronson, du batteur Mick « Woody » Woodmansey et du producteur et bassiste Tony Visconti, déjà présent pour les arrangements de Space Oddity. Il livre un album incisif, bardé de guitares électriques, et offrant un contraste saisissant avec la tonalité folk du précédent. La pochette anglaise — les États-Unis ayant préféré un dessin de Mike Weller — fera scandale. Bowie, allongé sur un divan, apparaît travesti et paré d'une robe longue. Devenu grand consommateur de haschich, il ne participera aux séances d'enregistrement qu'au dernier moment : les titres seront bouclés en quelques jours et la prise de sa voix sera effectuée seulement la veille du mixage. Cet aspect révélateur sera une constante de son travail en studio. Bowie aime travailler dans l'urgence. De même, sa voix glacée et déchirée et les thèmes des chansons reflètent au mieux son état d'esprit : perversion sexuelle sur « The Width Of A Circle », maladie mentale sur « All The Madmen » ou nihilisme nietzschéen sur «The Supermen ».

Hunky Dory sort en décembre 1971. Bowie revient à une orchestration plus acoustique et à des arrangements plus luxuriants sur cet album en forme d'hommage au New York d'Andy Warhol, du Velvet Underground et de Bob Dylan. Il contient certaines des plus belles compositions de sa carrière. L'accrocheur « Changes » ouvre l'album, et le futuriste « Life On Mars » côtoie le sombre « The Bewlay Brothers », dédié à son demi-frère, et les entraînants « Oh! You Pretty Thing » et « Kooks », en hommage à son fils Duncan Zowie qui vient de naître. Multipliant les provocations — il déclare au Melody Maker qu'il a toujours été homosexuel —, Bowie fait une tournée anglaise où les médias le remarquent en raison de ses tenues excentriques et surtout de sa voix saisissante. Il y expérimente encore des thèmes et des images où se croisent différentes influences rock, folk et théâtrales sans cohérence propre.

La fusion s'opère l'année suivante, en juin 1972, avec la sortie de The Rise And Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. L'album, qui contient les classiques « Starman », « Moonage Daydream » et le somptueux « Rock'n'Roll Suicide », est orchestré par Ken Scott et Mick Ronson. Pour la première fois, Bowie se met dans la peau d'un personnage de fiction, Ziggy Stardust, dont l'ascension puis la chute coïncident avec la fin du monde. Inspiré par le rocker devenu fou Vince Taylor et aussi le Legendary Stardust Cowboy — le nom de Ziggy provenant de la boutique d'un tailleur de Londres —, Ziggy Stardust est ce personnage androgyne dans lequel il laisse jaillir ses fantasmes les plus secrets. Maquillé, les cheveux teints en rouge, il porte des talons hauts et des costumes futuristes. Bien décidé à faire de Bowie une rock star, son manager Tony DeFries monte l'agence MainMan qui orchestre sa médiatisation. Le mythe de Ziggy est en marche. Chacune de ses apparitions provoque l'hystérie de ses fans et la presse est définitivement conquise par ce personnage qui leur déclare : « Une société qui tolère des gens comme nous est véritablement une société sur le déclin. »

En cette année 1972, Bowie s'investit également dans la production. Après avoir assuré le mixage du Raw Power des Stooges, il produit Transformer de Lou Reed, alors en pleine perdition, et « AlI The Young Dudes » du groupe d'Ian Hunter, Mott The Hoople. Enregistré aux studios Trident, Aladdin Sane paraît au début 1973. Précédé du simple « Drive-In Saturday », l'album, sorte de manifeste de ce qu'on appellera le rock décadent, est un triomphe immédiat. Classé en tête des ventes dès sa sortie en Grande-Bretagne, il contient le morceau de bravoure donnant son titre à l'album, mais aussi « Watch That Man » et « Cracked Actor », ainsi que le poignant « Time ». Mike Garson, pianiste de jazz réquisitionné pour l'occasion, offre également sur le titre « Lady Grinning Soul » des solos free et décalés, façon Cecil Taylor, particulièrement audacieux. Bien plus qu'un phénomène de mode, Bowie s'impose alors comme un créateur. La plus longue tournée jamais entreprise en Grande-Bretagne (cinquante-cinq dates) débute au moment où des dissensions commencent à apparaître entre Bowie et son manager. Point d'orgue de cette tournée triomphale qui le mène aux Etats-Unis et au Japon, il décide de tuer son personnage Ziggy. Sous la clameur d'un public déconcerté, il annonce le 3 juillet 1973 au soir, à l'Hammersmith Odeon, la disparition des Spiders From Mars, avant d'inviter son guitariste John Hutchinson à jouer les premiers accords de « Rock'n'Roll Suicide ». Exhumé en 1983 par le label RCA, Ziggy Stardust : The Motion Picture est l'enregistrement témoin de ce concert. Une page est tournée, et en guise d'hommage à ses idoles Bowie livre l'album Pin Ups (1973), collection de reprises de tubes des années 60, sur lequel « See Emily Play » du Pink Floyd de Syd Barrett et le surprenant « Where Have All The Good Times Gone » des Kinks figurent parmi les plus belles réussites.
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