Suite de la biographie de David Bowie

Après avoir participé à une émission de télévision intitulée « The 1980 Floor Show », Bowie se prépare à enregistrer avec Mike Garson, seul rescapé des Spiders From Mars, l'album Diamond Dogs (1974). Installé à New York, il fréquente l'écrivain William Burroughs qui l'initie à l'écriture dite « accidentelle ». Parallèlement, il achève la lecture du roman d'Orwell, 1984, dont il reprend les thèmes pour les transposer sur cet album centré autour d'un nouveau personnage, le névrosé Halloween Jack. Diamond Dogs se révèle un album de rock halluciné, patchwork futuriste dans lequel se conjuguent des influences soul (« 1984 »), pop (« Candidate »), cabaret (« We Are The Dead »), mêlées au rock le plus brut (« Rebel Rebel »). Exclusivement réservée aux Etats-Unis et au Canada, la tournée qui suit est emmenée par un groupe funky et des choristes qui révéleront leurs limites. Sous l'emprise de la cocaïne, Bowie, le visage décharné, vacillant, est immergé sous une scène démesurée représentant une ville dévastée du nom de Hunger City. Lors de l'enregistrement du double album en public au Tower Theatre de Philadelphie, David Live (1974), il n'est plus qu'une ombre évoluant avec difficulté.

Dépressif, il rentre à New York dans la foulée. Dans les mois qui suivent, de plus en plus enthousiasmé par la musique soul, il fréquente l'Apollo Club de Harlem, où se produisent Marvin Gaye et les Temptations. New York est aussi la ville de John Lennon. Avec l'accord de ce dernier, il enregistre le titre « Across The Universe », avant de se lancer dans la composition de Young Americans (1975). A sa sortie, la presse salue unanimement cette nouvelle métamorphose. Outre le simple « Fame » (n° 1 aux Etats-Unis), auquel Lennon a collaboré, l'album comporte l'imparable « Right », où sa performance vocale subjugue même les plus réservés et le dansant « Fascination » dans lequel vibre le saxophone alto de David Sanborn. Séparé de son épouse et de son encombrant manager Tony DeFries, après une âpre bataille juridique, Bowie se montre toujours aussi productif. Il est l'acteur principal du film de Nicolas Roeg tourné au Nouveau-Mexique, L'Homme qui venait d'ailleurs. A la fin du tournage, il entre en studio à Los Angeles avec de nouveaux collaborateurs les guitaristes Carlos Alomar et Earl Slick, le bassiste George Murray, le batteur Dennis Davis et le pianiste Roy Bittan. Trois semaines lui suffisent pour composer et enregistrer, entre deux lignes de cocaïne, les six nouvelles chansons de Station To Station (1976). Elaboré sur une base funky, l'album offre une musique sombre et pantelante (« Stay »), marquée par des moments de grâce. « Word On A Wing », que l'on croit emprunté à Scott Walker (certainement sa plus grande influence vocale) et l'hypnotique « Station To Station » en constituent les sommets. Bowie (photographié à la manière de Man Ray sur la pochette du disque) y intronise le personnage du « Thin White Duke ». Et après des répétitions à la Jamaïque, chez Keith Richards, débute la tournée. Sur une scène dépouillée, inspirée de l'expressionnisme allemand, Bowie évolue sobrement devant un mur de néons blancs. Il redevient, après les errances du « David Tour », l'inventeur du rock théâtral. De retour à Londres pour la partie européenne du show, il crée le scandale à son arrivée à la gare Victoria en saluant les fans qui sont venus l'accueillir d'un bras tendu rappelant le salut nazi. Simple défi envers une presse et un public qu'il traite avec cynisme au geste maladroit d'un esprit ravagé par les drogues, cette ultime provocation ternit son image.

Après l'élaboration et le mixage des albums d'Iggy Pop, The Idiot et Lust For Life, Bowie vient en France, au château d'Hérouville. En étroite collaboration avec Brian Eno, il jette les bases d'une nouvelle approche musicale qui va bouleverser les schémas traditionnels du rock. En pleine explosion du punk et du disco, il entame l'enregistrement des albums Low et Heroes, tous deux contenant de longues plages musicales froides et désolées. Vivant et enregistrant à Berlin, il amorce sa rédemption personnelle et artistique. Apaisé, ayant décroché des drogues, il connaît, malgré les chiffres peu importants des ventes de ses disques, la consécration. Lancé par l'improbable simple « Sound And Vision », dans lequel il ne chante pratiquement pas, Low (1977) apporte au rock les climats électroniques et industriels inspirés de Kraftwerk : ce disque aura une influence considérable sur la new wave dépressive des années 1979-1980 et suivantes. Avant de retourner à Berlin pour boucler Heroes, il accompagne, au piano, son ami Iggy Pop lors de sa tournée, avant de se rendre à l'enterrement de Marc Bolan, mort au volant de sa voiture. Heroes paraît en septembre 1977. Plus rythmé que Low, ponctué des guitares stridentes de Robert Fripp (King Crimson), on y retrouve la plupart des visages adoptés auparavant : la grande tradition de la pop anglaise avec le simple « Heroes », le rocker décadent et futuriste pour « Joe The Lion », et l'esthète raffiné sur les morceaux instrumentaux. Pour faire plaisir à son fils, Bowie joue le narrateur pour une nouvelle version du conte musical de Prokofiev, Pierre et le Loup (1978). Puis il se consacre au mixage de Stage (1978), album live émaillé des titres les plus représentatifs de sa carrière et enregistré à l'occasion de sa tournée mondiale l'année précédente, au cours dc laquelle il adopta le look « Notre-Dame des fleurs » de Jean Genet. Le simple « Boys Keep Swinging », accompagné du clip réalisé par David Mallet dans lequel Bowie apparaît en travesti peinturluré, annonce la parution de Lodger (1979), qui conclut cette trilogie berlinoise. En dépit des contingences commerciales, il continue de privilégier la dimension esthétique de cette oeuvre unique dans l'histoire du rock. Il s'y fait volontiers crooner.

De retour à New York en 1980, il entre aux studios Power Station en compagnie des fidèles Carlos Alomar et Roy Bittan pour l'enregistrement de Scary Monsters (And Super Creeps). Avec le premier simple issu dc l'album, « Ashes To Ashes », promu par le clip futuriste dc David Mallet, il connaît un succès populaire et international sans précédent. Il multiplie les projets artistiques et les collaborations. Sur la scène de Broadway, il interprète le rôle principal dans la pièce de Bernard Pomerance, The Elephant Man. Il accepte ensuite de tenir le rôle du vagabond Baal (d'après la pièce de Bertolt Brecht) dans un téléfilm pour la BBC, pour lequel il compose le thème « Baal's Hymn », qui sera son dernier enregistrement pour RCA. Puis il fait une brève apparition dans le film d'Ulrich Edel, Christiane F. Il enregistre ensuite avec Queen le grandiloquent « Under Pressure » (n° 1 en Grande-Bretagne) et avec Bing Crosby le simple « Peace On Earth-Little Drummer Boy ». En 1982, il chante, sur une musique de Giorgio Moroder le thème « Cat People (Putting On Fire) » pour les besoins du film de Paul Schrader. De nouveau sur les plateaux de cinéma, il tourne avec Catherine Deneuve et Susan Sarandon dans Les Prédateurs, le premier long métrage de Tony Scott (frère de Ridley), puis il se rend sur l'île de Rarotonga (Polynésie) où commence, sous la direction du réalisateur japonais Nagisa Oshima (L'Empire des sens), le tournage de Furyo. Le rôle de cet officier de l'armée anglaise prisonnier sur l'île de Java reste à ce jour l'interprétation la plus convaincante qu'il ait laissée au cinéma.

L'année 1983 marque son grand retour à la scène. Libéré de son contrat chez RCA, Bowie négocie avec EMI — on avance la somme de 17 millions de dollars — la parution de son nouvel album. Stratège hors pair pour la communication et surtout la manipulation des médias, il adhère sans scrupule aux années 80, années marchandes par excellence. Produit par Nile Rodgers (ex-Chic), Let's Dance (1983) connaît un succès sans précédent. Les trois simples extraits, « Let's Dance », « China Girl » (reprise d'un titre coécrit avec Iggy Pop sur The Idiot et « Modern Love » sont d'immenses tubes à travers le monde. Ce qui semblait improbable au vu du déroulement de sa carrière se produit au moment du lancement du disque. Il accède au rang de superstar. Le « Serious Moonlight Tour » lui permet ainsi de jouer dans des stades sur les cinq continents devant plus de 2 millions de personnes. Peu impliqué dans l'album Tonight (1984), il poursuit son déclin artistique. Le premier simple « Blue Jean » est lancé par un court-métrage signé Julian Temple. Le disque contient peu de titres originaux mais plusieurs reprises, dont une version héroï-comique de « God Only Knows » des Beach Boys.

Les trois années qui suivent sont pour Bowie l'occasion de mener à bien plusieurs collaborations. Avec le groupe de jazz de Pat Metheny, il compose « This Is Not America », BO du film The Falcon And The Snowman, puis il enregistre avec Mick Jagger, à l'occasion du Live Aid, une reprise du classique de Martha & The Vandellas, « Dancing In The Street », où il chante en duo avec celui-ci. Toujours en quête d'une reconnaissance en tant qu'acteur, il tourne avec Julian Temple la comédie musicale Absolute Beginners, pour laquelle il compose la chanson-titre. Il participe également au tournage d'un film d'inspiration fantastique, Labyrinthe, tourné par le créateur des Muppets, Jim Henson, avant de chanter le thème musical d'un dessin animé, Where The Wind Blows. Enfin, il rejoint Martin Scorsese sur le tournage de La Dernière Tentation du Christ, où il apparaît brièvement dans le rôle de Ponce Pilate.

En 1987, iI revient sur la scène rock avec l'album Never Let Me Down. Au regard des deux précédents albums, celui-ci paraît plus ambitieux, mais en dehors du titre qui donne son nom à l'album, aucun autre ne se hisse à la hauteur de ceux composés durant la décennie 70. Victime d'un succès démesuré, Bowie tente désespérement de se raccrocher à son temps. L'ambitieuse tournée du « Glass Spider », malgré les prouesses scéniques et la rage d'un Peter Frampton, n'arrive pas à masquer son manque cruel d'inspiration. Il changera de cap à partir de 1988. Bowie s'adjoint la complicité du guitariste Reeves Gabrels, du bassiste Tony Sales et de son frère Hunt à la batterie, tous deux anciens musiciens d'Iggy Pop, pour la formation du groupe Tin Machine. En 1989 paraît Tin Machine, fusion expérimentale, plutôt heureuse, d'un son lourd et saturé et d'un rock débridé. L'album est fougueux mais sans réelle surprise (hormis le mélodieux « Prisoner Of Love » et la reprise du « Working Class Hero » de Lennon), Bowie reprend du service avec Tin Machine en 1991 et l'album Tin Machine II. Les guitares metal laissent place à des mélodies énergiques, mais peu convaincantes. Enfin, l'enregistrement public Oy Vey, Baby (l992) met un terme à cette entreprise. Entre-temps, et suite à la réédition en compact (proposant inédits et versions en studio) de ses albums parus chez RCA, Bowie entame une nouvelle tournée baptisée « Sound And Vision ». Spectacle sans fioritures, autre versant de l'exercice convenu du best of, il montre, comme toujours, une grande aisance sur scène. Fraîchemcnt marié avec la top model Imman, il revient à un projet solo en 1993 avec Black The White Noise. Incontestablement plus investi et épaulé par le saxophone de Lester Bowie et le piano dc Mike Garson, il explore de nouvelles voies musicales. « The Wedding » et le simple « Jump They Say » s'avèrent, avec la version parfaitement maîtrisée de « Night Flights » de Scott Walker, les meilleurs moments du disque. Bowie signe également la musique du téléfilm pour la BBC Buddha Of Suburbia, alors que Philip Glass compose The Low Symphony, un arrangement symphonique basé sur les parties instrumentales de l'album Low.

Renouant avec Brian Eno, il se rend en compagnie de ce dernier à l'hôpital psychiatrique de Guggin, près de Vienne, afin d'y étudier les oeuvres d'artistes internés. Fasciné par elles, il écrit la trame — sous la forme d'une « cybernouvelle » mettant en scène le détective Nathan Adler aux prises avec une série de meurtres rituels dans les milieux artistiques — de l'album Outside (1995), certainement son meilleur disque depuis quinze ans. Le premier simple, le chaotique « Heart's Filthy Lessons », le tonitruant « Hallo Spaceboy » ou le très mélodieux « I'm Deranged » témoignent de son retour en grâce. De même, Earthling (1997), paru quelques semaines après son cinquantième anniversaire, atteste d'une implication retrouvée. Nourri d'influences jungles, ce disque inespéré colle remarquablement au chaos de notre temps : il suffit d'écouter un titre comme « Dead Man Walking » pour s'en convaincre.

Quoi qu'on pense de la manière dont Bowie a épousé le cynisme des années 80, où chacun semblait prêt à se vendre au plus offrant, se transformant parfois en phénomène de foire, il a montré sa capacité à surmonter ses crises et ses erreurs, et surtout à s'impliquer à nouveau dans sa musique. La période qui s'est ouverte avec Outside semble extrêmement prometteuse et, si ses meilleurs titres ont bien souvent été ses 45 tours, voici une discographie sélective de ses meilleurs albums : Hunky Dory, Aladdin Sane, Station To Station, Heroes, Outside marquent chacun une étape artistique importante et rendent compte du perpétuel renouvellement de son oeuvre. Parmi l'innombrable série de compilations et raretés sorties, citons l'indispensable Bowie — The Singles Collection, parue chez EMI, ainsi que l'album Santa Monica 72, qui est un des meilleurs moments de scène de sa carrière. En septembre 1999, il publie un nouvel album "Hours ..."