Elvis Costello COSTELLO, Elvis : chanteur, guitariste et compositeur de pop britannique, 1977. Né le 25.08.1954 à Lonfdres (Angleterre).

Assimilé à ses débuts au courant punk-new wave, cet anglais d'origine irlandaise a abordé avec ou sans son groupe les Attractions des styles aussi variés que le cabaret, le jazz, la country, le folk, la soul, la pop psychédélique, et même la musique de chambre. Avec sa voix râpeuse et chevrotante qui a pu indisposer pas mal d'auditeurs, il sait être un interprète simple et humain, parfois prodigieusement émouvant, de ses chansons, comme "Alison" ou "Almost Blue", ainsi que de celles des autres.

Declan MacManus naît en 1954 à Londres dans une famille catholique d'émigrés irlandais Il restera fils unique. Son père Ross MacManus est chanteur dans une formation de jazz-music hall, le Joe Loss OrchestraLe fils découvre chez lui tous les succès du moment sous forme d'acetates (disques en préparution) : Beatles, Kinks, Who, mais aussi Dusty Springfield, et, surtout, les productions de Tamla Motown, alors omniptrésentes, bref, tout le hit-parade britannique. Après le divorce de ses parents en 1971, il s'installe à Liverpool chez sa mère, gérante d'un magasin de disques. Deux ans plus tard, le lycée terminé, il cherche un travail. Sans qualification, il exerce toutes sortes de petits métiers. Il nourrit déjà l'ambition de devenir chanteur professionnel. La mode pousse alors les jeunes gens à se jeter sur Frank Zappa ou Jefferson Airplane. Quand des amis viennent lui rendre visite à Liverpool, il cache ses disques d'Otis Redding sous le lit, de peur de passer pou un plouc. Il va échanger en cachette les disques hippies pour lesquels son père, qui se laisse pousser les cheveux, s'enthousiasme, contre des 45 tours Tamla Motown. En 1974, il retourne s'installer à Londres. A 20 ans, il a un métier, une femme et bientôt un enfant. Il s'aperçoit que, dans certains bars, on écoute de la musique qu'il aime : de vieux 45 tours de Lee Dorsey, ou de Marvin Gaye. Ses complexes disparaissent. Il se jette à l'eau et monte un groupe, baptisé Flip City, qui joue un mélange de pub-rock dans l'air du temps : un peu de country, un peu de rhythm'n' blues, un peu de rock'n' roll, sans susciter le moindre intérêt. Il s'entête alors à jouer tout seul, à la guitare, dans le style « auteur-compositeur » sérieux et introspectif alors à la mode. Une rude école qui a le mérite de lui enseigner une vertu qu'il n'oubliera jamais : la tension. « On s'aperçoit vite qu'une chanson est mauvaise quand on est en train de pourrir littéralement dans un club ; on apprend à ajouter du tranchant. »

En 1976, il enregistre une demi-douzaine de ses chansons dans sa chambre à coucher, et envoie la maquette, un peu partout. Doté d'une foi aveugle en son talent, il obtient des rendez-vous où il vient chanter lui-même ses chansons à la guitare dans le bureau d'un directeur artistique médusé, comme dans une vieille comédie musicale. De nombreuses petites compagnies indépendantes poussent alors à Londres comme des champignons. L'une d'entre elles, Stiff, est fondée par Jake Riviera, le manager d'un groupe pub-rock, Chilli Willi and the Red Hot Peppers, avec son acolyte Dave Robinson. Le jour de l'ouverture des bureaux, ils reçoivent la visite de ce personnage très insistant qui vient déposer lui-même sa cassette. Ces premières chansons, de l'aveu même de leur auteur, « prétendaient à uns sophistication qu'elles n'avaient pas » avec un parfum de ragtime et des changements compliqués de rythmes et d'accords, imités de compositeurs américains qu'il admirait alors, qu'ils fussent anciens, comme Hoagy Carmichael ou archaïsants, comme Randy Newman. Mais l'une de ses chansons, « The Mystery Dance », un pur rockabilly avec des paroles à double sens sur une « danse mystérieuse » dont un adolescent frustré veut désespérément apprendre les pas, retient l'attention de Riviera et Robinson.

C'est alors l'hiver 1977. Le mouvement punk est à son apogée. MacManus est assis en face de Jake Riviera. « Comment faire pour qu'on ne te prenne pas pour Johnny ceci ou Johnny cela ? » se demande Riviera à voix haute : « J'ai trouvé ! On va t'appeler Elvis » Le chanteur rapportera l'épisode en 1982 au critique américain Greil Marcus dans Rolling Stone, précisant : « J'ai cru qu'il avait complètement perdu l'esprit. » Costello est le nom de jeune fille de sa mère. Son premier 45 tours, « Less Than Zero », sort en avril. On compare aussitôt Costello à Graham Parker, dont il partage le goût du rhythm'n' blues et la voix râpeuse, et même à Van Morrison, qu'il est pourtant loin d'égaler au plan vocal. Le succès ne vient pas. Les 45 tours suivants, « Alison » et « Red Shoes », séduisent sans retenir particulièrement l'attention. Pourtant, Riviera passe outre, et décide de sortir son premier album, My Aim Is True, en juillet 1977, demandant à son auteur de quitter son job et de passer professionnel. L'album produit le déclic que les 45 tours n'ont pas provoqué. Sur la pochette, Costello apparaît debout avec sa guitare dans une pose cagneuse, semblant vêtu grâce à une organisation charitable. Il a l'air maigre comme un clou et, avec ses grosses lunettes, myope comme une taupe, portant un non destiné à se moquer du monde comme de lui-même. Ses chansons rappellent le rock'n' roll rhythm'n' blues de la Nouvelle-Orléans et de la Côte ouest, avec une concision et un mordant qui n'appartiennent qu'à lui. Riviera l'a collé en studio avec le musicien et producteur Nick Lowe, engageant les musiciens du groupe américain de country-rock Clover. Les séances sont réalisées entre deux portes. Les chansons de l'album, dont les classiques « Welcome to the Working Week », « Miracle Man » et autres « Red Shoes » ont été écrites en trois semaines. Se détache surtout « Alison », une ballade soul à la mélodie exquise et aux paroles cruelles évoquant les retrouvailles d'un homme avec la femme qui l'a quitté. Costello est assimilé au mouvement new wave à cause de l'outrance et de la crudité des émotions abordées dans ses chansons : impression de néant (« Less Than Zero », désir de vengeance (« I'm Not Angry »), colère impuissante (« Miracle Man »). Il projette une image de paria rejeté de tous, et singulièrement des femmes.

Cet album marque le début d'une ascension fulgurante. Dès l'été 1977, My Aim Is True fait un tabac auprès du public étudiant américain : celui-ci, qui se bouche les oreilles dès qu'on lui passe The Clash ou les Sex Pistols, perçoit en Elvis Costello la version acceptable du punk-rock. Pourtant, Costello n'a strictement rien d'un punk. Obsédé par Clash, un groupe qu'il a d'abord violemment rejeté, il compose d'un trait « Watching the Detectives », très inspiré par le mélange rock-reggae. Ce morceau, l'un des plus intenses, décrit l'hallucination d'un homme qui, regardant un film policier à la télévision, en vient peu à peu à y mêler la femme assise à côté de lui. Il l'enregistre au début de l'été avec les musiciens du groupe The Rumour. Le morceau sort en 45 tours en Angleterre en octobre 1977. Il est inclus sur la version américaine de l'album qui paraît alors chez Columbia aux Etats-Unis. Jake Riviera recrute pour lui un groupe dont deux membres sont déjà aguerris : Bruce Thomas, le bassiste est passé par le groupe de pub-rock Quiver, accompagnateur des Sutherland Brothers ; son homonyme, le batteur Pete Thomas, a joué avec Chilli Willi. Quant au plus jeune, l'organiste Steve Mason, rebaptisé aussitôt Naive pour sa fraîcheur, il a suivi une formation classique. Baptisé les Attractions, le groupe s'est rodé en été dans le circuit des pubs, se joignant en automne à la tournée « Stiffs Live Stiffs en compagnie, entre autres, de Nick Lowe, Ian Dury et Eric Wreckless. A la fin de l'année, dopé par le succès de My Aim Is True, Costello et son groupe s'embarquent pour une tournée marathon de plus de trois mois dans le nord des Etats-Unis. Sur scène, Costello, joue de la répulsion qu'il inspire. Il fait preuve d'une agressivité rigide qui, conjuguée à ses chansons, provoque une excitation comparable, pour ceux qui les ont connus, aux débuts du rock'n' roll. Son manager Riviera soigne la réputation d'intransigeance de Costello, qui vomit sur le public américain content de lui, et rejette toutes les demandes d'interviews. Riviera va parfois jusqu'à menacer physiquement les photographes.

Cette tension trouve sa justification avec la parution très attendue, en mars 1978, du deuxième album de Costello, le premier avec les Attractions, This Year's Model. Dan cet album, à nouveau produit par Nick Lowe, il semble en proie à des visions qu'il exorcise avec une rare fureur. Le disque est propulsé par la rythmique des deux Thomas, d'un rare dynamisme. Le bassiste Bruce Thomas crée des lignes mélodiques qui permettent à Costello d'en faire le moins possible à la guitare. L'organiste Naive acidifie les chansons par des interventions aigrelettes qui créent un malaise glaçant. Le disque commence par ces mots dont la négativité vibre à travers tout l'album : « I don't wanna see you, I don't wanna touch you… » Pour toutes raisons, This Year's Model est l'un des meilleurs disques de rock'n' roll jamais fait, profondément singulier et inimitable, à défaut d'être universel. En été, Costello retourne aux Etats-Unis, se rendant cette fois sur la Côte ouest, où son succès est grand. La version américaine de l'album inclut la chanson « Radio Radio » où Costello fustige la radio « entre les mains d'un tas de crétins qui essaient d'anesthésier vos sentiments ». L'album est le premier d'un artiste new wave à se classer dans les trente meilleures ventes là-bas. La marche de Costello vers une gloire paradoxale semble impossible à arrêter, surtout avec l'album qu'il prépare dans la foulée.

L'année 1978 est à peine terminée qu' Armed Forces, son troisième album est déjà en vente. Enregistré en trois semaines au début de l'automne, le disque révèle pour la première fois une certaine perversité dans ses goûts et penchants musicaux. Sur le fond, le discours est aussi radical, sinon plus, qu'au début. L'album qui devait, à l'origine, porter le titre d' Emotional Fascism , a pour ambition de dévoiler les tentation tyranniques pouvant naître dans la vie courante. « Oliver's Army » décrit, par exemple, ce qui traverse l'esprit d'un jeune homme qui s'enrôle comme mercenaire. Musicalement, Costello s'engage dans la voie d'une variété mélodieuse et raffinée, s'inspirant dans « Oliver's Army », justement, ou « Accidents Will Happen », de la joliesse des chansons du groupe Abba. La diversité des styles abordés (où funk et hard rock font même leur apparition) crée une impression de mosaïque qui, dans l'intention au moins, rappelle les Beatles. Le disque obtient un très fort succès en Grande-Bretagne auprès d'un public plus jeune. Aux Etats-Unis, où Costello tourne à nouveau, Armed Forces semble parti pour être le premier succès massif d'un chanteur assimilé à une new wave qui sent encore le soufre. Pourtant, un incident met brusquement fon à son ascension. Un soir qu'il se trouve fin saoul au bar de son hôtel à Colombus (Ohio), Costello se frotte violemment avec Bonnie Branlett et son groupe, composé d'accompagnateurs de Stephen Stills. Celle-ci, outrée, annonce le lendemain que Costello, à qui l'on reprochait de n'être que la copie sans âme de chanteurs noirs comme Ray Charles et James Brown, a déclaré que « Ray Charles n'était qu'un nègre aveugle et ignorant ». Rapportés, les propos de Costello entraînent une vague de fureur. En moins d'une semaine, l'album de Costello est retiré des playlists des radios. Une conférence de presse est organisée, dont Costello, aux yeux des médias américains, se tire très mal, expliquant avoir dit quelque chose de ridicule et de provocant pour faire enrager ses interlocuteurs. En proie à des menaces de mort, il achève sa tournée entouré de gardes du corps. Son ascension est arrêtée. Plus tard, il a admis avoir sans doute désiré inconsciemment que la haine et la rage qu'il projetait alors se retournent contre lui, tant il ne supportait plus le personnage qu'il s'était laissé entraîner à jouer. Quoi qu'il en soit, tout ce qu'a fait Costello par la suite est marqué par une volonté de s'amender, dans tous les sens : musicalement et personnellement.

En été 1979, il produit à Londres le premier album du groupe multiracial (ce n'est pas un hasard) les Specials, qui lance la mode éphémère du ska. L'accusation de racisme et de n'être qu'un chanteur artificiel et provocateur a atteint Costello au plus profond. Il a désormais à cœur de tirer un trait sur cette période où, de son propre aveu, il n'était pas très responsable. Il veut montrer que, contrairement aux apparences, sa musique a une âme. Après s'être éclipsé plusieurs mois, il donne quelques concerts en Europe à la fin de l'année et participe à Noël à un concert de charité à Londres en faveur de la population du Cambodge. La parution d'un album est alors annoncée, différée par les difficultés que rencontre Riviera pour faire distribuer à ses conditions le nouveau label qu'il a crée, F-Beat. L'album Get Happy !!, un titre plus qu'inattendu pour Costello, sort en février 1980 : enregistré aux Pays-Bas, il ne contient pas moins de vingt titres. La pochette pastiche les compilations rhythm'n' blues à bon marché des années 60, réduisant la photo de l'auteur à un contour incertain. Cet effacement correspond au désir de Costello qui, aidé par son producteur Nick Lowe, a voulu gommer les aspects saillants et agressifs de sa personnalité pour mettre musique et chansons en valeur. La voix d'abord, est méconnaissable : d'arrogante, elle est devenue plaintive, pathétique, même, parfois désabusée au point de ne plus laisser passer qu'un souffle. Un ressort semble cassé. Le groupe, lui aussi, joue la finesse et la sobriété (admirable rythmique, souple et racée, de Bruce Thomas et de Pete Thomas). La musique est marquée par une fluidité nouvelle, les arrangements dépouillés sont inspirés par la soul de Memphis et du label Stax : le thème d'une des chansons, « Temptation » est emprunté à « Time Is Tight » de Booker T & The MG's. Une fois surmonté ce dépouillement confinant à l'austérité, l'auditeur patient est récompensé. Get Happy !! dispense une chaleur particulière, toute d'intimité. D'admirables chansons, comme « Riot Act » ou « High Fidelity » expriment un authentique déchirement. « New Amsterdam », qu'il enregistre seul, jouant de tous les instruments, exprime la défaite et la résignation avec une humanité nouvelle et profonde. Pur toutes ces raisons, ce disque, qui est celui de la fêlure, occupe une place particulière dans le cœur des admirateurs. A la fin de l'été 1980 paraît aux Etats-Unis un disque inédit de Costello, Taking Liberties, regroupant des titres qui ne figuraient pas dans ses albums : certains, comme « Big Tears » ou le magnifique « Just a Memory », comptent parmi ses meilleurs.
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