Bob Dylan DYLAN, Bob (Robert Allen Zimmerman) chanteur, guitariste, harmoniciste et pinaiste américain de folk, blues, rock et country, 1961. Né le 24.05.1941 à Duluth (Minnesota).

"Quelque chose est en train de se passer/ Mais tu ne sais pas ce que c'est/ N'est-ce pas Mister Jones ?" ("Ballad Of a Thin Man"). "Dylan fut un révolutionnaire..." (Bruce Springsteen). "Il deviendra le troubadour le plus fécond du pays, s'il n'explose pas avant !" (Pete Seeger).

Avec James Dean et Elvis Presley, le mythe de l'Amérique des années 60-70 qui continue à représenter dans les années 80-90, les errances et les contradictions de la génération 60 beat-folk-rock. Depuis 1962, il a vendu une cinquantaine de millions d'albums. Comme les Beatles et les Rolling Stones, Bob Dylan est l'un des grands inventeurs du rock. Emblème du protest-song (chanson engagée), il a puisé dans toutes les formes de la musique traditionnelle américaine (folk, blues mais aussi country et gospel) pour les greffer au rock et offrir à celui-ci un contenu moderne et d'actualité, qu'il soit contestataire, violent ou poétique. Grâce à lui, le rock a pu devenir une forme d'expression personnelle, singulière et subjective, au même titre que la littérature, la peinture ou le cinéma. Sans lui, il n'y aurait eu ni de John Lennon, ni de Leonard Cohen, ni The Velvet Underground, pas plus de quantité d'autres. Sorte de nouvelle vague à lui tout seul, il s'est perpétuellement réinventé changeant constament sa façon d'utiliser une voix unique en son genre, entre le chant et la parole, d'une expressivité exceptionnelle. Il a parfois rencontré la faveur du public, comme au milieu des années 60 avec sa période "Like A Rolling Stone". Il a enfin été une étonnante figure de père fondateur et de prophète, dont les propos et les chansons ont été disséqués comme autant de signes et sentences émis par un oracle.

Comme les Beatles et les Rolling Stones, Bob Dylan est l'un des grands inventeurs du rock. Emblème du protest song (chanson engagée), il a puisé dans toutes les formes de la musique traditionnelle américaine — le folk, le blues, mais aussi la country et le gospel — pour les greffer au rock et offrir à celui-ci un contenu moderne et d'actualité, qu'il soit contestataire, violent ou poétique. Grâce à lui, le rock a pu devenir une forme d'expression personnelle, singulière et subjective, au même titre que la littérature, la peinture ou le cinéma. Sans lui, il n'y aurait eu ni John Lennon, ni Leonard Cohen, ni The Velvet Underground, pas plus que quantité d'autres. Sorte de nouvelle vague à lui tout seul, il s'est perpétuellement réinventé, changeant constamment sa façon d'utiliser une voix unique en son genre, entre le chant et la parole, d'une expressivité exceptionnelle. Il a parfois rencontré la faveur du public, comme au milieu des années 60 avec sa période « Like A Rolling Stone ». Il a enfin été une étonnante figure de père fondateur et de prophète, dont les propos et les chansons ont été disséqués comme autant de signes et sentences émis par un oracle.

Fils d'un détaillant en électroménager, Robert Allen Zimmerman grandit à Hibbing, une petite ville minière sur le déclin située dans les monts du Mesabi au nord du Minnesota, près de la frontière canadienne, dans une des rares familles juives et pratiquantes de la ville. Dylan a fabriqué son mythe en racontant qu'il avait été un enfant fugueur et rebelle, qu'un vieux bluesman du Delta lui avait offert une guitare dans l'Illinois, qu'il était parti sur les routes avec des forains dans le Texas, ou encore qu'il était un orphelin monté de l'Oklahoma et qu'il avait du sang sioux. Sa fascination pour la vie itinérante des bluesmen l'a entraîné adolescent vers la mythomanie. La réalité, telle qu'il l'admit dans une interview du milieu des années 80, est qu'il fut un enfant sans histoires, apprenant le piano vers l'âge de douze ans, puis l'harmonica et la guitare. Il découvrit d'abord la musique country et les disques de Hank William, puis le blues grâce à la radio. Très excité, comme nombre d'adolescents de son âge, par le rock'n'roll, il participe à un groupe au lycée et parcourt les rues de la ville sur une Harley Davidson qu'il a repeinte en noir, se prenant pour James Dean. Signant le livre d'or du lycée, il mentionne sous sa photo qu'il a été engagé par le groupe de Little Richard.

La vérité est qu'il s'inscrit en 1959 à l'université de Minneapolis, dont il ne suit les cours que durant quelques mois. Il fréquente surtout la bohème du quartier de Dinkytown, où il rencontré aspirants poètes beat, chanteurs de folk et musiciens de blues. Il chante dans une coffee house dont il fait régulièrement fuir les clients. Il commence alors à nourrir une véritable obsession pour la figure de Woody Guthrie, l'ancêtre des protest singers américains, qui prit fait et cause pour tous les laissés-pour-compte de la grande dépression. Il apprend par coeur ses chansons, affectant un ton nasal et des intonations parlées. Il adopte comme nom de scène Bob Dylan, d'après le poète gallois Dylan Thomas. A la fin de l'année 1960, il quitte Minneapolis pour, annonce-t-il, se rendre au chevet de Woody Guthrie paralysé par une maladie héréditaire dans un hôpital du New Jersey. Après un passage par Chicago (Illinois) puis Madison (Wisconsin), il débarque avec sa casquette, sa guitare et son porte-harmonica à New York en janvier 1961, alors qu'il fait —20°C et que s'élèvent des congères de trois mètres de haut au coin des rues. Il entre dans une coffee house de Greenwich Village où il propose de chanter pour les clients : l'un d'eux lui offre de l'héberger pour sa première nuit. Dès le lendemain, il file à l'hôpital rencontrer Guthrie. Il revient souvent lui rendre visite chez un couple d'amateurs et collectionneurs de folk, les Gleason, qui ont l'habitude de prendre en charge le vieux chansonnier pour le week-end. Dylan attire la sympathie et même l'intérêt du vieux maître, qui voit en lui un « vrai chanteur folk ». Dylan s'intègre de cette façon au milieu du folk new-yorkais, dont Pete Seeger, Ramblin' Jack Elliott, Dave Van Ronk et Ric Von Schmidt sont les figures principales. « Dylan était comme une éponge, se rappelle Van Ronk, il absorbait tout. »

Seul à New York, sans logis, Dylan dort dans les cafés, parfois dans le métro, se fait héberger par des femmes qui aiment à le materner. Il fait l'effet à tous ceux qui l'approchent d'un être malingre, crasseux, négligé, d'un freak (« monstre ») pitoyable. Il chante devant les cabarets de Greenwich Village et fréquente régulièrement le Folklore Center, lieu de rencontre des talents locaux. Il tente même de monnayer ses services de compositeur pour une maison d'édition.

Il fait ses véritables débuts en avril 1961 au Gerde's Folk City, qui organise tous les lundis soirs des hootenannies, c'est-à-dire des rencontres informelles de musiciens folk. Le charme singulier de Dylan opère sur tous ceux qui le voient : sa voix captive et étonne, son allure malicieuse à la Chaplin séduit. Son numéro, entre chanson et comédie, est si original que le patron l'engage pour assurer la première partie du bluesman John Lee Hooker. Sa prestation lui vaut un article élogieux dans le New York Times. Le succès vient peu à peu. Après un bref retour à Hibbing et une séance d'enregistrement où il joue de l'harmonica pour Harry Belafonte, ce qui lui rapporte 50 dollars, Dylan circule dans divers cabarets du circuit folk de l'Etat de New York. Il est invité par la chanteuse Carolyn Hester à jouer de l'harmonica sur l'album qu'elie enregistre aux studios Columbia. Le producteur John Hammond, qui a été le découvreur de Billie Holiday et Count Basie au début des années 30, et a même enregistré Bessie Smith à la fin de sa vie, sent chez Dylan un magnétisme unique en son genre : il lui fait signer sur-le-champ un contrat pour cinq années.

Dylan enregistre son premier disque en octobre, seul avec sa guitare et son harmonica, pour une somme de 400 dollars. « J'étais plein d'une émotion rageuse, violente, alors. J'ai joué de la guitare, j'ai joué de l'harmonica et j'ai chanté mes chansons, c'est tout. » L'album sort début 1962 et réunit les airs traditionnels de blues et de folk que Dylan a chantés en public : « See That My Grave Is Kept Clean » du bluesman texan Blind Lemon Jefferson, ou des chansons populaires arrangées par Dave Van Ronk, comme « Man 0f Constant Sorrow », une ballade des Appalaches encore, ou le célèbre « House 0f The Rising Sun », repris plus tard par les Animals. On y trouve aussi les deux premières compositions originales de Dylan : « Talkin' New York Blues », d'une veine satirique, et un hommage à son maître, « Song To Woody ». Le ton de l'album est austère et témoigne encore d'une complète orthodoxie vis-à-vis de l'esprit revival du folk new-yorkais. Le disque n'obtient pas un grand succès. Dylan doit de ne pas être mis à la porte grâce au soutien inconditionnel de John Hammond et, aussi, de Johnny Cash, qui voit en lui « un géant ».

Le premier concert important de Dylan, organisé quelques mois plus tôt au Carnegie Chapter Hall, n'a fait venir que cinquante personnes. Mais une réaction chimique se produit lorsqu'il est mis en contact, comme l'ensemble des chanteurs du petit monde folk, avec des militants du C.O.R.E. (Congress of Racial Equality, ou Rassemblement pour l'égalité raciale). Sa fiancée d'alors, Suze Rotolo (qu'on voit sur la pochette de The Freewheelin' Bob Dylan), milite pour cette organisation. Issue d'un milieu cultivé, apprentie comédienne, elle fait découvrir à Dylan le théâtre de Brecht. A ce moment-là, les principaux chanteurs folk new-yorkais, Phil Ochs, Len Chandler, Tom Paxton — et Dylan - comprennent qu'interpréter les chansons d'autrefois ne suffit plus : il faut s'engager dans son époque comme Guthrie l'avait fait dans la sienne, reprendre les mélodies d'autrefois, bien sûr, mais avec des paroles de son temps. C'est la naissance du protest song, modèle de notre chanson engagée. Une feuille ronéotée, Broadside, inspirée par Pete Seeger, commence ainsi à publier les textes-poèmes de ces chanteurs engagés. Dylan écrit d'abord pour le C.0.R.E. « Ballad 0f Emmet Till », l'histoire d'un adolescent noir battu à mort pour avoir sifflé sur le passage d'une fille blanche. Mais c'est le texte de « Blowin' In The Wind », dénonçant le silence et la surdité de la nation américaine face à ceux qui réclament leurs droits, qui provoque une réaction en chaîne. Avant d'être reprise, un an plus tard, par Peter, Paul & Mary, avec un immense succès, la chanson est un poème que toute une jeunesse se récite à New York. Stimulé, Dylan écrit une douzaine de chansons par jour, inspiré par des thèmes d'actualité. « Je ne m'assieds pas à ma table avec des journaux... La plupart du temps, c'est déjà dans ma tête quand je m'y mets. Pour moi, la chanson est déjà là avant que je l'écrive. » Il interprète, fin 1962, à un hootenanny organisé à Carnegie Hall, plusieurs des compositions qu'il se prépare à enregistrer pour son album suivant, dont « Oxford Town », consacré à la répression sanglante d'une manifestation après un incident racial, et surtout « A Hard Rain's A-Gonna Fall », où, alors que l'affaire des missiles à Cuba est sur le point de déclencher une guerre nucléaire, il fait la description saisissante d'un monde dévasté.

L'année 1963 voit Dylan accéder au statut de « roi du protest song ». L'immense succès de « Blowin' In The Wind » a fait de lui le porte-parole d'un profond courant contestataire qui traverse la société américaine, où se mêlent des revendications politiques (opposition à la guerre au Vietnam), morales (on rejette une société jugée inhumaine) et spirituelles (on prône la délivrance à travers la musique, la sagesse orientale, l'usage des stupéfiants). La naissance de son album suivant, The Freewheelin' Bob Dylan (« Bob Dylan en roue libre ») est complexe. En décembre 1962, Dylan a enregistré le simple « Mixed Up Confusion », accompagné, sur une idée de son manager Albert Grossman, par un groupe électrique de rhythm'n' blues. Jugeant cela mauvais pour son image de troubadour pur et dur, Columbia retire le morceau de la vente. Rendu furieux par les manoeuvres de Grossman, qui cherche à dénoncer le contrat de Dylan pour faire monter les enchères, Hammond arrête tout : il s'était déjà senti « trahi » lorsque Dylan était allé voir un autre éditeur de chansons, plus généreux, que celui qu'il lui avait conseillé. Quelques mois plus tard, les difficultés sont aplanies : un nouveau et jeune producteur noir de la Columbia, Tom Wilson, achève le travail. Dylan en profite pour retirer certains des titres prévus, qu'il juge trop proches du style de Guthrie. Il ajoute deux chansons personnelles, « Girl From The North Country » , un texte inspiré par sa première fiancée de Hibbing sur une mélodie du folklore anglais (transmise par le guitariste Martin Carthy à l'occasion d'un bref séjour à Londres), et « Bob Dylan's Dream » . Il joint aussi deux nouvelles chansons engagées, le classique « Masters 0f War », crachat à la figure des marchands de canons, et « Talking World War III » , pratiquement improvisé en studio. Encouragé par Grossman, Tom Wilson ajoute un discret accompagnement électrique sur ces quatre morceaux. Mais, surtout, Dylan chante sur Freewheelin' son premier texte personnel : « Don't Think Twice, It's All Right ». A ce moment-là, sa fiancée, malheureuse et se jugeant étouffée par lui, a choisi de partir pour un long voyage en Italie avec ses parents. Désespéré, Dylan écrit cette chanson d'amour blessé, qui annonce sa manière acide et ironique. Propulsé par le succès de « Blowin' In The Wind », l'album est un grand succès.

L'été 1963 marque un tournant. Dylan se produit dans une série de festivals folk qui culmine avec sa première apparition à Newport, en juillet 1963, où tous les noms de la chanson engagée, Joan Baez en tête (avec qui il entame alors une longue liaison), se réunissent. Il se sent mal à l'aise dans cette atmosphère de célébration où tous se donnent la main en chantant contre la ségrégation. A la fin du concert, une foule de fans en délire le poursuit dans sa voiture. Le protest song devient alors une mode, un conformisme de plus, et Dylan n'en veut pas. Le mouvement pour les droits civiques des Noirs prend alors une ampleur qui va culminer avec la Marche pour la liberté sur Washington de la fin 1963, où deux cent mille personnes se réunissent pour écouter le pasteur Martin Luther King. Seul à New York, à nouveau lâché par sa fiancée, Dylan se réfugie à la campagne à Bearsville, dans la région de Woodstock, chez son manager Albert Grossman. Il se forme alors autour de lui un petit cercle de familiers, qui le suit dans tous ses déplacements et le protège des agressions extérieures. En novembre, Dylan donne un concert triomphal au Carnegie Hall de New York, puis reçoit publiquement une récompense du Comité d'urgence pour les droits civiques. Apparemment choqué par l'assassinat de Kennedy, il bafouille lors de la cérémonie qu'il ne croit pas en la politique et que, sans approuver Oswald, l'assassin de Kennedy, il comprend ce que celui-ci a pu ressentir. Cris, huées : Dylan doit partir sous les lazzi du public.

Son troisième album, The Times They Are A-Changin' qui sort en janvier 1964, révèle le début d'une métamorphose qui fera de Dylan le plus grand novateur que le rock ait connu. Parmi les chansons du disque, « With God On Our Side » ironise sur la guerre de conquête menée contre les Indiens par l'armée américaine. Si « Ballad Of Hollis Brown », « The Lonesome Death Of Hattie Carroll » et « Only A Pawn In Their Game » sont encore inspirées par des faits divers, « Boots Of Spanish Leather » et « One Too Many Mornings » sont adressées, comme une lettre, à une femme en particulier, ne reflétant que des préoccupations personnelles. Les puristes froncent les sourcils, Grossman organise alors une série de concerts à travers le pays. Dylan et ses compagnons décident d'en profiter pour se promener de ville en ville et d'Etat en Etat dans un station wagon Ford (sorte de break familial). Le périple, qui va les mener de New York à San Francisco via la Louisiane, durera six semaines et sera riche en expériences étranges. Dylan remplit le véhicule de fripes qu'il veut distribuer aux mineurs en grève du Kentucky. Il part à la rencontre des « vrais gens » et écrit en chemin, la machine à écrire posée sur ses genoux. Une importante quantité de haschisch est prévue pour le voyage. L'un de ses acolytes avale régulièrement des amphétamines. Ainsi va la caravane roulant dans la nuit avec ses occupants totalement défoncés. A chaque étape les attend une enveloppe de marijuana qu'ils se sont expédiée de New York. Dylan n'a pas un grand succès avec les « vrais gens » : un vieux poète retiré dans les Appalaches n'a jamais entendu parler de lui, le chef du syndicat des mineurs du Kentucky remercie pour les vêtements, mais n'a pas vraiment le temps de discuter... Dans un état second, Dylan communique avec ses compagnons par paraboles obscures. Il écrit alors ses premiers textes fortement imagés, inspirés par Rimbaud que Suze Rotolo lui a fait découvrir, comme « Chimes Of Freedom » : « A travers le martèlement fou et mystique de la grêle qui crépite sauvagement / Le ciel a fait claquer ses poèmes en un miracle nu. » On est loin du militantisme. Dylan donne un dernier concert triomphal à Berkeley, près de San Francisco, puis retrouve Joan Baez à Carmel, près de Los Angeles. À son retour à New York, il est définitivement abandonné par Suze Rotolo.

En 1964, la métamorphose est achevée : Dylan trahit la cause des contestataires qui ont fait de lui leur porte-parole. Au mois de mai, il s'est rendu à Londres. Il a fait la connaissance des Beatles — qu'il aurait fait « fumer » pour la première fois —, des Rolling Stones, et surtout des Animals. La version électrifiée d'une métodie folk de son premier album, « House Of The Rising Sun » par le groupe d'Éric Burdon, l'a frappé comme une révélation. Aux États-Unis, les puristes du protest song voient d'un très mauvais oeil cette « British invasion », avec les Beatles en tête, qui apporte le retour du rock'n'roll, cette musique pour gamins écervelés. A New York, pourtant, elle suscite une effervescence extraordinaire : poètes, musiciens de folk, beatniks se réunissent pour faire beaucoup de bruit en électrifiant leur musique et prônant la libération individuelle par le rock, l'usage des stupéfiants et l'incantation poétique. Avant de se jeter à l'eau à son tour, Dylan, invité à chanter au festival de Newport, fait frémir les « gardiens du Temple » en ne chantant que des textes personnels, adressés à des femmes, comme « All I Really Want To Do » et le merveilleux « It Ain't Me, Babe » destiné, paraît-il, à Joan Baez. Il enregistre en une nuit aux studios Columbia, entouré d'amis, son nouvel album, Another Side Of Bob Dylan, dont le titre, « Un autre aspect de Bob Dylan », annonce qu'il a tourné la page. La chanson, justement intitulée « My Back Pages » (« Mes pages retournées »), le souligne avec son refrain fameux : I was so much older then, I'm younger than that now (« J'étais tellement plus vieux en ce temps-là, je suis plus jeune que ça maintenant »). Dylan explique qu'il ne croit pas une seconde à la possibilité que peut avoir un couplet de changer la société. « Il n'y a pas de chansons à message dans ce disque,» explique-t-il alors à l'envoyé du New Yorker, « je ne veux plus écrire de chansons pour le peuple. Je ne veux plus être un porte-parole. Je veux retrouver la spontanéité, écrire comme on marche ou comme on parle — sans y penser. » L'album connaît un immense succès : le « nouveau » Dylan a beau déclencher les foudres des puristes, un jeune public se reconnaît dans ses doutes et ses interrogations. Un concert, fin octobre au Philharmonic Hall de New York, où il présente trois de ses nouvelles chansons, « Gates Of Eden », « Mr. Tambourine Man » et « It's AIl Right, Ma », aux textes splendides et ouverts à toutes les interprétations, couronne triomphalement cette mutation.

La création de « Mr. Tambourine Man », un de ses titres inédits, par le groupe de folk-rock californien les Byrds, qui l'interprète à la façon des Beatles, l'enthousiasme. Il invite le guitariste de blues électrique new-yorkais Bruce Langhorne à venir jouer sur son nouveau disque, le producteur Tom Wilson se chargeant de recruter les autres musiciens. L'album, qui sort sous le titre Bringing It All Back Home, en mars 1965, débute par un incroyable choc : « Subterranean Homesick Blues », un morceau à la Chuck Berry, mi-chanté, mi-parlé, illustre bien le titre de l'album (« On ramène tout ça à la maison » — « tout ça » étant le rhythm'n'blues américain que se sont appropriés les Anglais). Mélange détonant de notations réalistes et d'aphorismes drôles et absurdes, ce morceau est le premier succès de Dylan en 45 tours. Toute la première face de l'album est « électrique » et contient deux des plus belles chansons d'amour, au langage symbolique, « She Belongs To Me » et « Love Minus Zero — No Limit », que Dylan ait écrites. La seconde face, avec « Mr. Tambourine Man » et le classique « It's AIl Over Now, Baby Blue », est enregistrée avec sa guitare sèche et son harmonica, en une seule prise et sans accompagnement. Nombre de ses dévots accusent désormais Dylan d'avoir renié son amour du peuple, d'être devenu une pop star vaniteuse vendue à l'argent.
Pour lire la suite, cliquez sur Suivant.