Neil Young YOUNG, Neil : chanteur et guitariste de folk, country et rock américain, 1969 : né le 12-11-1945 à Toronto, Canada.

Avec Bob Dylan, ce musicien canadien est un des rares artistes dont on peut dire qu'il a eu plusieurs vies. De Buffalo Springfield à Crosby, Stills, Nash (& Young) et Crazy Horse, il a suivi un parcours qui l'a vu traverser tous les styles en restant lui-même. Tour à tour chanteur de folk enraciné dans la tradition, parolier aiguisé, rocker, guitar hero, Neil Young est l'un des rares musiciens dont toutes les productions ont été traversées par une fièvre et une magie uniques en leur genre. Auteur d'albums exemplaires du début des années 70 comme Everybody Knows This Is Nowhere, After The Goldrush, Harvest, mais aussi Tonight's The Night, On The Beach et Zuma, il a été également profondément marqué par le punk-rock, créant Rust Never Sleeps. Son exemple inspirera aussi bien, plus de dix ans plus tard, les musiciens de la vague grunge, comme Kurt Cobain de Nirvana et Pearl Jam.

Natif de Toronto, Neil Young passe son enfance à la campagne dans la petite ville d'Omeeme. Fils cadet d'un journaliste sportif connu (Scott Young), il est atteint par la poliomyélite et frôle la mort à l'âge de cinq ans. A la séparation de ses parents, l'enfant part vivre avec sa mère à Winnipeg. Il abandonne ses études après le lycée et rêve de devenir fermier. Le destin lui fait découvrir Elvis Presley et Chuck Berry. Aidé par sa mère, il s'achète une guitare Gretsch orange et commence à jouer à l'âge de quatorze ans. En 1962, il assiste à un concert de Roy Orbison qui devient son idole. A quinze ans, il fait partie des Esquires, un groupe semi-professionnel. Neil Percival Kenneth Ragland Young (son nom complet) enregistre son premier 45 tours à Winnipeg pendant l'été 1963 avec les Squires, un groupe d'abord purement instrumental influencé par les Shadows (Hank B. Marvin est son héros, tout comme Lonnie Mack, Link Wray et Dick Dale). Le groupe publie un 45 tours situé dans le sillage des groupes de surf comme les Surfaris, «Aurora — The Sultans ». Entiché des Beatles, il commence à écrire ses propres chansons et à chanter au sein des Squires début 1964, reprenant notamment «Money» et « It Won't Be Long », avant d'intégrer le répertoire des Rolling Stones et des Kinks, improvisant longuement sur le thème de «Farmer John» (qu'il reprendra d'ail1eurs dans Ragged Glory trente ans plus tard). «A ce moment-là, s'ouvrira-t-il au critique Nick Kent dans L'Envers du rock , je m'essayais à un nouveau genre de musique, un peu folk-rock, mais en plus dur. On prenait de vieux airs traditionnels comme «Clementine» et «Oh Susannah» sur des tons mineurs, on y ajoutait de petites harmonies bizarres et on les jouait sur un rythme de surf-rock.»

Au printemps 1965, dans un club de Fort William, The Fourth Dimension, Neil Young rencontre Stephen Stills, originaire du sud des Etats-Unis et de passage au Canada avec son groupe de folk d'alors, The Company. Fascinés l'un par l'autre, les deux guitaristes se font la promesse de se retrouver sans tarder. Cela leur prendra un an. Entre-temps, Neil Young aura écrit «Sugar Mountain» et «Long May You Run», changé le nom des Squires en High Flying Birds, aura quitté ceux-ci pour former avec le bassiste Ken Koblun Four To Go And The Castaways, fait la connaissance de Richie Furay et, sous l'influence de sa fiancée d'alors, se sera transformé en chanteur de folk inspiré par Bob Dylan, enregistrant sept titres pour Elektra à New York, dont «Nowadays Clancy Can't Even Sing». Ensuite, il rejoindra à Detroit les Mynah Birds de Bruce Palmer et Rick James (future star du funk des années 80), qui enregistrent même pour Motown sous la direction de Smokey Robinson un album resté inédit, jusqu'à ce que Rick James soit arrêté pour désertion de l'US Navy, ce qui mettra fin à une carrière prometteuse.

Après avoir vendu le peu qui lui appartenait, Neil Young s'embarque en février 1966 avec Bruce Palmer à bord d'un corbillard ! — en direction de Hollywood, à la recherche de Stephen Stills, empruntant la célèbre Route 66 (« Elle était encore ouverte en ce temps-là, ce n'était pas une légende »). Lorsqu'ils croisent celui-ci par hasard sur Sunset Boulevard, accompagné du guitariste Richie Furay, le 1er avril 1966, l'histoire du rock fait un bond. Dès le début de Buffalo Springfield, Neil Young jouit d'un statut à part. Il compose pas mal, chante un peu et occupe en principe le rôle de guitariste soliste. Mais il écrit de plus en plus, souhaitant chanter autant que Furay et Stills, subissant la concurrence de ce dernier à la guitare. Il quitte alors le groupe à plusieurs reprises (mai-août 1967, mars 1968), connaissant durant cette période ses premières attaques d'épilepsie, dont certaines le prennent sur scène. Il goûte à toutes les drogues, en particulier le LSD qui lui inspire « Flying On The Ground Is Wrong » et «Burned». Il travaille avec l'arrangeur de Phil Spector (et à l'occasion pianiste pour les Rolling Stones), Jack Nitzsche, les Cascades (qui reprennent « Flying On The Ground Is Wrong ») et Love (Forever Changes). Neil Young domine de son intensité les prestations scéniques de Buffalo Springfield et l'ensemble du deuxième album, Buffalo Springfield Again, grâce à trois morceaux somptueux : « Mr. Soul », « Expecting To Fly » et « Broken Arrow ». Eternellement vêtu de sa veste indienne à franges ou d'un uniforme de l'armée sudiste des Confédérés, Neil Young forme avec Bruce Palmer et le batteur Dewey Martin le coeur canadien du groupe, même si Stephen Stills en est le leader incontesté. Sa présence reste à part, comme plus tard au sein de Crosby, Stills, Nash (& Young).

Au printemps 1968, alors qu'il prépare son premier album solo en compagnie de Jack Nitzsche, Neil Young est arrêté pour détention de marijuana en compagnie d'Eric Clapton, Jim Messina et Richie Furay dans le chalet en séquoia de Topanga Canyon qu'il partage avec Susan Acevedo (la tenancière du Topanga Café qu'il épousera bientôt). Relâché le lendemain, il retrouve Buffalo Springfield pour une tournée d'adieux et signe en solo avec Reprise, le label de Frank Sinatra.‘Neil Young, enregistré avec Jim Messina à la basse et George Grantham à la batterie, qui rejoindront bientôt Furay au sein de Poco, est un album arrangé par Jack Nitzsche avec la participation de Ry Cooder, et produit par David Briggs. Ce premier disque solo de Neil Young paraît exactement le 22 janvier 1969 : malgré sa qualité d'ensemble et son intensité (« The Old Laughing Lady », l'exceptionnel «Here We Are In The Years», l'emblématique «The Loner»), il n'entre même pas dans le Top 200 du Billboard. Durant cette période, Neil Young fréquente Charles Manson (le futur assassin de Sharon Tate), alors un auteur-compositeur au charisme aussi intense qu'inquiétant. Il avouera à Nick Kent avoir suggéré à Warner de lui signer un contrat : « S'il avait eu un groupe comme celui de Dylan pour «Subterranean Homesick Blues»... Mais c'était inconcevable, il y avait quelque chose en lui qui empêchait les autres de rester trop longtemps à proximité.» Peu de temps après, Young rencontre un groupe de bar d'origine new-yorkaise au Whisky A-Gogo, les Rockets, qui deviennent Crazy Horse dès février pour une tournée de la Côte Est. Le mois suivant, Young, le remarquable guitariste et chanteur Danny Whitten, le bassiste et le batteur Ralph Molina entrent en studio pour enregistrer ce qui s'avérera leur premier chef-d'oeuvre, Everybody Knows This Is Nowhere (1969). Publié en mai, il contient trois tours dc force à la guitare qui constitueront la base de leurs concerts de ces années-là : l'abrasif «Cinnamon Girl», les épiques et enfiévrés «Hello Cowgirl In The Sand», «Down By The River» où son jeu de guitare haché et obsédant fait merveille.

A la mi-1969, Neil Young franchit un des pas les plus importants de sa carrière. A l'initiative du président d'Atlantic, Stephen Stills lui a demandé de le rejoindre au sein de Crosby, Stills & Nash, dont le prcmier album n'est pas encore sorti. Le 18 août 1969, le quatuor donne son deuxième concert devant cinq cent mille personnes au festival de Woodstock, ce qui le consacre instantanément comme les nouveaux Beatles, porte-parole de ce qu'on nommera la « Woodstock Generatio n». A l'origine, Neil Young tient un rôle purement complémentaire : il ajoute ses furieuses interventions à la guitare électrique aux longs déchirements des chansons de Crosby, engageant des joutes instrumentales avec Stills dans les «chevaux de bataille» scéniques du groupe comme « Carry On » et « Wooden Ships ». Il contribue vite au répertoire de la formation, apportant le puissant « Down By The River », l'enflammé « Southern Man », le passionné «Ohio» qu'il considère comme son meilleur enregistrement avec Crosby, Stills, Nash (& Young). On le retrouve aussi à l'orgue, parfois au piano, au cours des séquences acoustiques, où sa voix haut perchée et son jeu ciselé font merveille, d'« On The Way Home » à « Birds », de « Hello Cowgirl In The Sand » à «Helpless». Parallèlement, il profite de chaque semaine de liberté pour tourner avec Crazy Horse. Ses après-midi et ses soirées prises par Crosby, Stills, Nash (& Young), il utilise ses matinées pour enregistrer de son côté, le plus souvent en compagnie de Stephen Stills et du guitariste de Grin, Nils Lofgren, passé au piano.

En septembre 1970, moins de six mois après Déjà vu (1970), paraît After The Goldrush, le troisième album solo de Neil Young. Ce disque tourmenté, qui bénéficie de l'exceptionnelle publicité octroyée par le succès de Crosby, Stills, Nash (& Young), sert de miroir à toute une génération : il se classe aussitôt en tête des hit-parades américains et britanniques. L'univers romantique de Neil Young, « l'esprit de Topanga Canyon» comme il le décrit, cristallise l'inquiétude et l'impatience de toute la génération hippie, pacifiste mais révoltée, écologiste et radicale, qui voit son combat se durcir : musicalement entre rock et folk, « Tell Me Why », « Only Love Can Break Your Heart », « I Believe In You », «Birds» et « Southern Man » sont autant de titres impérissables. Le grand guitariste dégingandé incarne dès lors un des bénis des années 70, chantre de la perte des illusions, et bientôt du spleen et de la désolation. Une tournée acoustique, qui passe par des salles comme Carnegie Hall et le Royal Festival Hall, est enregistrée en vue d'un album live, qui ne paraîtra jamais, mais sera diffusé via d'abondants enregistrements pirates.

Durant cette période, Neil Young change de vie. Après avoir rencontré Carrie Snodgrass, la vedette du film Diary Of An American Housewife, il a quitté sa femme et vit désormais dans un ranch de la région de San Francisco, où il élève son premier enfant, Zeke. Il écrit pour sa nouvelle femme «A Man Needs A Maid», un titre qu'on découvre dans son Harvest, qui paraît en février 1972 et devient le mois suivant n°1 aux États-Unis, s'imposant comme l'un des albums les plus populaires dc la décennie. « Heart 0f Gold » sera également n°1, arrachant à Bob Dylan ce commentaire : « A chaque fois que j'entendais « Heart 0f Gold », je me sentais contrarié. Je me disais : merde, c'est moi. Puisqu'il sonne comme moi, c'est moi qui aurais dû chanter ça.» Si Harvest reste l'album le plus populaire de la carrière de Neil Young, ce n'est pas le plus incisif ni le plus inspiré, malgré «Old Man» et «The Needle And The Damage Done». Sa production feutrée est impeccable, avec les voix de Crosby, Stills, Nash, Linda Ronstadt et James Taylor omniprésentes dans les choeurs, et un tempo de bastringue fatigué, parfaite incarnation de la notion californienne de laid-back (soit, si l'on veut, «peinard»). Peut-être conscient d'un relâchement de sa pugnacité, Neil Young publie un 45 tours inédit le 19 juin en duo avec Graham Nash «War Song», chanson de soutien au candidat démocrate à la Maison-Blanche, George McGovern («There's a man / Who says he can / Put an end to war...» , soit « Il y a un homme qui dit qu'il peut / Mettre fin à la guerre »).

Après Harvest, Neil Young n'aura de cesse qu'il ne soit toujours là où on ne l'attend pas, s'ingéniant délibérément à saboter son succès populaire en entreprenant des projets inattendus. «C'est ma nature qui appelle un changement constant. Seulement pour éviter de m'ennuyer et d'ennuyer les autres. Que voulez-vous, quand je me lève le matin, il y a cette petite voix qui me dit : Neil, voilà ce qu'il te faut absolument faire aujourd'hui. Si je cessais de l'écouter, je perdrais mon âme.» Il le fait dès fin 1972, tout d'abord, en réalisant (on pourrait dire en bricolant) un film autobiographique inspiré de Fellini et Godard, Journey Through The Past, qui donne lieu à un double album dont l'unique intérêt consiste en quelques titres live bien sentis avec Crosby, Stills, Nash (& Young). Publié en octobre 1973, l'album live Times Fades Away est une autre surprise : loin de ressembler au recueillement d'une grand-messe hippie, cet album témoigne d'une tournée calamiteuse où Neil Young, traumatisé par la mort de Danny Whitten, le guitariste de Crazy Horse, consécutive à une overdose d'héroïne, perd sa voix et des spectateurs soir après soir : il finit par appeler David Crosby (dont la mère meurt d'un cancer) et Graham Nash (dont la compagne vient d'être assassinée par son beau-frère) à la rescousse. Le résultat donne un disque dur, froid et sombre, dont le principal mérite réside dans son honnêteté et son courage (tous les morceaux sont alors inédits). La plus belle chanson en est «Don't Be Denied», où Neil Young se souvient de son enfance et de son adolescence au Canada. Démoralisé, vivant les derniers mois de sa liaison avec Carrie Snodgrass, isolés dans leur ranch de San Mateo avec son fils Zeke qui souffre d'autisme, Neil Young entre dans une dépression noire.

Au printemps 1973, après l'échec d'une tentative de réunion de Crosby, Stills, Nash (& Young) à Hawaii, Neil Young a enregistré Tonight's The Night, un album qui mettra deux ans avant d'être publié. Si ce disque reste son album préféré — et celui de la majorité de la critique —, il s'avère aussi le plus sombre, celui où son obsession pour les ravages de la drogue est à son comble : après Whitten, Bruce Berry, un roadie de Crosby, Stills, Nash (& Young), a succombé à son tour à une overdose (le disque lui sera dédié). Mal accueilli par sa maison de disques et repoussé par une nouvelle et triomphale réunion de Crosby, Stills, Nash (& Young) tout au long de 1974, Tonight's The Night souffrira aussi de la publication de l'excellent On The Beach cet été-là : enregistré avec la rythmique de The Band (Levon Helm et Rick Danko) et consacré aux dérives et à l'agonie du rêve hippie californien, cet album amer, dépouillé de tout sentimentalisme, évoque par bien des aspects le Plastic Ono Band de John Lennon ou le Blood On The Tracks de Bob Dylan avec des morceaux mordants et cruels comme « Walk On » ou « Revolution Blues », qui revient sur les meurtres de Charles Manson, ou encore le magnifique «Ambulance Blues», long de neuf minutes, qui se conclut par cet aphorisme mémorable : « There is noihing like a friend / To tell you you're just pissing in the wind » (« Rien ne vaut un ami pour te faire remarquer que tu pisses contre le vent »).

Aprés l'échec d'un autre album en studio avec Crosby, Stills, Nash (& Young) enregistré dans la foulée à San Francisco, Neil Young enregistre ce qu'il espère être une suite à Harvest; un album resté inédit, Homegrown, dont il distillera des fragments dans différents albums au cours des années suivantes (« Star 0f Bethleem » avec Emmylou Harris, notamment). Finalement opéré des cordes vocales, il publie enfin Tonight's The Night deux ans après son enregistrement, déchaînant tantôt l'admiration tantôt la consternation, selon ses fans ; la production nue, à vif, la sincérité, la crudité et la brutalité de la chanson-titre, reprise deux fois, de «Tired Eyes» ou de «Borrowed Tune» heurtait les sensibilités fragiles et n'offrent guère de points d'accroche aux programmateurs de radio. Neil Young enchaîne à la rentrée 1975 avec Zuma , un album où l'on retrouve cette fois presque toutes ses différentes facettes : le fan des Beatles et des Rolling Stones (« Don't Cry No Tears »), celui de Jimi Hendrix, guitariste fiévreux capable de partir dans de longues rêveries épiques, sur une trame historico-politique (le phénoménal « Cortez The Killer »), le baladin folk rêveur révélé par Crosby, Stills, Nash (& Young) (« Through My Sails », avec eux).
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