REED, Lou (Lewis Reed) : chanteur et guitariste de rock américain, 1964. Né le 02.03.1942 à Brooklyn (New York).
Fondateur du Velvet Underground, qu'il animera de 1965 à 1970, ce new-yorkais reste avant tout celui qui, avec Bob Dylan, a fait du rock une forme d'expression adulte, y introduisant le courant poétique et littéraire issu de la Beat Generation. Esthète et dandy, il a incarné avec panache un concentré des pires cauchemars des Etats-Unis : rock'n' roll, homosexualité, marginalité, drogues, provocation extrême, scandale, décadence, pulsions suicidaires. De « Heroin » et « Walk On The Wild Side » à « Dirty Boulevard », de « Perfect Day » (la chanson) à Perfect Night (l'album), ses chansons ont traduit les étapes d'un parcours initiatique, de l'avant-garde sauvage à la rédemption, jusqu'à la liberté. Brillant auteur-compositeur et chanteur voué au culte de la guitare électrique, considéré comme l'artiste fondateur du courant punk, il a œuvré toute sa vie pour un rock'n' roll conçu comme le mode d'expression d'un auteur, à égalité avec la littérature, la peinture et le cinéma.
Lewis Alan Reed est le fils de Sidney George Reed, un comptable effacé de Manhattan, il a fait changé son nom, Rabinowitz, en Reed, et de Toby Futterman Reed, une mère à la forte personnalité de Brooklyn. Tous deux juifs new yorkais, ils vivent à Freeport, Long Island. Contrairement à ce qu'un canular particulièrement résistant a fait accroire, Lou Reed ne s'est jamais fait appelé Firbank. Lewis est un enfant nerveux, couvé par sa mère qui nourrit de grandes ambitions pour ce fils devenu très turbulent après la naissance de sa sœur Elisabeth, dite Bunny, en 1947. Il étudie un temps le piano et, à onze ans, découvre le rock'n' roll qui commence à être diffusé à la radio : une remise en cause déjà violente des valeurs qu'on lui transmet, celle d'une Amérique blanche, aisée et bien-pensante. Comme le personnage de Ginny dans sa chanson « Rock And Roll », il tombe amoureux du jump blues de la Côte Ouest , du rhythm'n' blues de la Louisina , du rockabilly du Tennessee, et particulièrement des harmonies vocales du doo-wop new yorkais. Il se met à la guitare, mais son professeur ne tient que le temps d'une leçon. Il refuse d'apprendre le solfège, de suivre les étapes techniques, et préfère apprendre en copiant les disques. A douze ans, il écrit déjà des chansons dans un style doo-wop avec son cousin. Il acquiert une Gretsch Country Gentleman et reproduit bientôt les solos de Roy Orbison et des guitaristes de la marque Sun : Carl Perkins, Scotty Moore et Billy Lee Riley.
A treize ans, il commence à prendre conscience de son homosexualité, un tabou aux Etats-Unis. « Quand l'amour vous est interdit, dira-t-il plus tard, on passe le plus clair de son temps à jouer avec la haine. » Il est bouleversé par cette attirance qu'il cherche à cacher, se réfugiant dans la musique. Il forme un groupe de lycée à quatorze ans et écrit des poèmes où transparaissent des thèmes homosexuels. Il dépose aussi une Sonate n°1 pour violon et piano. Il fréquence la station de radio de Freeport où il essaie de placer ses chansons. Bob Shad l'engage comme compositeur et, à seize ans, Lewis Reed enregistre sous le nom des Jades « So Blue – Leave Her For Me », un 45 tours de doo-wop dans le style des Jordanaires, où il joue de la guitare, Phil Harris chante et écrit les paroles, aux côtés du célèbre saxophoniste King Curtis. A peine adolescent, Lou Reed subit un traumatisme qui le marque à tout jamais. Voulant mettre un frein aux excentricités de leur fils rocker, les parents l'emmènent à une consultation psychiatrique censée le débarrasser de son homosexualité. Le garçon subit alors 24 séances d'électrochocs au cours de l'été 1958 (il écrira « Kill Your Sons » à ce sujet en 1974). Il suit ensuite un lourd traitement de chimiothérapie, avec des drogues dures comme la thorazine. Il ne sera plus jamais le même : il mettra des années à retrouver sa concentration et, durant ses insomnies, il rédige des poèmes. Contre ses parents, il écrit « You'll Never, Never Love Me ». Parti étudier à l'université de New York, dans le Bronx, au sein d'une section artistique libre qui comprend des cours de musique, il doit d'abord surmonter une longue dépression. Il découvre Thelonious Monk, John Coltrane et Ornette Coleman au Five Spot Café et se passionne pour le jazz moderne d'avant-garde, alors très controversé. Il rejoint son meilleur ami, Allen Hyman, à l'université de Syracuse dans la section journalisme, qu'il quittera après s'être rebiffé contre un professeur, et étudie les arts, l'histoire de l'opéra, du théâtre et la mise en scène. Il est également animateur à la radio universitaire : il diffuse surtout du jazz, mais aussi du rock'n' roll et du rockabilly, du doo-wop, des disques de James Brown, Ornette Coleman et Archie Shepp, ce qui change beaucoup des programmes de musique classique. Son émission s'appelle « Excursions On A Wobby Rail », d'après la composition du pianiste de jazz Cecil Taylor. En classe, il porte des jeans et pas de cravate, laisse un pousser ses cheveux bouclés, qu'il fait défriser, et adore le comique Lenny Bruce qu'il imite.
L'œuvre de Lou Reed prend ses racines dans le mouvement beatnik anticonformiste qui commence à faire évoluer les mentalités : l'homosexualité, la politisation et les drogues dures y ont déjà une grande place. Il se présente comme un pervers torturé, poète beat victime des électrochocs, fume beaucoup de chanvre indien (alors tabou) et prend des amphétamines avec les plus aventureux des étudiants. Il tombe amoureux de Shelley Albin, qui devient sa principale source d'inspiration. Il écrit des chansons qu'il joue à la guitare sèche dans l'esprit folk de Bob Dylan en reprenant les musiques de ballades écossaises traditionnelles. Il monte un premier groupe acoustique avec Joe Annus et John Gaines (un noir) au chant et un copain au banjo. Il participe ensuite à un groupe noir de blues électrique, Three Screaming Niggers, et fonde à L.A. & The Eldorados (« L » pour Lewis et « A » pour son ami Allen Hyman, batteur), où il joue avec succès des reprises de rock'n' roll (surtout Chuck Berry) dans les bars en fin de semaine. Il est désormais chanteur et devient Lou Reed. Arrogant et provocateur, il insulte volontiers le public et le groupe doit changer son nom en Pasha & The Prophets pour pouvoir être à nouveau engagé dans certains bars. En 1962, il essaie le LSD, la codéine et le peyotl. Parallèlement, un noyau gay se développe discrètement à la faculté autour d'un professeur, et Reed en fait partie. Il crée une petite publication littéraire, The Lonely Woman Quartely (un nom emprunté à une composition d'Ornette Coleman), dans laquelle il publie ses textes, dont une violente attaque contre le chef du parti étudiant des Jeunes Démocrates, ce qui lui vaut un blâme à la faculté et l'interdiction de la feuille.
Pendant l'été 1962, Lou Reed fait une rencontre qui influera profondément sur son parcours. Durant l'absence de sa fiancée Shelley, pour qui il écrit « I Found A Reason » et « The Gift », il se lie avec Delmore Schwartz, essayiste, poète et auteur de nouvelles, alors âgé de 62 ans, qui enseigne à Syracuse. Alcoolique, gorgé de médicaments, dépressif, ce professeur charismatique sait se monter éloquent et drôle. La lecture de sa nouvelle In Dreams Begin Responsabilities est un grand choc pour Lou Reed qui conçoit pour lui une véritable idolâtrie : il écrira plus tard en son honneur « European Son To Delmore Schwartz » et « My house ». En fréquentant Schwartz, il a découvert la ligne de force qui va guider toute son œuvre : mélanger le rock et la littérature. Il lit Raymond Chandler, Hubert Selby Junior, Jack Kerouac, Allen Grinsberg, William S. Burroughs, mais aussi Hegel, Kierkegaard, Camus et Sartre. Il accélère aussi Durant cette période son expérimentation des drogues. En 1963, il s'injecte de l'héroïne à Harlem et attrape aussitôt une hépatite (ce qui lui vaudra d'être réformé du service militaire). Longtemps obligé de renoncer à l'alcool et à l'héroïne, incompatibles avec l'hépatite, il se tournera vers les amphétamines et d'autres drogues (il se fera aussi revendeur). Comme en écho à The Naked Lunch de Burroughs, il écrit « Heroin » puis « Waiting For The Man ». Son comportement est agressif et Shelley, désemparée, le quitte : un drame pour Reed, qui écrira pour elle d'autres poèmes dans l'espoir de la retenir.
En 1964, il se procure un travail alimentaire dans la musique. Après avoir obtenu sa licence de lettres, il trouve pour l'été un emploi de compositeur pour Pickwick International, une firme qui se lance dans le rock. Il est chargé, avec Terry Philips, Jerry Vance et Jimmie « Sims » Smith, d'écrire et d'enregistrer des dizaines de chansons dans les différents styles à la mode : surf, rock etc. Il commence par le 45 tours « The Ostrich – Sneaky Pete », qu'il écrit et interprète lui-même sous le nom des Primitives. « The Ostrich » parodie la mode des danses ineptes lancées dans le sillage du twist : Tu mets ta tête par terre et tu demandes à quelqu'un de marcher dessus ». La plupart des DJ auxquels le simple est expédié le renvoient, pensant que leur exemplaire présente un défaut de pressage : « The Ostrich » est un des premiers morceaux enregistrés à utiliser délibérément des effets de distorsion (à l'argus des collectionneurs cette pièce vaut aujourd'hui environ 2 000 francs). Lou Reed cherche des musiciens pour jouer des concerts de promotion. John Cale, un intellectuel gallois formé au piano classique et à l'alto, joue à New York de la musique d'avant-garde avec La Monte Young , au sein de son Theater of Eternal Music où il est engagé pour jouer de la basse. Le sculpteur et batteur Walter De Maria et Tony Conrad, qui joue également avec Young, acceptent eux aussi pour s'amuser. Reed accorde toutes les cordes de sa guitare à la même note, ce qui lui permet de former un accord d'un seul doigt. Cette technique ressemble à celle qu'utilise John Cale avec La Monte Young , dont les expériences « Dream House » marquent beaucoup Lou Reed : celui-ci fait alors découvrir le rock à Cale qui méprisait jusque-là cette musique « populaire ».
Après quelques concerts dans des centres commerciaux et une photo dans Vogue, les Primitives cessent toute activité. En enregistrant chez Pickwick, Lou Reed a appris à se servir d'un studio. Il s'est lié d'amitié avec Cale qui apprécie les dévastateurs « Heroin » et « Waiting For The Man » et se trouve estomaqué par l'audace de son compagnon, qui l'entraîne, lui, le musicologue, à jouer dans la rue. Quoique très différents, ils partagent un appartement à Manhattan, dans une maison habitée par des artistes comme l'écossais excentrique Angus MacLise, percussionniste de La Monte Young. MacLise jouera avec eux, ainsi que Sterling Morrison, un guitariste rencontré à l'université puis retrouvé dans la rue. Ils interprètent les morceaux de Reed, tel « Venus In Furs » sous le nom des Warlocks, deviennent parfois les Falling Spikes et enregistrent « Loop », un titre présentant des boucles de distorsion des guitares sèches et l'alto de John Cale, dans un style folk influencé par Bob Dylan, Reed jouant de l'harmonica. Après l'été, Pickwick publie l'album pop Swingin' Teen Sounds Of Ronnie Dove And Terry Philips, dont plusieurs titres sont coécrits par Reed, qui y joue aussi de la guitare. Il sera suivi de l'album Soundsville ! (1965), coécrit par Lou Reed, présent à la guitare et aux chœurs, qui y chante deux perles de proto-punk, « You're Driving Me Insane » (attribué aux Roughnecks) et « Cycle Annie » (aux Beachnuts). Diverses compilations, dont Out Of Sight, comprennent des titres cosignés Reed, et des 45 tours de Roberta Williams, des All Night Workers paru en 1965, « Why Don't You Smile », publié sous le label Round Round, sera repris l'année suivante par The Downliners' Sect. Les Falling Spikes sont invités à créer des sons étranges, le corps maquillé, placés derrière l'écran durant la projection d'un film d'avant-garde de Piero Heliczer (qui joue du saxophone) alors que des danseuses occupent la scène. Cette bande-son est réutilisée pour un film. C'est alors que le nom de The Velvet Underground est adopté.
Le Velvet Underground ne trouvera pas le succès, mais restera comme un des groupes les plus inventifs de toute l'histoire du rock, à la portée aussi grande que celle de Bob Dylan. Avant de quitter ce groupe le 23 août 1970, Lou Reed aura traversé une des périodes les plus marquantes de sa vie, dominée par sa collaboration avec Andy Warhol. Epuisé par son abus des amphétamines, il continue de publier des poèmes dans le magasine Fusion, et écrit un essai, Fallen Knights And Fallen Ladies, pour le recueil de textes No One Waved Goodbye sur le thème des stars du rock disparues prématurément. Il est dactylo pour son père, puis adapte le livre Walk On The Wild Side de Nelson Algreen en comédie musicale (restée inachevée). Il récite ses meilleurs textes à l'église Saint Mark devant des poètes new yorkais. Il décide alors temporairement, dans un même mouvement, de devenir végétarien et de revenir à l'hétérosexualité.
La carrière solo de Lou Reed débute de la façon la plus inattendue : à Londres, lancée par un David Bowie en pleine ascension, inconditionnel du Velvet Underground. Après avoir enregistré des maquettes et signé avec RCA, Reed est envoyé à Londres pour y enregistrer. C'est le tout début de la période glam rock, où la provocation sexuelle et l'androgynie sont en vogue. Mal préparé, il enregistre sans succès Lou Reed (1972) avec des musiciens de studio d'Elton John ainsi que Steve Howe et Pick Wakeman de Yes. Le disque est essentiellement constitué de chansons pensées pour le Velvet Underground jusque-là restées inédites ; les versions maintenant connus de certains de ces mêmes morceaux par le Velvet Underground lui-même, comme « Ocean » dans Live 1969 ou « I Can't Stand It » dans V.U., sont incontestablement supérieures à celle s de Lou Reed en solo. Le 29 janvier 1972, il joue au Bataclan, à Paris, avec John Cale et Nico puis rentre à New York, où il engage les Tots. Entre-temps, David Bowie, devenu une superstar grâce au triomphe de The Rise And Fall Of Ziggy Stardust, propose à RCA de produire l'album suivant de Lou Reed avec son collaborateur Mick Ronson et son groupe, les Spiders From Mars. Le glam rock est alors en pleine explosion et les thèmes de l'androgynie et de la bisexualité sont à la mode : dans un mouvement que certains critiques n'hésitent pas à juger opportuniste, Lou Reed se présente maquillé outrancièrement, comme David Bowie, évoquant aussi un peu Alice Cooper ou Marc Bolan de T. Rex. Bowie est sans conteste à l'origine de l'image forte de Transformer (1972), véritable manifeste gay du rock, dont est tiré « A Walk On The Wild Side ». Ce titre devenu légendaire, avec ses choristes et son solo de saxophone, reste le seul véritable grand succès de sa carrière, passant massivement à la radio, de manière d'ailleurs fort inattendue pour une histoire de travestis, de drogues et de fellations. Cet excellent album contient aussi les classiques : « Perfect Day » (réenregistré avec des invités célèbres, il sera n°1 en Grande-Bretagne en 1997), « Vicious » et « Satellite Of Love ». Le film The Rocky Horror Picture Show (1975) de Jim Sharman, s'inspire beaucoup de l'image de Lou Reed qui tourne avec les Tots. Une partie de la communauté gay se rallie à lui, mais il choisit alors de se marier avec Bettye Kronstadt, jeune et jolie juive blonde.
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