Suite de la biographie des Rolling Stones

Pour raconter l'apogée du Swinging London de 1967-1968, il faudrait reprendre le mot d'un illustre anonyme : « Si vous vous souvenez des années 60, c'est que vous n'y étiez pas. » Les Stones ont plongé dans le nouveau style de vie qui séduit la frange la plus affranchie de la jeunesse mondiale : des fêtes folles et somptueuses partout, une ambiance de création débridée et d'expérimentation dans tous les arts. Mais la fête aura un prix. Chanvre indien, amphétamines, alcools, Mandrax, puis LSD, alors considéré comme une expérience plus qu'une drogue, se répandent. La police surveille les Stones. Jagger et Richards reçoivent au début de l'année 1967 la visite de policiers. De retour à Londres après une tournée derrière le rideau de fer où, à Varsovie, on a chargé des milliers de jeunes à la matraque, ils sont tous deux condamnés à des amendes. Un mois plus tard, nouvelle arrestation : Jagger est trouvé en possession d'amphétamines, Richards est accusé d'avoir laissé fumer du cannabis chez lui. Cette fois, de lourdes peines de prison sont prononcées. Chacun passe une nuit au commissariat, n'en réchappant que grâce au versement d'une caution substantielle. Les peines seront annulées en appel.

Mais un autre poison ronge les Stones : Brian Jones. Alcoolique depuis plusieurs années, régulièrement traité pour des dépressions ou des crises de violence, abusant de pilules diverses, mélangeant LSD et amphétamines, il est devenu la plupart du temps incapable de jouer ses parties de guitare. En studio, Richards doit venir à sa rescousse. Jones a lui aussi été plusieurs fois arrêté et condamné à la prison pour détention de drogue. A cette différence près qu'il est profondément atteint : bientôt, il tiendra à peine debout, apparaissant comme un mort-vivant dès la fin 1968. Le groupe vit en plein chaos. Il s'entend de plus en plus mal avec son imprésario Oldham, affairiste à courte vue ; l'agent américain Allen Klein a déjà la main dans les affaires. Jagger et Marianne Faithfull sont partis suivre l'enseignement du Maharishi avec les Beatles au nord de l'Inde. Dans un tel climat, la musique a du mal à surnager. Le 45 tours « We Love You », paru en été 1967, rompt un assez long silence. Il débute par le bruit de portes de cachots qui claquent ; répétitif comme un raga indien, il traduit l'adaptation des Stones au courant hippie. Composé sous l'influence du LSD, Their Satanic Majesties Request (1967) paru à la fin de l'année, est censé être la « réponse » des Stones au Sgt Pepper's psychédélique des Beatles. Mais, à part les excellents « She's Like a Rainbow » et « 20.000 Lights Years From Home », le disque est, de l'aveu même de Jagger en 1994, « n'importe quoi », même si son charme reste inaltéré. Ils trouveront pourtant, au cœur de ce désordre, l'occasion de se réinventer. Tandis que les Beatles marchent vers leur déclin, les Stones vont connaître un second âge d'or que personne n'aurait prédit.

En 1968, le vent tourne. Bombardements au napalm au Vietnam, émeutes estudiantines, la violence est partout. En mai 1968 sort enfin le nouveau 45 tours des Rolling Stones, très attendu. Si l'on en juge par le titre, « Jumpin' Jack Flash », et le déguisement grotesque des musiciens sur la pochette, l'influence hippie est encore centrale. Le riff de guitare du début de la chanson, pourtant, est le plus dur des Stones depuis « Satisfaction », et la voix de Jagger traduit une violence fiévreuse. Les Stones captent et traduisent le climat d'agitation et d'affrontements qui les entoure. Leur 45 tours suivant, « Street Fighting Man », aux paroles très directes, est perçu comme un tract de soutien aux jeunes émeutiers, ce qui lui vaut d'être interdit sur les ondes de la BBC. Durant cette période, Jean-Luc Godard tourne avec eux, en studio, des éléments du film One Plus One , qui sortira à Paris fin 1969. Le nouvel album est annoncé. Sa pochette, représentant des graffiti au-dessus d'un WC public, sera censurée au dernier moment par Decca et remplacée par la reproduction d'un banal carton d'invitation à la sobre élégance ironique. Beggar's Banquet (1968) est à rapprocher du récent John Welsey Harding de Bob Dylan : le temps des surenchères baroques et rêveuses du rock psychédélique est passé, l'urgence impose une musique réduite à l'essentiel, en l'occurrence un blues retenu aux sonorités nues, destiné à mettre les paroles en valeur. Le disque s'ouvre par un long titre appelé à devenir légendaire, « Sympathy for the Devil », sorte de transe latino-africaine, où les paroles très dylaniennes de Jagger acquièrent un poids qu'elle n'ont jamais eu. Inspiré par un souvenir de Baudelaire, Jagger offre sa voix à Lucifer (« un homme de richesse et de gloire ») passant en revue les violences, passées et actuelles, qui ont traversé l'humanité, pointant de manière sardonique le chaos des valeurs (le célèbre « chaque filc est un criminel et tous les pécheurs sont des saints » deviendra proverbial). Presque tous les titres sont sous-tendus par une menace diffuse, surtout les plus calmes, comme « No Expectations », où Brian Jones à la steel guitar fait sa dernière apparition, « Salt of the Earth », « Factory Girl » et « Stray Cat Blues ». Le rôle du réalisateur Jimmy Miller, déjà aux commandes dans « Jumpin' Jack Flash » compte dans cette renaissance musicale. L'impact du disque est immense. Dans le monde anglo-saxon, les Rolling Stones acquièrent le statut de porte-parole du mouvement contestataire, occupant de fait le poste que Bob Dylan, démissionnaire et exaspéré, a laissé vacant.

Comme par un fait exprès, les tragédies qui apparaissent sur les écrans de télévision en 1968-1969 (assassinats de Robert Kennedy et Martin Luther King, guerre du Biafra, émeutes sanglantes en Irlande du Nord) trouvent un écho tristement réel dans la vie des Rolling Stones. En 1969, ils ne sont pas partis en tournée depuis un an et demi. Pour cette raison, ils prennent la décision de se défaire de Brian Jones, incapable de tenir debout. Celui-ci reçoit la sentence en juin 1969 : il annonce alors à la presse qu'il a le projet de retourner aux sources du blues avec son maître Alexis Korner. Il a également enregistré avec un groupe de musiciens marocains (un disque étrange et chaotique, Joujouka, paraîtra en 1971). Au moment où des guitaristes solistes comme Jimi Hendrix, puis Alvin Lee de Ten Years After, Eric Clapton ou Jeff Beck sont devenus les nouveaux héros du rock, le remplaçant de Brian Jones est un brillant guitariste de jazz-blues de vingt et un ans, Mick Taylor (né le 17.01.1948 à Welwyn Garden City, Angleterre), formé à l'école de John Mayall. Un mois plus tard, le 3 juillet 1969, Brian Jones est retrouvé mort, noyé dans sa piscine. La nouvelle a un impact considérable : les disparitions de Janis Joplin, Alan Wilson de Canned Heat, Jimi Hendrix et Jim Morisson ne sont pas encore survenues. Le décès d'un musicien de rock de 27 ans par autodestruction progressive est une nouveauté effrayante dans un contexte encore insouciant, où la violence est plus présente dans les mots et les images que dans les actes. Les Stones organisent aussitôt un concert à Hyde park, auquel assistent deux cent cinquante mille personnes : Jagger y lira un poème de Shelley sur la réincarnation et lâchera un vol de papillons en mémoire de leur compagnon. Un autre drame conclut l'année 1969 enthousiasmée par le festival de Woodstock : le dernier soir de leur tournée américaine, les Rolling Stones organisent, à la dernière minute, un concert à Altamont, un sinistre circuit automobile de la baie de San Francisco. Les organisateurs sont incompétents. Des bagarres éclatent ; le service d'ordre est assuré par les Hell's Angels. En plein concert, l'un d'eux poignarde un adolescent noir qu'il prétend avoir vu sortir un revolver. La mythologie de l'époque veut y voir le symbole de la fin du rêve hippie.

La période qui s'ouvre pour le Rolling Stones est celle où ils produiront leur musique la plus intense. En juin 1969, les Stones partent avec Mick Taylor pour Los Angeles enregistrer un nouveau 45 tours où, c'est la première fois, Keith Richards a introduit des rudiments de musique country, transmis par son ami Gram Parsons. Lé résultat sera le classique « Honky Tonk Women ». La face B, « You Can't Always Get What You Want », arrangée par Jack Nitzsche avec un chœur d'enfants, est remarquable de beauté, toute de ferveur résignée. Let It Bleed (1969) réunit des titres exceptionnels enregistrés, pour la plupart, en même temps que Beggar's Banquet. Les chansons y sont marquées par une dureté sans illusions, traduisant panique (« Gimme Shelter »), épouvante (« Midnight Rambler ») ou désespoir (« Love In Vain »). Le style de Keith Richards, issu de celui de Chuck Berry, Bo Diddley, et quelques autres, a atteint un point de maturité exceptionnel. UN disque enregistré en public, Get Yer Ya-Ya's Out (1970), témoin de la tournée américaine de l'automne 1969, est mis en vente par Decca pour solde du contrat, afin de couper court à la diffusion d'enregistrements pirates des remarquables concerts de cette période, marqué par d'extraordinaires versions à rallonge de « Midnight Rambler ». Jamais les Stones ne sont apparus aussi puissants, unis et tranchants. Decca exige alors un ultime morceau en studio pour un 45 tours, auquel la firme a droit par contrat. Excédés, Jagger et Richards enregistrent alors, seuls, l'effarant « Cocksucker Blues » qui raconte l'arrivée à Londres d'un adolescent se prostituant avec un policier qui le pénètre de sa matraque : une fois livré, Decca ne sort pas le disque, qui est vite publié par des « pirates » avec un succès prévisible.

1970 est une année de flottement, d'où les Stones émergeront métamorphosés. Jagger part faire l'acteur, jouant dans le western Ned Kelly et l'intéressant Performance (1971) de Nicholas Roeg, où il joue une scène d'amour avec la belle Anita Pallenberg, qui a été également la maîtresse de Brian Jones avant de donner à Keith Richards un fils, Marlon. Mick Jagger se sépare alors de Marianne Faithfull et rencontre à Paris le mannequin nicaraguayen Bianca Perez Moreno de Macias, qu'il épousera à Saint-Tropez en 1971. Ils auront une fille, Jade. L'énergie des Stones est alors accaparée par des problèmes financiers. S'estimant grugé, le groupe se sépare de la firme Decca et coupe ses liens avec le tenace (et vorace) agent Allen Klein, dont les Beatles auront toutes les peines à se défaire. Jagger, Richards et les autres iront jusqu'à décider, début 1971, de se domicilier hors de Grande-Bretagne pour échapper au fisc. La nouvelle structure qu'ils mettent sur pied, les disques Rolling Stones, sera fixée à New York, dirigée par Marshall Chess et distribuée par Atlantic, une filiale du groupe Warner dirigée par le légendaire Ahmet Ertegun.

Le dernier âge d'or des Rolling Stones s'ouvre en 1971. Il correspond à un éloignement définitif de leur source d'inspiration de 1965-1968 : Londres. C'est pourquoi, sans doute, il sera de courte durée. Le groupe enregistre à nouveau avec Jimmy Miller dans le studio de Jagger a installé dans sa maison de campagne. Il en émergera un de leurs meilleurs disques, Sticky Fingers (1971), précédé d'un de leurs 45 tours les plus populaires, « Brown Sugar ». Le célèbre son des Rolling Stones tel qu'il sera reconduit bon an mal an jusqu'à la fin du siècle est résumé dans ce titre : une phrase de guitare rythmique puissante et mémorable en intro, une rythmique ferme et solide, un piano pour renforcer ce rythme, des cuivres, pour épaissir le son et, bien sûr, un texte allusif, ouvert à des interprétations salaces ou interdites (on pense à l'héroïne, alors qu'il s'agit en fait d'un maître qui force sa jeune esclave africaine à coucher avec lui). La pochette, restée légendaire, est réalisée par Andy Warhol et montre le haut d'un jean avec une véritable fermeture éclair incorporée. La ballade « Wild Horses » connaîtra aussi une notoriété inépuisable, tout comme le « You Gotta Move » du bluesman Fred McDowell. Le titre le plus puissant est sans conteste « Sister Morphine », lent et plaintif, accompagné par la guitare slide de Ry Cooder, récit à la première personne d'un homme agonisant après un accident sur son lit d'hôpital où il est en manque de morphine. Une partie des paroles est écrite par Marianne Faithfull qui se débat alors contre une longue dépendance à l'héroïne. Le concert filmé Gimme Shelter sort en plein été. En janvier 1972, Jamming With Edward, une nuit d'improvisations sans intérêt, sans Keith Richards mais avec Nicky Hopkins et Ry Cooder, est publié. Les Stones deviennent alors des exilés fiscaux.

Pour enregistrer leur disque suivant, les Rolling Stones s'installent dans le midi de la France, dans la maison que Keith Richards et Anita Pallenberg ont acquise à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Le groupe vit en une communauté grossie d'amis et musiciens de passage, comme Gram Parsons. Les drogues circulent beaucoup et Keith Richards consomme régulièrement de l'héroïne. Un studio mobile permet d'enregistrer dans la cave. Exile On Main Street, une double album qui sort au début de l'été 1972, n'est peut-être pas le meilleur des Stones, mais il a beaucoup de charme et transmet chaleur et euphorie. Le mixage, réalisé à Los Angeles, ne peut gommer l'aspect brouillon de la plupart des morceaux enregistrés la nuit, au milieu de bouteilles de vin et autres substance. Keith Richards chante faux, mais avec un style inimitable, son « Happy » ; le groupe s'amuse à retrouver le blues décharné de ses débuts (« Shake Your Hips » de Slim Harpo et « Steady Rolling Man Blues » de Robert Johnson) et les chansons de style country, influencées par Gram Parsons, comme « Sweet Virginia », sont magnifiques. Les titres plus typiquement Stones, comme le 45 tours « Tumbling Dice », ou « All Down The Line » et « Rocks Off », balancent magnifiquement comme une répétition bien arrosée, à l'énergie exubérante et spontanée. Tout le monde chante en chœur, et des titres étranges, dominés par les percussions, tel « Just Wanna See His Face », sorte de gospel sans Dieu, paraissent presque expérimentaux. Une colossale tournée américaine en été, avec Stevie Wonder, accompagne le lancement du disque, une apothéose scénique où se multiplient les excès.

Fin 1972, une page est tournée. Chaque membre du groupe vit de son côté. Richards s'enferme dans l'héroïne, se promenant partout avec des armes à feu pour protéger ses transactions. Jagger parcourt le monde avec Bianca. Le groupe trouve, si l'on peut dire, son rythme de croisière, se réunissant régulièrement pour composer, enregistrer et tourner, vivant le reste du temps de longues vacances. C'est la fin de la prépondérance artistique des Rolling Stones. De 1973 à 1978, ils se figent dans le rôle académique de « plus grand groupe de rock'n' roll du monde », faisant de la musique professionnellement, mais avec moins de cœur à l'ouvrage. Les premiers signes de déclin sont sensibles sur Goat's Head Soup (1973), enregistré à Kingston, en Jamaïque, où Keith Richards a acheté une maison, au moment où le reggae fait irruption en Europe avec le film The Harder They Come et Bob Marley. D'un niveau encore respectable, cet album révèle, aux yeux de certains, un groupe qui commence à se parodier. La ballade « Angie », le plus énorme succès de leur carrière (écrit pour Angela Bowie) souffre d'un excès de cabotinage. It's Only Rock'n' Roll (1974), premier disque artistiquement autoréalisé par Jagger et Richards, n'est guère inspiré, si l'on met de côté la belle reprise d' « Ain't Too Proud to Beg » des Temptations et « Fingerprint File ». Lassé par la routine et le manque d'enthousiasme, Mick Taylor quitte le navire pour s'orienter vers le jazz et le blues, jouant avec Jack Bruce. Les Stones, après avoir auditionné nombre de guitaristes dont Jeff Beck, présentent d'abord l'arrivée du guitariste bien plus conciliant des Faces, Ron Wood (né le 01.06.1947 à Londres, comme un appoint en tournée.

Les Rolling Stones enregistreront encore d'excellents disques dont presque chacun, quelque divers qu'en soit l'accueil, sera un évènement. Avec Black & Blue (1976), ils se renouvellent en incorporant des influences reggae et funky à la mode de La Nouvelle-orléans avec Billy Preston aux claviers. Le disque a de beaux moments, comme « Memory Motel » ou les funky « Hey Negrita » et « Hot Stuff », mais la ballade facile « Fool To Cry » sortie en 45 tours, gêne ceux qui sont les plus attachés au groupe. La publication du double album Love You Live (1977), enregistré aux anciens abattoirs de la Villette à paris, déçoit beaucoup. L'absence du flamboyant soliste Mick Taylor, qu'on entend briller dans un grand nombre de concerts largement diffusés via des disques pirates, se fait cruellement sentir et fait regretter Get Yer Ya-Ya's Out. Le sympathique et drôle Ron Wood, toujours dans l'ombre de Keith Richards, n'est le plus souvent capable que de médiocres solos à la sonorité bien pâle. Quatre blues enregistrés dans une petite boîte de Toronto agrémentent ce disque d'une version passable du « Crackin' Up » de Bo Diddley et du « Mannish Boy » de Muddy Waters.

Une tentative de ressaisissement a lieu en 1978. Tournée en ridicule par la nouvelle génération des punks, secoués par la vague disco, les Rolling Stones sont contraints de changer. Wood vit à Los Angeles et Richards à New York. Jagger qui réside alors tantôt à New York, tantôt dans son appartement parisien de Saint-Germain-des-Prés, s'intéresse à nouveau à la musique et se passionne pour le courant latino qui aura une grande influence sur les années à venir. Avec l'harmoniciste Sugar Blue, et influencé par le courant punk, l'énergique Some Girls (1978) contient au moins un excellent morceau, Beast of Burden », ainsi que le morceau-titre très réussi. L'énorme succès du 45 tours « Miss You », appuyé pour la première fois sur une rythmique funky-disco, offre aux Stones un succès auprès du grand public. Keith Richards se débat alors dans un interminable conflit avec la justice canadienne qui l'a condamné pour détention d'héroïne. Il doit déclarer publiquement sa décision de cesser sa consommation (alors qu'il n'en sera rien). Le scandale frappe la Grande-Bretagne où la presse, déjà aux prises avec les punks, proteste contre ce mauvais exemple de plus pour la jeunesse. Proche des Stones, la femme du Premier Minstre canadien Pierre Trudeau aide Keith Richards à échapper à la prison, à charge pour son groupe de jouer et rester un temps au Canada. Il donne alors quelques concerts bâclés avec Ron Wood dans un groupe formé pour le plaisir, les New Barbarians, avec le bassiste de jazz Stanley Clarke et le percussionniste des Meters Ziggy Modeliste. Sous le nom de Keith Richards, il publie un premier 45 tours solo, le « Run Rudolph Run » de Chuck Berry avec le reggae « The Harder They Come » (1979) de Jimmy Cliff en face B. Accompagné par le groupe de Sly & Roobie, Mick Jagger enregistre le « Don't Look Back » des Temptations en duo reggae avec Peter Tosh, qui restera le premier et dernier artiste qui ne soit pas un Stone à publier un album pour le label Rolling Stons Records. Cherchant à diversifier ses activités, Jagger prépare le premier rôle du film Fitzcaraldo de Werner Herzog, mais le tournage se fera finalement sans lui.

Si les Stones ont perduré depuis cette période, c'est surtout grâce à l'énergie et au travail de Mick Jagger. Emotional Rescue (1980) est un prolongement de Some Girls, et le morceau-titre, chanté en partie en voix de fausset haut perchée, un succès de plus. Tattoo You (1981) fait proclamer à beaucoup un retour des Stones à leur sommet : scindé en une face lente et une rapide, l'album fait découvrir des perles comme le sensuel « Heaven », « Black Limousine », ainsi que « Wiating On a Friend », une ballade très naturelle, véritable petit classique. L'efficace « Start Me Up » renoue avec un classicisme à la « Brown Sugar » et montre une volonté d'occuper le terrain, devenant, de fait, un énorme succès mondial. Dinosaures survivants, les Rolling Stones sont alors sur le point de fêter leurs vingt ans de carrière, déjà un record, alors que Bill Wyman installé sur la Côte d'Auzr, près de Cannes, annonce son départ, finalement remis, pour 1983. Pour la première fois depuis leurs débuts, et sous l'influence des Stray Cats, qui symbolisent le renouveau du rock et jouent en première partie de leur tournée mondiale de 1981, les Rolling Stones interprètent une composition d'un rocker blanc sur scène, le « Twenty Flight Rock » d'Eddie Cochran. Mais c'est le « Going To A Go Go » de Smokey Robinson And The Miracles qui fournit le 45 tours extrait du nouvel album en public, Still Life (1982), plus convaincant que le précédent. Mick Jagger, plus que jamais le patron du groupe ; s'installe définitivement au bord de la Loire , dans la grande propriété qu'il a achetée à Amboise.

Au milieu des années 80, les Rolling Stones semblent finis, au plein sens du terme. On ne parle d' Undercover (1983) que pour l'interdiction du clip du simple, « Undercover Of The Night », où figurent des scènes de violence : cet échec plonge les Stones dans une léthargie quasi-totale entre 1983 et 1989. A l'occasion d'un changement de maison de disques, Jagger décide de réaliser son premier album solo. She's The Boss (1985) est enregistré aux fameux studios Compass point de Nassau, aux Bahamas, où Robert Palmer a beaucoup enregistré. Sly et Roobie posent la rythmique et arrangent les morceaux, Bill Laswell et Nile Rodgers réalisent, le claviériste de l'Allman Borthers Band Chuck Leavell participe, Herbie Hancock et Pete Townshend passent par là. Cette tentative à la fois pop et énergique ne sera pas retenue par la postérité, pas plus que les suivantes, Primitive Cool (1987) et Wandering Spirit (1993) album produit par Rick Rubin et le plus proche du son des Stones. Leur inspiration de compositeurs plutôt tarie, les Stones ont recours à la composition de Bob & Earl « Harlem Shuffle », un classique soul qui leur assure un nouveau succès. Le titre figure dans Dirty Work (1986), paru peu près le décès de leur ancien pianiste Ian Stewart. Keith Richards y chante « Sleep Tonight ». En 1988 il publie son premier album solo, Talk Is Cheap, au son rock approximatif, sale et essoufflé.

Les Rolling Stones font leur véritable retour en 1989 avec Steel Wheels , un album enregistré à la Barbade et accompagné d'une tournée monstre. Le groupe semble à nouveau heureux de se retrouver et les enfants de ceux qui les écoutaient vingt ans auparavant les découvrent dans une version bon enfant et consumériste, cette fois en phase avec les valeurs de la société nouvelle. Les disques des années 90 ne parviendront certes pas à faire oublier les grands classiques des années 60-70, mais les Rolling Stones excellent plus que jamais sur scène. Leurs concerts gigantesques leur font retrouver leur véritable dimension, grâce à un répertoire d'une richesse incomparable. En 1991, Keith Richards publie le sympathique Live at The Hollywood Palladium, suivi en 1992 de Main Offender. Le scénario de Steel Wheel se reproduira en 1994 avec Voodoo Lounge, réalisé par Don Was à Dublin. Le son très cru se réfère aux Stones d' Exile On Main Street, avec des rythmes différents. A cette différence près de Bill Wyman, âgé de 58 ans, a pris finalement la décision irrévocable de ne plus jamais jouer avec le groupe. Avec lui, la rythmique légendaire, force motrice des Rolling Stones, perd son élément central. Le départ de ce musicien discret fait aux Stones une des clés de leur style. Le bassiste noir américain Daryll Jones prend sa place, sans être officiellement intégré ni figurer sur les photos, tout comme les collaborateurs importants qu'avaient été, en leur temps, Ian Stewart, Nicky Hopkins ou Bobby keys. Le groupe sacrifie alors à la mode unplugged en enregistrant en public à l'Olympia à Paris Stripped (1994), un disque réussi, reprenant avec soin et dignité d'anciens titres comme « Street Fighting Man » et recréant le « Like A Rolling Stone » de Bob Dylan, qui devient leur nouveau 45 tours. Fin 1997, un autre album, Bridges To Babylon, d'où est extrait « Anybody Seen My Baby ? », annonce une tournée à laquelle Bob Dylan participe en première partie. Chaque soir, il chante son « Like A Rolling Stone » en duo avec Jagger, vision étrange de deux géants, survivants d'un autre temps. Bill Wyman, qui a ouvert le Sticky Fingers Café, publie alors un disque de blues bien senti ave cde célèbres solistes de la guitare comme Gary Moore ou Eric Clapton, une réussite qui fait oublier ses précédents disques, de facture souvent médiocre. Mais l'aventure en solo la plus intéressante et originale reste de loin le Wingless Angels (1998) de Keith Richards qui, inspiré par les enregistrements de Mystic Revelation of Rastafari, grave ce disque de percussions nyabinghi et chants rastafari en Jamaïque, un digne hommage aux racines spirituelles noires américaines de la musique des Rolling Stones. Fin 1998 est paru No Security, un album live de leur dernière tournée, la plus profitable de toute leur carrière.