The Rolling Stones ROLLING STONES, The : groupe de rock britannique, 1962.
- Mick Jagger
: chanteur. Né le 26.07.1943 à Dartford (Angleterre).
- Keith Richard
: guitariste. Né le 18.12.1943 à Dartford.
- Brian Jones
: guitariste et multi-instrumentiste. Né le 28.02.1942 à Cheltenham (Angleterre), mort le 02.07.1969 à Londres (Angleterre).
- Bill Wyman
: bassiste. Né le 24.10.1936 à Londres.
- Charlie Watts
: batteur. Né le 02.06.1941 à Londres.

Au terme de près de quarante ans de carrière, les increvables Rolling Stones règnent encore sans partage sur le rock'n' roll, un genre qu'ils sont les premiers et aux yeux de beaucoup les seuls, à avoir façonné et inscrit dans l'époque moderne. Londoniens passionnés de blues, ils ont su créer un son irrésistible, faisant adopter pour la première fois comme siens ces styles noirs américains à la jeunesse blanche occidentale dès le milei des années 60. Les Rolling Stones ont été à l'origine de la renaissance du rock'n' roll qui, dans le sillage de la Beatlemania, a parcouru les Etats-Unis au milieu des années 60 avec les Who, les Kinks et d'autres groupes britanniques.

Tandis que leurs concurrents et amis les Beatles, venus du nord de l'Angleterre et originaires de milieux plus frustes, renvoient une image rassurante à la socièté, les Stones déclenchent dès 1964 une hystérie collective de nature bien plus provocante. Très tôt, ils affichent une décontraction qui, en ces temps où la jeunesse a encore une apparence guindée, fait scandale : leurs cheveux sont sales et décoiffés, ils fument sur scène et refusent de sourirre sur les photos. Bientôt, ils mettront en scène une attitude de défi, de rebéllion et d'insoumission que Mick jagger incarne comme nul autre. Il est le premier blanc à inventer un nouveau personnage de chanteur : survolté, théâtral, extravagant et narcissique, il incarne un symbole sexuel d'un nouveau genre, homme androgyne amoureux de sa propre féminité. Le guitariste Keith Richards devient aussi le premier accompagnateur à prendre une place aussi significative dans l'histoire du rock, créant le mythe du guitar hero. Il servira de modèle à un nombre incalculable de rockers, fascinés par sa figure de dandy décavé, qui n'obéit qu'à ses propres règles, capable de survivre à ses nombreux excès comme protégé par une sorte de magie noire.

Après plusieurs albums de reprises de blues et rhythm'n' blues, l'énorme succès de "(I Can't Get No) Satisfaction" (1965) révéléra l'essence du rock moderne, au carrefour des rythmes et des rites venus des Noirs américains et de paroles tirées de l'expérience, de l'imagination des rêves et des révoltes des jeunes blancs occidentaux. Autant que le talent scénique de Jagger et l'excellent travail de mise en valeur des instruments rythmiques accompli par les Stones tout au long de leur carrière, cette aptitude de Jagger et Richards à composer des chansons universelles, aux textex percutants explique pourquoi ils ont su perdurer plus et mieux que tous les autres. Moins influent depuis le milieu des années 70, le groupe n'en a pas moins montré une capacité d'adaptation remarquable et une longévité sans équivalent. Son titre du "plus grand groupe de rock'n' roll du monde" n'est d'ailleurs disputé par aucune formation.

Contrairement à une idée longtemps reçue en France, les Rolling Stones n'étaient pas des voyous ; ils étaient même plutôt le contraire. Ils venaient d'un milieu d'étudiants londoniens amateurs de jazz et de blues, détestant tout ce qui en constituait des adaptations à leurs yeux commerciales ou inauthentiques. En somme, des puristes. Ils jouent de la musique pour le plaisir et n'imaginent pas pouvoir en vivre ni, à plus forte raison, appartenir au show-business. En 1956, l'apparition du rock'n' roll en Grande-Bretagne n'a suscité que des artistes de modeste envergure comme Billy Fury et Marta Wilde, appréciés des teddy boys issus de la classe ouvrière. En 1960, la première vedette grand public du rock'n' roll est Cliff Richard, un triste ersatz d'Elvis Presley, et les futurs Rolling Stones n'ont que mépris pour ce courant. La radio de la BBC est dominée par des orchestres de bal qui copient le style populaire américain des chanteurs swing, Frank Sinatra en tête. En 1960, la demande est grande pour une musique plus authentique. A Londres comme à Saint-Germain-des-Prés dans les années 50, le style jazz d'avant-guerre de Sidney Bechet ou Louis Armstrong éblouit le publie de l'ouest de la capitale anglaise. Le tromboniste Chris Barber, Cyril Davies et Alexis Korner organisent des spectacles où ce trad jazz cher au critique français Hughes Panassié, dont l'hostilité au jazz moderne est restée légendaire, occupe une place de choix. Lors de ces soirées, des invités viennent présenter d'autres styles. Ainsi, Sonny Terry et Brownie McGhee interprètent du blues rural sans amplification, reprenant le traditionnel "Rock Island Line" qui devient vite l'hymne du skiffle britannique avec Lonnie Donegan. Un jeune public est ébloui par le bluesman noir américain Big Bill Broonzy qui, bien que fixé à Chicago où il joue de la gutiare électrique, s'est rendu en Europe pour interpréter les chansons de fermiers de ses débuts, se présentant comme le "dernier bluesman vivant" aux "racines du jazz". Enfin, on y entend aussi du rhythm'n' blues, considéré comme vulgaire par les distingués amateurs de jazz. Pas pour les futurs Rolling Stones, fous de ce style. Blues électrique de Chicago et rhythm'n' blues sont ainsi des styles marginaux et jamais diffusés : aucun disque n'est disponible sur le marché britannique, aucune station de radio ne diffuse cette musique. Comme le dira le britannique Phil May, chanteur des Prett Things : "au début des années 60, le seul moyen d'entendre la musique que vous aimiez, c'était d'en faire vous-même."

En 1960, Jagger et Richards vivent toujours dans leur banlieue de Dartford. Ils sont issus de milieux sans histoire : le père de Jagger est professeur d'éducation physique, celui de Richards est jardinier-paysagiste. Après avoir fréquenté la même école primaire, ils se sont perdus de vue. Fils unique, Richards baigne dans la musique depuis l'enfance. Sa mère écoute le jazz de Louis Armstrong et le folk-orkc de Furry Lewis, qui fait ung rand retour en 1959. Keith apprend même à gratter des airs de country à la guitare. A seize ans, on l'a exlcu d'un lycée technique pour manque d'assiduité ; réorienté à l'Art College local de Sidcup, il en a été rencoyé pour les mêmes raisons. Là, il s'est lié avec un autre marginal, Dick Taylor, et une bande de traînards musiciens, tous amateurs de rhythm'n' blues. Un jour, sur un quai de gare, Richards aborde un garçon portant ous le bras des disques de Muddy Waters et Chuck Berry, du catalogue Chess, introuvables en Grande-Bretagne. En discutant avec lui, il s'aperçoit qu'il le conaaît : c'est son ancien voisin, Jagger. Celui-ci a eu la bonne idée de souscrire au catalogue par correspondance des disques Chess de Chicago. Ils s'aperçoivent que chacun collectionne tous les disques de musique noire qu'ils trouvent et se découvrent un enthousiasme commun pour les bluesmen Howlin' Wolf, Muddy Waters, John Lee hooker, Jimmy Reed, Willie Dixon, mais aussi les rockers Chuck Berry et Bo Diddley.

Mick Jagger a réçu de son côté une éducation très rigide. Son père, attentif à sona venir, l'a inscrit à la London School of Economics, souhaitant le voir devenir cadre financier. Le garço a besoin de se défouler. Il adore chanter et se donner en spectacle le samedi soir. "Dès l'âge de quinze ou seize ans, je ne ratais jamais une occasion de tomber à genoux ou de me rouler sur le dos. Evidemment, mes parents désapprouvaient tout ça. Pour eux, le rock, c'était bon pour la classe ouvrière, les chanteurs de rock n'étaient pas des gens très éduqyés. Je n'avais strictement aucune inhibition. Je voyais Elvis et gene Vincent et je me disais que j'étais capable de faire aussi qu'eux. J'y prenais un plaisir monstre : c'est vraiment jouissif de faire le con, même devant vingt personnes." Un week-end, Richards sort sa guitare et un petit ampli ; Jagge chante, singeant les disques qu'ils aiment. Entraînant leur copain Dick Taylor, ils jouent très ort dans les salles à manger ou des caves, chez des amis. Pour l'heure, ils ne songent qu'à s'amuser, adoptant le nom de Little Boy Blue & The Blue Boys.

Début 1962, Jagger assiste aux matinées hebdomadaires de blues, le dimanche à l'Ealing Jazz Club, à l'ouest de Londres, où Alexis Korner et Cyril Davies parrainnent de jeunes musiciens. Sur scène, il voit un garçon âgé d'à peine vingt ans venir s'asseoir pour exécuter impeccablement le "Dust my broom" d'Elmore James à la guitare slide. Il l'aborde et il est subjugué. Brian jones s'avère un bien plus grand connaisseur de blues que lui ; il collectionne tout, mais à ses yeux, le blues est bien plus qu'un divertissement d'étudiant : une religion. Issu d'un milieu bourgeois et puritain de Cheltenham, une ville située à l'ouest d'Oxford, le garçon est un révolté et un asociale. Il a fomenté une émeute dnas son lycée, a fugué en Suède, où il prétend avoir engrossé une fille qu'il aurait abandonnée. Après quoi il a joué du saxophone dnas un groupe à la Duane Eddy, les Ramrods, décidant ensuite de devenir musicien à Londres. Pour sonner plus blues, il se fait alors appeler Elmo Lewis. 0 Londres, il survit de rapines et d'expédients, il a été pris plusieurs fois la main dans le tiroir-caisse, s'avoue le père de deux enfants illégitimes et se fait entretenir par les femmes qu'il charme avec son sourire, son bagout et son visge frêle, aux traits enfantins. Admiratifs, Jagger, Richards et Taylor veulent se joindre à lui.

Terré dnas un local sordide d'Edith Grove à Chelsea, Brian Jones répète avec Ian Stewart, un pianiste écossais recruté par petite annonce, et un autre puriste de la guitare blues, Geoff Brardford, vite parti. Richards vient carrément vivre avec eux, et Jagger et Taylor font des aller et retour. Après six mois de répétitions, le groupe prend forme, encore sans batteur. Richards joue la rythmique, et Jones pose ses solos, à la guitare slide, par-dessus. Ils se choisissent le nom de Rollin' Stones, d'après un titre de Muddy Waters. Alexis Korner leur offre un premier tremplin en leur confiant une soirée hebdomadaire au club de jazz le Marquee. Korner accorde aussi à Jagger le privilège de chanter certains soirs avec lui au sein du Blues Incorporated. Un autre batteur occasionnel, Topny Chapman, avec qui le groupe grave ses premières maquettes en compagnie de l'ingénieur du son Glyn Johns dans un petit studio (des reprises de Muddy Waters, Willie, Dixon, Jimmy Reed et Bo Diddley) présente au groupe un de ses anciens camadrades, Billy Perks, alias Wyman. Cet homme mûr de 26 ans, qui a servi dans la Royal Air Force, possède une basse et un ampli : ce sera une raison suffisante pour l'embaucher à la place de Dick Taylor qui, sagement, préfère terminer ses études. Celui-ci reviendra bientôt à la musique, cette fois comme guitariste soliste d'u autre groupe majeur de Londres, les Pretty Things. Enfin, début 1963, Charlie Watts, un jeune graphiste publicitaire, amateur de jazz traditionnel et de scing, batteur semi-proessionnel le soir avec le Blues Incorporated, se greffe finalement au groupe de façon permanente. Les Rollin' Stones donnent leur prmeier concert sous cette formation appelée à rester la plus célèbre, le 14 janvier 1963 au Flamingo jazz Club de Soho. "L'idée, expliquera Richards, était de prendre du plaisir en faisant des reprises de blues et de rock à fond la caisse."

En 1963, la Grande-Bretagne connaît une explosion sociale d'un nouveau type. Avec "Please Please Me", les Beatles diffusent le rock à la vallée du Mersey, le merseybeat, dans tout le pays. Ce rock'n' roll teinté de folklore local est typique du nord de l'Angleterre. Mais les habitants des classes moyennes, que l'on trouve surtout dnas la région de Londres, ne s'en contentent pas. Ils cherhent un groupe plus proche de leur raffinement, de leur goût du style, de leur "snobisme", dira Jagger. Ce seront les Rolling Stones. Dasn la banlieue sud-ouest de Londres, à Richmond, coeur de ce renouveau du rhythm'n' blues, le groupe attire par le bouche à oreille un jeune public de plus en plus excité. La rumeur se propage jsqu'aux Beatles qui, à l'occasion de leurs premiers concerts à londres, se déplacent pour voir les Rolling Stones jouer le dimanche après-midi au Crawdaddy, une petite boîte gérée par le futur imprésario Giorgio Gomelski.

Pour sevendre dans le monde entier, les Beatles ont eu Brian Epstein, un commerçant de Liverpool ; les Rolling Stones bénéficieront d'un agent remarquable, Andrew "Loog" Oldham. Il n'a que 19 ans quand il les découvre au Crawdaddy. Il a été formé à bonne école : Epstein l'a fait travailler quelques mois comme attaché de presse. Sous la férule de celui-ci, les Beatles ont été contraints d'adopter une coiffure à la mode, des uniformes rappelant le collège et ont dû gommer l'aspect sauvage et débraillé que leur musique avait encore à Hambourg. Oldham pense à juste titre que, pour vendre les Rolling Stones, il faut faire exactement le contraire : forcer sur l'aspect insolent et voyou pour toucher un public plus à la page que celui des Beatles. Il applique des idées très sûres. D'abord, modifier Rollin' Stones en Rolling Stones. Puis renvoyer le pianiste : cet écossais placide, assis à son piano, a trop la tête d'un père de famille. Ian Stewart obtempère. Jusqu'à sa mort en 1985, il restera dnas l'ombre le fidèle roadie du groupe, jouant du piano pour les disques.

Les débuts des Rolling Stones seront aussi fulgurants que ceux des Beatles. En mai 1963, Oldham obtient un contrat d'enegistrement avec une petite firme, Impact, sous la tutelle des disques Decca. En juin est diffusé un prmeier 45 tours, "Come On", reprise d'un titre obscur de Chuck Berry. En août, les Rolling Stones sont les têtes d'affiche du National Jazz & Blues Festival de Richmond et passent à la télévision nationale. En automne, ils s'embarquent pour leur prmeière tournée nationale, débutant avec les Everly Brothers, Bo Diddley et Little Richard. A la fin de l'année, Lennon et McCartney leur offrent pour leur deuxième 45 tours une composition inédite, "I Wanna Be Your Man" dont il sgravent une version surexcitée. En janvier 1964, les Rolling Stones sont en tête d'affiche d'une tournée nationale avec les Ronettes et d'autres groupes mineurs.

A la mi-1964, les Stones ont rattrapé en impact et notoriété les Beatles, et, à leur tour, s'apprêtent à conquérir les Etats-Unis. Partout, leur ascension déchaîne des forces explosives. A la différence des Beatles, les Rolling Stones incarnent l'isolence, la provocation envers les autorités, attirant toute une jeunesse qui s'entend pas se faire dicter sa loi par les adultes. Leurs cheveux légèrement longs et, surtout, savamment décoiffés focalisent l'attention de la presse et des parents. L'Europe fait avec les Rolling Stones la même expérience que les Etats-Unis avec Elvis Presley, découvrant une forme d'excitation libératrice. Durant l'année 1964, les émeutes éclatent partout où ils se produisent. A Blackpool, au nord-ouest de l'Angleterre, trente fans et quatre policiers sont hospitalisés, et la police arrête des jeunes détenant des couteaux. A Paris, le public casse tout à l'intérieur comme à l'extérieur de l'Olympia : la police interpelle cent cinquante personnes. Aux Etats-Unis, le jeune public invité sur le plateau du fameux "Ed Sullivan Show" détruit également tout cequi lui tombe sous la main. Invités à la télévision britannique, les Stones provoquent par leur attitude impassible et arrogante. Oldham aura gagné la partie quand, quelques mois plus tard, le Melody Maker titrera "Laisseriez-vous votre fille sortir avec un Rolling Stone ?"

Puisant toujours largement avec un goût snas faille dnas un répertoire presque exclusivement noir américain, les Rolling Stones le rendent plus dynamique au moyen d'un son à la fois plus dur, sale et excitant, au tempo plus rapide. Leur remarquable premier album, The Rolling Stones (1964), ne contient que trois faible compositions originales, entourées de classiques comme le standard de jazz swing "Route 66", le rock "Carol" de Chuck Berry, les blues "Honest I Do" de Jimmy Reed et "I'm A King Bee" de Slim Harpo ou le "(Mona) I Need You Baby" de Bo Diddley. Les enregistrements de cette période témoignent fidèlement de ce que les Stones interprètent sur scène : Muddy Waters ("I Can't Be Satisfied"), Marvin Gaye ("Can I Get a Witness")...Leur réputation s'étend très vite. De passage à Londres, Phil Spector passe les voir en studio et coécrit "Little by Little", la face B de leur 45 tours "Not Fade Away", une reprise de Buddy Holly interprétée à la façon de Bo Diddley. Les Rolling Stones enregistrent avec talent de grand succès américains comme "Everybody Needs Somebody to Love" de Solomon Burke, "Suzie Q" de Dale Hawkins ou "You Can't Catch Me" de Chuck Berry. Richard est à la douze cordes, Jagger parfois à lharmonica ; Brian Jones dont le jeu à la guitare slide marque toute cette première période, est le superviseur de ces disques et le leader du groupe : le blues est son horizon unique et, dans son esprit, les Stones n'en sont que les serviteurs. Dans l'ensemble, ces reprises sont réussies, même si l'utilisation par Mick jagger des expressions notoires américaines a pu être considérée par certains connaisseurs comme affectée jusqu'au ridicule. Comme Johnny Hallyday au même moment, les Stones adaptent à la culture de leur pays le rhythm'n' blues noir américain. Ceux qui découvrent alors les Stones ne connaissent rien à Howlin' Wolf ni au blues de Chicago, que le groupe copie passionnément. Mais la voix narquoise de Jagger est leur voix intérieure. Ce rythme fébrile, encore décharné, c'est leur impatiences ; et ces trilles de guitare, loin d'évoquer les champs de coton du Mississippi, ce sont les sifflets qu'on a envie de lancer dans le dos des vieux.

Jusqu'à "Satisfaction", les Stones ne sont qu'un excellent groupe d'inteprètes, et non de créateurs. A partir du moment où ils composeront leurs propres chansons, ils atteindront, comme les Beatles, à l'universel. Même si Oldham les a très tôt encouragés à compsoer, Jagger et Richards mettront ud temps à imposer leurs premiers titres. En été 1964, Marianne Faithfull, alors fiancée de Jagger, a crée la ballade nostalgique "As Tears Go By", bien éloignée de leur style ; leur toute prmeière chanson, "That Girl Belongs To Yesterday", a été offerte au chanteur américain Gene Pitney, de passage à Londres, qui en a fait un tube au printemps 1964. Mais les Rolling Stones, toujours menés d'une main de fer par Brian Jones, n'osent pas encore chanter des titres de Jagger et Richards. A l'occasion de leur première visite aux Etats-Unis, en juin 1964, ils se rendent aux studios Chess de Chicago, rencontrant leurs héros Chuck Berry, Muddy Waters et Willie Dixon : le résultat de ces enregistrements se trouve dnas leur deuxième EP, Five by Five (1964), qui comprend deux simples classés n°1 en Grande-Bretagne : une reprise du récent "It's All Over Now" crée par les Valentinos de Bobby Womack ainsi que leur dernière grande reprise de blues, le "Little Red Rooster" de Howlin' Wolf écrit par Willie Dixon, à nouveau n°1 en Angleterre fin 1964. The Rolling Stones N°2 (1964) amorce une tendance plus soul, avec la très belle ballade d'Irma Thomas, "Time is On My Side", "Under The Boardwalk" et "Pain in my Heart" d'Otis Redding. Cette phase sera déterminante dans l'évolution du groupe vers un style propre.

En 1964, l'influence de la soul de Memphis représentée par Otis redding supplante celle du blues et du rock'n' roll auprès des nouveaux groupes britanniques. Les Beatles offrent, fin 1965, leur version du son des studios Stax avec "Day Tripper". Mais, sur ce terrain, les Stones ne prendront pas seulement de l'avance ; ils s'y forgeront une véritable identité musicale, avec un son plus américain. Ils deviennent ainsi le premier groupe britannique à enregistrer régulièrement aux Etats-Unis, en l'occurrence aux studios RCA à Hollywood, avec l'ingénieur du son Dave Hassinger et le soutien de Phil Spector et du pianiste et arrangeur Jack Nitzsche. De ces séances sera issu leur premier album important, Out of Our Heads (1965). U premier 45 tours, "The Last Time", sorti en février 1965, atteint le n°1 en Grande-Bretagne avant de se classer, en mai, n°9 aux Etats-Unis. Le talent de compositeur de Jagger et Richards est aussi inattendu que celui des arrangeurs que sont Wyman et Watts. Ils enregistrent des perles comme "I'm Free". L'EP Got Live of You Want It, tiré de leur tournée de mars 1965 en Grande-Bretagne, connaît dans leur pays une immense popularité.

Jusque-là, les Stones ont suivi un parcours comparable à celui des autres formations britanniques. Leur statut de "premier groupe du monde" naîtra d'un tube "(I Can't Get No) Satisfaction", presque un accident. Sorti en juin 1965 aux Etats-Unis, ce 45 tours y reste n°1 un mois. Les prmeières mesures de cette chanson en sont venues à résumer à elles seules la nature du rock. Il s'agit d'une simple phrase de guitare dont la répétition entraîne une mémorisation immédiate. L'inattendu vient du son que Keith Richards a obtenu en branchant sa Gibson Maestro dans une fuzz-box (voir Fuzz), un son qu'adoptera comme un seul homme tout le rock garage américain. Richards est d'abord réservé : il trouve l'effet facile, tandis qu Brian Jones fait franchement la grimace. Pourtant, à leur surprise, "Satisfaction" va déchaîner la foudre et résumer une époque. Le titre, déjà, est une affirmation violente ; encouragés par la brèche ouverte par Bob Dylan, Jagger et Richards évoquent directement leur colère et leur frustration. La diction insinuante, puis déchaînée, de Jagger résume toute la frustration des adolescents et la révolte ouverte qu'elle entraîne dans un monde encore proche de l'après-guerre et de ses privations. Autant que "Satisfaction", la balalde "Play With Fire", sortie en 45 tours aux Etats-unis, montre un chemin nouveau. Jagger adopte pour la première fois cette voix à l'accent très anglais, éviquant dans un langage symbolique les soirées londoniennes où il a croisé une jeune fille qu'il met en garde contre lui-même. Il commence alors à camper ce personnage malsain, habité par le démon de la perversité, hanté du désir de corrompre qui, comme le roi du poème "Spleen" des Fleurs du Mal, est "jeune et pourtant très vieux."

Les années 1966-1967 voient l'émergence du Swinging London : les Stones en seront à la fois les acteurs, les chroniqueurs et les poètes. On a dit mille fois d'eux qu'ils étaient le "meilleur groupe de rock du monde". Il serait plus juste d'affirmer que leurs 45 tours d'alors témoignent à merveille de cette période où tout est un rêve, où l'on sent soi-même magique, recevant des ondes qui vous dépassent. Certes, ils enregistrent toujours des titres de rhythm'n' blues survolté, comme le "Get Off of My Cloud" de Keith Richards (1965), "19th Nervous Breakdown" (1966) ou "Have You Seen Your Mother, Baby, Standing in the Shadow ?" (1966), qui dégagent la même énergie agressive que "Satisfaction". Bien plus troublant, pourtant, demeure "Paint It Black" où l'on ne sait quel est le plus étrange, d'un climat musical indianisant ou de paroles morbides. Dans ce palais enchanté de la jeunesse triomphante, les Stones sentent les premiers l'odeur de la flétrissure. Ils l'exprimeront avec la même ironie acerbe que les Kinks de Ray Davies.

Aftermath (1966) précède de deux mois les Revolver des Beatles et Blonde on Blonde de Bob Dylan. Estimé par beaucoup comme le meilleur du groupe, ce disque annonce un changement d'époque. Il est le prmeier des Stones à être intégralement composé de chansons originales, de styles variés. Chaque titre à une couleur musicale différente : "Mother's Little Helper" (hymne à la pilule contraceptive) évoque, par ses réminiscences folkloriques, le "Help" de John Lennon, "Lady Jane", une mélodie mediévale, est ornée d'un dulcimer, sorte de cithare du folklore britannique, le chef d'oeuvre "Under My Thumb" bénéficie d'une combinaison de guitare rythmique et de marimba où Jagger proclame sa revanche sur une fille qui l'avait rejeté et qu'il séduit enfin, "Stupid Girl" est soul-rhythm'n' blues et "Goin' Home", terminé par une longue improvisation, annonce les étirements des groupes américains d'acid rock psychédélique dérivés du blues de Chicago. On pourrait presque dire que chacun de ces titres annonce un furtur sous-courant du rock, du folk au blues-rock. Moins centrale, l'influence de Brian Jones s'est rabattue sur la périphérie : c'est lui qui apporte et exécute ces nouvelles idées d'arrangmeents comme le sitar de "Paint It Black".

Interviewés, photographiés par Vogue, télévisés, Jagger et les Stones acquièrent une forme inédite de célébrité pour des musiciens populaires. A la suite du dandy Jagger et des Stones, des générations successives de musiciens britanniques se lanceront dans la musique avec l'espoir d'y acquérir un prestige social et artistique. Le rock, de façon neuve et embryonnaire, devient grâce aux Stones un nouveau langage pour se faire entendre. Célèbres, adulés, poursuivis par les jeunes filles dans leurs loges et chambres d'hôtel, observés par l'élite artistique du monde entier tout en offrant leur voix au banlieusard ou au provincial qui les capte sur son transistor, les Stones vivent au centre d'un tourbillon. Le groupe finit l'année 1966 dans un torrent d'activité : une tournée britannique avec Ike & Tina Turner en première partie, fin 1966, est marquée par une émeute à l'Albert Hall de londres. Tandis qu'une compilation de 45 tours, Big Hits, paraît en Grande-Bretagne, un album enregistré en public lors de la dernière tournée, Got Live If You Want It, est disponible aux Etats-Unis. Début 1967, un nouveau 45 tours éblouissant, « Let's Spend The Night Together », couplé avec la ballade « Ruby Tuesday », précède la parution de l'album Between The Buttons (1967). Jamais le groupe, s'amusant à des arrangements baroques, des paroles satiriques, n'a sonné plus londonien ni excentrique, très proche de l'esprit des Who ou des Kinks. L'album est plein de charme, mais, à part « Yesterday's Papers », « Connection » ou « Miss Amanda Jones », écrit pour la femme d'un David Bowie alors totalement inconnu, la future Amanda Lear, on est loin du classicisme d' Aftermath.
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