Suite de la biographie de The Who

Début 1969, Pete Townshend et les Who sont à l'origine d'une révolution dont les conséquences seront inestimables. Pour la première fois, des musiciens de rock tentent de donner à un album la portée d'un long poème ou d'une pièce de théâtre. Certes, les Pretty Things avaient eu l'idée d'appeler « opéra rock » en 1968 leur S.F. Sorrow, mais sans susciter un grand écho. En revanche le Tommy des Who va avoir un impact colossal. En janvier et février 1969, les Who enregistrent aux studios IBC de Londres l'histoire, en musique et chansons, de Tommy, un jeune homme devenu sourd, muet et aveugle, à la suite d'un traumatisme occasionné par l'insistance de ses parents à lui faire oublier le meurtre de l'amant de sa mère, dont il a été témoin. Apparemment incurable, il parvient néanmoins à voir son image se refléter dans le miroir. Il atteint la célébrité en devenant imbattable au flipper grâce à son sens du toucher. Sa mère brise alors le miroir. Guéri, il se prend pour un messie et fait des adeptes : il prêche dans une communauté installée dans un camp de vacances et offre des flippers à ses fidèles, qui le rejettent finalement. Tommy est à nouveau isolé, mais cette fois le « magicien du flipper » est libre. Le 45 tours « Pinball Wizard » extrait de l'album est publié en avant-première. Il marque une nette évolution dans le son des Who, qui tranche avec la simplicité magique des premiers 45 tours. Avec les cuivres d'Entwistle, la participation de Townshend au chant, Tommy est publié sous une pochette élaborée qui se déplie en triptyque, accompagné d'un livret, comme les vrais opéras. Ce disque est partout acclamé par les critiques qui apprécient la puissance de ses airs symphoniques et de ses compositions élaborées. Il contient aussi « The Hawker » de Sonny Boy Williamson. Longtemps fixé au sommet des ventes, il servira beaucoup à rendre la pop music acceptable auprès de la génération des parents des adolescents d'alors : on peut écouter Tommy en famille, voire le commenter. Les Who présenteront leur opéra au Royal Albert Hall de Londres une semaine durant, comme au Théâtre des Champs-Elysées à Paris.

Une tournée américaine en mai 1969 consacre leur succès, et ils deviennent un phénomène de popularité. Le 17 août 1969, ils sont au festival de Woodstock à New York et à cette occasion, Pete Townshend expulse de scène Abbie Hoffman, candidat politique hippie, venu exprimer ses revendications en plein concert ; le frappant du manche de sa guitare. Les Who apparaissent dans le film Woodstock et le disque du film de l'année suivante. Le 31 août, ils participent au festival de l'île de Wight et repartent en tournée américaine en octobre. Ils sont désormais richissimes.

Dans la première moitié des années 70, les Who seront un des groupes les plus populaires dans le monde, régulièrement cités aux premières places des référendums de lecteurs dans des magazines spécialisés. Après l'excellent 45 tours isolé « The Seeker » paraît Live at Leeds, un retour aux sources et un des meilleurs albums live jamais publiés. Sa pochette, blanche et frappée d'un tampon, imite celle des disques pirates alors en circulation et contient différents documents, dont la lettre où la firme EMI signifia en 1964 son rejet des Who et une affiche « Maximum R'n'B » annonçant un de leurs concerts au Marquee. Outre des extraits de Tommy, l'album Live at Leeds contient de brillantes versions de « My Generation », du « Summertime Blues » d'Eddie Cochran, du « Young Man's Blues » du pianiste de jazz Mose Allison et du « Shakin' All Over » de Johnny Kidd. Après une interprétation de Tommy à la Metropolitan Opera House de New York, puis un passage au dernier festival de l'île de Wight et une tournée européenne, les Who interprètent leur opéra une dernière fois, le dédiant à Elton John, un inconnu qui passe en première partie de leur spectacle.

Le retour des Who ne tardera pas. En juin 1971, paraît le 45 tours « Won't Get Fooled Again » resté un des hymnes les plus fameux du groupe, dont les paroles expriment une grande défiance, cette fois vis-à-vis du statut de « porte-parole d'une génération » que les médias ont fait endosser à Townshend. Après avoir donné quelques concerts non annoncés en mai, les Who publient Who's Next. La pochette renoue avec l'humour agressif de The Who Sell Out : les quatre musiciens sont photographiés remontant leurs braguettes après s'être soulagés contre un bloc de béton. Who's Next, leur seul album à monter au n°1 dans leur pays, marque une nouvelle révolution : l'utilisation du synthétisuer comme instrument à part entière dans un groupe de rock. Ainsi, « Baba O'Riley » débute par une longue introduction empruntée explicitement à la musique répétitive de Terry Riley. Rarement Roger Daltrey y a aussi bien chanté, et le groupe atteint des sommets de lyrisme et de puissance dans « Bargain », « The Song is Over » et la splendide ballade « Behind Blue Eyes ». Volant aux Rolling Stones leur couronne de meilleur groupe de rock du monde sur scène, les Who commencent une gigantesque et retentissante tournée américaine. Trente-cinq mille personnes les voient sur scène à Londres le 18 septembre lors d'un concert de charité pour aider les victimes de la guerre et de la famine au Bangladesh. Organisée en octobre 1971, une tournée britannique passe par le Rainbow flambant neuf à Finsbury Park, à Londres, puis aux Etats-Unis à la fin de l'année. L'excellent Meaty, Beaty, Big and Bouncy (1971) réunit alors les principaux 45 tours du groupe, dont le dernier « (Let's See) Action ».

Après cette période d'apothéose, les Who resteront, naturellement, au premier plan, sans pourtant jamais retrouver cette même puissance, unie et compacte. La raison en est simple, et commune : chaque membre du groupe commence à suivre ses propres projets et lentement mais surement, le groiupe deviendra secondaire aux yeux mêmes des musiciens qui le constituent. En février 1972, Pete Townshend part pour l'Inde en pelerinage, afin de se rendre sur la tombe de son gourou Meher Baba/ Keith Moon apparaît à l'écran dans le film 200 Motels réalisé par Frank Zappa en 1972. Après le 45 tours « Join Together » les Who se retrouvent pour une tournée européenne qui culmine en septembre à la Fête de l'Humanité à la Courneuve près de Paris, devant 40 000 personnes un record. En octobre, Pete Townshend publie son premier album solo Who Came First (1972), un disque sous-estimé et plein de charme. Il y chante de sa voix douce et légèrement douloureuse « Pure and Easy » ainsi que la version en maquette de « Let's See Action » accueillant pour un morceau bluegrass son ami Ronnie Lane des Faces et reprenant de manière inattendue une ballade du crooner country Jim Reeves « There's a Heartache Following Me ». Bien plus doux que les bouillants albums des Who, ce disque, orné de portraits de Meher Baban reflète ses préoccupations spirituelles. Au même moment, une version de Tommy interprétée par le London Symphony Orchestra est publiée : Richie Havens, Steve Winwood, Ringo Starr, Rod Stewart et les Who y participent sous la direction du chef Lou Reizner. Le 45 tours « Relay » est un nouveau succès, le troisième à ne pas être extrait d'un album.

A la mi-1973, Pete Townshend réalise son dernier grand projet avec les Who. Entre-temps, il a orchestré en janvier 1973 le retour d'Eric Clapton, sur la scène du Rainbow à Londres, après une cure de désintoxication d'héroïne. Au printemps, les Who se retrouvent dans leur propre studio Rampart pour enregistrer, pour la première fois sans leur producteur Kit Lambert, le double album Quadrophenia, nouvel album narratif dans la lignée de Tommy. Le 45 tours « 5.15 » précède une tournée britannique qui présente Quadrophenia (1973) au public. Le disque raconte la quête d'un Mod dénommé Jimmy, tourmenté par la recherche existentielle ; comme Tommy, il souffre d'un handicap, en l'occurrence la « quadrophénie », un terme qui serait employé en psychiatrie pour désigner le quadruplement de la personnalité. Moins léger et mélodieux que Tommy, cet album est porté par un souffle et un lyrisme exceptionnels. Cependant, peut-être à cause de l'obscurité du thème et un aspect très autobiographique, il ne recevra pas le même accueil que Tommy. Malgré des titres à couper le souffle comme « The Real Me », « The Punk and The Godfather » et « Love Reign O'Er Me », agrémentés d'effets sonores très visuels, l'album qui monte néanmoins n°2 des deux côtés de l'Atlantique, n'a pas le même impact que les précédents. La santé des musiciens commence à s'altérer. Dès le début de la tournée américaine accompagnant Quadrophenia, Keith Moon, alcoolique, épuisé par les drogues, s'effondre le 20 novembre lors du premier concert donné à San Francisco. Un spectateur termine le concert à sa place. En décembre 1973, les Who passent une nuit dans un poste de police de Montréal après avoir dévasté une suite dans un hôtel. Fin décembre, ils jouent quatre soirs de suite à l'Edmonton Sundown de Londres, et font en février 1974 une tournée française. Le tournage de la version en comédie musicale de Tommy, réalisée pour le cinéma par Ken Russell, commence en avril avec, dans des rôles principaux, les Who, Eric Clapton, Ann-Margret, Elton John, Jack Nicholson, Oliver Reed et Tina Turner. A la mi-juin 1974, les concerts des Who au Madison Square Garden de New York constituent une grande déception pour Pete Townshend qui, quelques mois plus tôt, a joué le premier concert solo de sa carrière à la Roundhouse de Londres : il se décidera à ne pas remonter sur scène pendant plus d'un an. L'année se termine par la compilation Odds And Sods (1974) qui recueille différents titres inédits comme l'excellent « Little Billy ».

The Who By Numbers, publié en octobre 1975, est un album marqué par la désillusion, où les musiciens n'ont guère le cœur à l'ouvrage. Les titres traditionnels comme « Slip Kid » y semblent forcés. Pete Townshend expose sa tristesse de vieillir, ses démêlés avec l'alcool, chantant « However Much I Booze » mais aussi le splendide « Blue Red and Grey » où malgré la morosité surgit une lueur d'espoir. Les Who défendent cet album au cours d'une tournée mondiale qui les occupera jusqu'à la fin de l'hiver 1976. Début 1976, le léger et grivois « Squeeze Box » atteint le n°10 en Grande-Bretagne comme aux Etats-Unis. Le 9 mars 1976, Keith Moon, de plus en plus miné par l'alcool et la drogue, perd connaissance sur scène à la Garden Arena de Boston, et le concert est écourté. Le 31 mai le concert « Who Put The Boot In » que le groupe donne au Charlton Athletic Football Club aux Etats-Unis bat le record de puissance sonore et figure dans le Livre Guinness des Records avec 120 décibels audibles à cinquante mètres de la scène. La tournée se poursuit jusqu'en été, malgré l'état de Moon mais aussi de Townshend.

En 1977, la révolution punk bouleverse Pete Townshend, qui se voit apostropher à son tour par ses cadets de dix ans, lui qui clamait avec insolence sa haine du monde adulte. Paul Weller de The Jam, qui se réclame des Mods et du feu sacré des Who de « Substitute » se déclare déprimé par son dialogue avec son aîné. Fin 1977, Townshend publie Rough Mix (1977), réalisé n collaboration avec Ronnie Lane. Le 15 décembre 1977, pour les besoins du documentaire consacré à leur histoire, The Kids Are Alright, les Who se réunissent pour un concert au théâtre de Kilburn State à Londres. Le dernier concert des Who avec Keith Moon est, ainsi filmé aux studios Shepperton le 25 mai 1978. Le 45 tours « Who Are You » précède de deux semaines l'album Who Are You, qui, malgré de beaux titres chantés par Townshend comme « Music Must Change », occasionnera une nouvelle déception. Hélas, trois semaines à peine après la mort de leur premier imprésario, Pete Meaden, Keith Moon meurt accidentellement d'une dose trop forte du médicament qu'il prenait pour lutter contre l'alcoolisme. Le monde du rock est en deuil d'un de ses musiciens les plus aimés, pour son jeu de batterie unique, ses frasques, son excentricité et son grand cœur. Les survivants des Who font le vœu de continuer leur carrière malgré tout.

En janvier 1979, Kenny Jones, ancien batteur des Faces, le remplace. Les Who remontent sur scène le 2 mai 1979 au Rainbow à Londres, assistés par l'organiste John « Rabbit » Bundrick, un texan vétéran des studios londoniens, ancien collaborateur de Johnny Nash, Bob Marley et ancien claviériste de Free. La bande-son The Kids Are Alright, qui contient plusieurs enregistrements inédits, dont la version de « My Generation » à l'émission américaine où Keith Moon avait fait exploser sa batterie, accompagne la sortie du film. Le 16 août 1979, un autre film, Quadrophenia, une fiction inspirée de l'album de 1973, sort sur les écrans, avec Phil Daniels dans le rôle principal, et Sting dans un petit rôle. Un renouveau mod est alors dans l'air à Londres, avec des groupes assez limités, comme Secret Affair, les Merton Parkas et les Purple Hearts. Le 18 août 1979, la nouvelle formation des Who est en tête d'affiche d'un gigantesque concert au stade de Wembley à Londres, où est expérimenté leur nouveau spectacle avec rayons laser. Organisée à la fin de l'année, une tournée américaine est obscurcie par un drame : le 3 décembre 1979, onze personnes meurent dans une bousculade lors de l'ouverture des portes du stade de Riverfront à Cincinnati.

Peu à peu, Pete Townshend enfin désintoxiqué, donnera l'impression de se partager en deux personnes distinctes. Avec les Who, il accomplit le travail pour lequel il est rémunéré ; en solo, il chantera ce qui lui tient à cœur. Son album solo Empty Glass avec des titres comme « Let My Love Open the Door » révèle à un vaste public toute la délicatesse et la finesse mélodique dont il est capable. Pour les Who, il compose l'album Face Dances (1981), précédé de l'efficace 45 tours « You Better You Bet ». Un autre deuil frappe les Who : le 7 avril 1981, Kit Lambert, imprésario et producteur historique du groupe, est trouvé mort chez lui. En été 1982, Pete Townshend publie son album solo le plus ambitieux à ce jour, All the Best Cowboys Have Chinese Eyes, où de longues plages instrumentales accompagnent des récitations poétiques. Deux titres, « Uniforms » et « The Sea Refuses No River », figurent parmi ses meilleurs morceaux. A l'automne 1982, les Who annoncent une tournée d'adieux, qui se conclura le 17 décembre 1982 à Toronto. It's Hard (1982), leur dernier album en studio, est publié à cette occasion.

Leur carrière connaîtra pourtant plusieurs post-scriptum. Après la parution de l'album Who's Last (1984) témoignage de leur dernier concert, ils se réunissent exceptionnellement pour le Live Aid à Wembley le 13 juillet 1985. Who's Missing (1985) et Two's Missing (1987) réunissent des faces B et d'obscures reprises, ainsi que des titres passionnants et difficiles à trouver comme les reprises de « The Last Time » et « Under My Thumb ». Contre toute attente, les Who se retrouvent en été 1989 pour une tournée américaine triomphale, avec le batteur de séances Simon Philips, et dont le clou sera une représentation de Tommy à l'Universal Amphitheatre d'Universal City avec la participation de Steve Winwood, Phil Collins et Billy Idol. Cette prestation sera réeditée à la fin de l'année en Grande-Bretagne. Leur dernier enregistrement se fera en 1991, pour une reprise du « Saturday Night's Alright » d'Elton John figurant dans l'album collectif Two Rooms – Celebrating the Songs of Elton John and Bernie Taupin (1991). En 1993, une nouvelle adaptation de Tommy sera montée, cette fois à Broadway, à New York, sous la supervision de Townshend. Les Who se sont réunis à deux reprises en 194 pour célébrer le cinquantième anniversaire de Roger Daltrey. En été 1996, Pete Townshend les a rassemblés pour interpréter l'intégrale de Quadrophenia au concert du Prince's Trust à Londres. Deux tournées américaines ont été organisées en 1996 et 1997, sans pourtant susciter un grand écho. Il reste à signaler u coffret de quatre CD Thirty Years of Maximum's R'n' B publié chez Polydor en 1994 : il contient un grand nombre d'enregistrements inédits et des classiques essentiels, ainsi qu'un livret complet sur l'histoire des Who.

Des quatre membres du groupe, Pete Townshend est naturellement celui qui a suivi le parcours solo le plus intéressant. Un de ses disques, en tout cas, est indispensable aux amateurs : Scoop (1983) un document extraordinaire où Pete Townshend a réuni les maquettes des morceaux qu'il a composés pour les Who, dont « Bargain » et « Magic Bus » et de nombreux inédits qui auraient largement mérité d'être développés. White City : a Novel (1985), un disque consacré au thème du désespoir dans les grandes ville,s est publié en même temps qu'une longue vidéo du même vidéo. Pete Townshend's Deep End Live (1986) enregistré pour le bénéfice des œuvres de l'académie de Brixton, à Londres, composé de reprises de rhythm'n' blues et d'anciens titres des Who, est un album de pur rock'n' roll. En 1987, Another Scoop permet de découvrir les maquettes de chansons encore plus connues, comme « Substitute » et « Pinball Wizard » et encore de nombreux et passionnants inédits. The Iron Man : a Musical (1989) inspiré d'un conte pour enfants écrit par le poète Ted Hughes, est une mini-comédie musicale à laquelle participent Roger Daltrey, Nina Simone et John Lee Hooker. Pete Townshend est alors atteint de graves difficultés d'ouïe ; pour répéter avec les Who réunis en 1989, il devra s'entraîner à bas volume dans un caisson spécialement insonorisé, avant d'oublier sur scène tous les risques qu'il fait courir à ses tympans. En 1993, il publie Psychoderelict, qui contient des passages parlés et des morceaux écrits pour un projet abandonné, Lifehouse. Celui-ci fera l'objet fin 1999 d'un coffret de six CD intitulé The Lifehouse Chronicles  : il permet de découvrir les maquettes de certains titres les plus fameux des Who, dont « Bargain », « Behing Blue Eyes », « Won't Get Fooled Again » et « Who Are You ». Il commence alors sa première tournée américaine en solo, et en novembre un spectacle de The Iron Man a été organisé au théâtre Young Vic à Londres.