PROGRESSIVE ROCK : style musical apparu en 1967 dans le sud-est de l'Angleterre.

Illustré par des groupes phares comme Pink Floyd, Soft Machine, King Crimson, Yes, Jethro Tull, Emerson, Lake & Palmer, les Moody Blues, Procol Harum, Genesis, Van Der Graaf Generator, Caravan, Gentle Giant jusqu'à Gong, Magma et Roxy Music, ce style syncrétique essentiellement européen a dominé la première moitié des années 70, autant que le country-rock californien, le blues-rock, le hard-rock et le folk.

Il mêla musique symphonique, jusque dans ses prolongements contemporains, jazz, mélodies romantiques, musique indienne, musique répétitive, hard-rock, blues, folk, climats planants au synthétiseur, le tout dans un esprit d'expérimentation. Il a parfois été dominé par un goût naïf de l'emphase et de la virtuosité instrumentale creuse, qui lui ont valu une mauvaise réputation, tout comme des paroles surchargées d'images mystiques, souvent issues de la science-fiction. Mais il apparaît aujourd'hui comme une passerelle indispensable entre le rock psychédélique et la new wave la plus aventureuse, de Wire à XTC. Une nouvelle génération de groupes s'est réclamée de la tradition progressive dès le milieu des années 80, avec notamment Marillion et Pendragon.

Il est généralement admis que le premier disque de musique progressive (qu'une traduction plus exacte désignerait comme « progressiste » ou « prospective ») est l'album Days Of Future Passed des Moody Blues (1968), qui fraie une voie nouvelle en recourant aux services d'un orchestre symphonique. On peut néanmoins faire remonter la genèse du style au Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band des Beatles, publié en juin 1967. Intégrant des éléments issus des traditions musicales des différents folklores, du jazz, de la musique indienne et évidemment de la musique classique, Sgt Pepper va pousser toute une génération de musiciens issus de la vague du rhythm'n' blues à faire éclater le cadre de la chanson pop de trois minutes. Cette attitude s'inscrit parfaitement dans l'émergence de la contre-culture hippie, motivée elle aussi par une remise en question des valeurs traditionnelles de la société occidentale. Même si c'est surtout dans les structures et les modes de la musique classique (Genesis, Yes, Gentle Giant, Emerson, Lake & Palmer, en particulier avec l'album Pictures Of An Exhibition qui consiste en une réinterprétation de l'œuvre de Moussorgski) que les interprètes de musique progressive vont puiser pour opérer cette transfiguration de la pop music, ils n'hésitent pas à emprunter au jazz (Soft Machine, Caravan et l'école dite de Canterbury), à la musique contemporaine (King Crimson, Henry Cow), à la tradition folklorique des îles britanniques (Jethro Tull) ou à l'électronique (Pink Floyd).

La musique progressive se caractérise d'abord par un style de composition beaucoup plus complexe et élaboré que le traditionnel couplet-refrain de la chanson pop typique des années 60 : ainsi, « Supper's Ready » de Genesis ouvre la presque totalité de la seconde face de l'album Foxtrot (1973), et Tales From Topographic Oceans (1974) de Yes est composé de quatre titres occupant chacun l'une des faces de ce double album. La distribution des rôles est différente de celle des groupes issus du rhythm'n' blues : Soft Machine joue sans guitariste, Van Der Graaf Generator a un organiste et un saxophoniste, mais pas de bassiste. Des formations comme King Crimson accueilleront des multi-instrumentistes tels qu'Ian McDonald qui joue du saxophone, de la flûte et du hautbois ; Caravan mettra en vedette un violoniste, Geoff Richardson, ce que fera aussi Roxy Music avec le virtuose Eddie Jobson ; Jethro Tull a comme point focal le flûtiste Ian Anderson. Ces groupes auront aussi des paroliers-poètes, membres à part entière du collectif, tels que Peter Sinfield chez King Crimson et Keith Reid chez Procol Harum. Les paroles des « suites » sont parfois imprégnées d'un humour sans queue ni tête, typiquement anglais, comme dans l'école de Canterbury (surtout Gong qui comptait aussi des membres français) et, à un certain degré, chez Genesis. Elles témoignent le plus souvent d'une quête de spiritualité largement héritée du psychédélisme des hippies, ce qui est le cas de Pink Floyd, de Yes et des Moody Blues. La musique progressive s'est aussi accompagnée d'un style graphique largement dérivé de l'esthétisme surréaliste, corrigé par les influences plus récentes du psychédélisme et de la bande dessinée de science-fiction. Les pochettes du studio Hipgnosis pour Pink Floyd comme celles du dessinateur Roger Dean pour Yes créaient ainsi un effet global avec la musique. Il faut aussi citer un style typiquement continental, surtout allemand, à base de synthétiseurs, qu'on appela planant avec Tangerine Dream, Amon Düül II, Faust et Klaus Schulze. Et encore, beaucoup moins intéressant, un style commercial dérivé aux Etats-Unis de la musique progressive avec Foreigner, Kansas et Boston. Les britanniques d'Electric Light Orchestra et Supertramp se sont appuyés sur le courant musique progressive pour diffuser une pop mélodieuse et traditionnelle aux arrangements sophistiqués.

La musique progressive fut victime de son succès. Née dans des salles de dimension modeste, où le public participait à l'expérience vécue par les musiciens (l'importance du light show, jeu de lumières, lors des premiers concerts de Pink Floyd, inspiré du Grateful Dead, n'était pas si éloignée de ce que les ravers ont connu au début des années 90), elle s'est vite transformée en théâtre sans âme dans des stades où l'expérimentation se dévoyait en spectacle pompeux mettant en scène des musiciens transformés en vaines idoles, au milieu d'une débauche de matériel et d'éclairage sophistiqués. Robert Fripp, fondateur et âme de King Crimson, est le premier à prendre conscience de l'impasse artistique dans laquelle le genre se trouve acculé à force de démesure et dissout son groupe dès 1974. Peter Gabriel suivra la même voie en quittant Genesis en 1975. L'émergence du punk-rock et un besoin de légèreté, apparu avec la vague disco à partir de 1976, auront raison de la musique progressive. A la fin des années 70, la plupart des grands groupes du genre sont soit séparés (King Crimson, Van Der Graaf Generator, Emerson, Lake & Palmer), soit considérablement éloignés des expérimentations du genre, s'enfermant dans des formules (Genesis, Yes et Pink Floyd).

Au début des années 80 va cependant apparaître ce qu'on a appelé le courant néoprogressive. Emmené par Marillion (qui sera le seul à connaître un véritable succès commercial), IQ, Pendragon, Tweltfh Night, Pallas ou Solstice, tous britanniques, empruntent directement à l'héritage des grands « classiques », même si leur approche s'avère généralement plus simple et plus directe, privilégiant les guitares et non l'orgue (Hammond ou encore l'archaïque Melotron), comme ce fut souvent le cas dans les années 70. Malgré le soutien de la presse hard rock, aucun de ces groupes, Marillion excepté, n'a percé au-delà d'un public très spécialisé. A partir du milieu des années 90 est apparue une nouvelle tendance, dite « progressive metal », que l'on pourrait décrire comme un croisement entre Yes et Metallica et dont Dream Theater est le porte-drapeau.

Trop facilement méprisés par une critique rock qui apporte un soutien conformiste et majoritaire à un rock urbain considéré comme rebelle, les groupes de musique progressive ont été victimes du préjugé tenace selon lequel l'ambition artistique dans le rock, son recours à ses formes d'expression musicale considérées comme sérieuses, voire culturellement acceptables (du classique au jazz) sont une trahison de sa prétendue authenticité. On a souligné ici les travers et les ridicules de la musique progressive. Mais il paraît aujourd'hui aberrant de sous-estimer, voire l'ignorer, l'apport d'un style qui, en produisant des œuvres d'une richesse musicale, d'une poésie et, parfois, d'une force et d'une puissance exceptionnelles, demeure une expérience unique dans l'histoire de la musique populaire.