14°) LES ANNES 90 : REEDITIONS ET FANTOMES

La mort accidentelle de Stevie Ray Vaughan en 1990 porte un coup de plus au blues. A la fin du siècle, l'âge avancé de la majorité des musiciens du genre tend à faire de cette musique un style dont on parle au passé. La tendance est au recyclage de vieux thèmes, à la reprise de classiques, et la créativité est en déclin. Les rééditions sur disque compact se multiplient de façon systématique. L'œuvre de Robert Johnson est notamment rééditée intégralement et magnifiquement. Des milliers de 78 et 45 tours introuvables sont entièrement restaurés avec les nouveaux systèmes numériques qui permettent enfin un confort d'écoute accessible au grand public.
Malheureusement, ces procédés aux résultats étonnants n'incitent pas à l production de nouveaux disques, plus coûteux et plus risqués, alors que les rééditions de légendes déjà célèbres garantissent souvent de bonnes ventes. En dehors de quelques grandes vedettes comme John Lee Hooker (qui enregistre avec de nombreuses célébrités comme Miles Davis) et B.B. King, devenu après sa collaboration en 1988-1989 avec le groupe U2 la superstar du blues, les nouveaux artistes ne trouvent plus que des marques spécialisées pour publier leurs disques. Les disques Antone's à Austin (Texas) font notamment découvrir le picking country blues de l'époustouflant texan Steve James, qui dédie son disques à John Vandiver. Mais d'autres productions font parfois sentir l'essoufflement créatif d'artistes comme Luther Tucker.


La marque Alligator de Chicago, référence du blues des années 90, lance le remarquable chanteur guitariste Lucky Peterson, le guitariste harmoniciste Kenny Neal, et Saffire, les trois « Blues Women ». Mais, naturellement, comme Pinetop Perkins chez Antone's, sa vaste écurie est essentiellement composée de vétérans comme Albert Collins, Lonnie Brooks, Lonnie Mack, Son Seals, Roy Buchannan, Elvin Bishop, Clarence « Gatemouth » Brown, James Cotton, Fenton Robinson, et privilégie le boogie-rock plus énergique et plus populaire de Katie Webster, Hound Dog Taylor ou Koko Taylor. Une célébrité comme Johnny Winter enregistre trois albums pour Alligator. Mais tous ces disques ont souvent des accents de redite, de manque d'inspirations.


De l'excellent Ricky Rouse au jeune et brillant guitariste Bernard Allison, fils de Luther, l'influence de Jimi Hendrix, de Stevie Ray Vaughan et du hard rock reste souvent déterminante pour la nouvelle génération. Distorsion, saturation, effets de son numériques, pédale wah-wah, tempos rapides, soli flamboyants, le blues et le rock perdent parfois leur essence, le swing, ce groove qui transporte. Mais aux Etats-Unis, où d'authentiques talents se trouvent au coin de chaque rue, le blues garde malgré tout sa place privilégiée d'ancre de la musique populaire. Il est joué par les Américains de toutes origines. Tout en cédant une part de son influence directe, il n'a jamais perdu son rôle essentiel de musique folklorique située au cœur de l'identité américaine.