9°) LE ROCK'N' ROLL

Dans le Sud, Little Richard (« Taxi Blues ») est comme Ray Charles très influencé par les chants d'église. Il enregistre beaucoup de blues avant de devenir le premier et le plus sauvage des rockers. De grands créateurs comme, à Chicago, Bo Diddley (« I'm A Man ») avec son harmoniciste Billy Boy Arnold, et à Saint Louis Chuck Berry (qui joue dans un groupe de blues dès l'âge de dix ans) font évoluer leur blues électrique vers une nouvelle forme de musique plus urbaine et plus excitante encore. Mais malgré les efforts d'animateurs radio comme Alan Freed, le rhythm'n' blues reste une musique avant tout consommée par les Noirs. Il faudra attendre que les Blancs la copient et l'adaptent pour que le mélange des cultures soit consommée et que les communautés noire et blanche se rencontrent enfin sur un terrain culturel populaire.

C'est ce que font Bill Haley & The Comets à l'été 1955 avec leur énorme succès « Rock Around The Clock », suivi d'une reprise « Shake Rattle And Roll ». Derrière eux s'engouffrent des dizaines d'artistes blancs dont le répertoire est souvent essentiellement composé de titres de blues ou rhythm'n' blues, comme Elvis Presley (son premier succès est le « That's Alright » d'Arthur « Big Boy » Crudup) ou Jerry Lee Lewis (« Whole Lotta Shakin' Goin' On »). Qu'ils soient directement influencés par le country and western ou le hillbilly, comme avec le rockabilly de Gene Vincent & The Blue Caps (« Blues Stay Away From Me ») ou les styles personnels de Buddy Holly (« Bo Diddley ») et Eddie Cochran (« Summertime Blues »), tous ces grands rockers blancs ne cessent d'exprimer leur allégeance aux créateurs noirs.

Leur rhythm'n' blues est rebaptisé rock'n' roll, un terme de marketing qui différencie avant tout les artiste blancs des artistes noirs, dans une Amérique où les citoyens d'origine africaine n'ont pas encore le droit de vote dans beaucoup d'Etats du Sud. Comme l'explique un Litle Richard indigné dans le film sur Chuck Berry Hail ! Hail ! Rock'n' Roll (Taylor Hackford, 1987), les artistes noirs n'ont pas accès aux réseaux de distribution des Blancs et leurs meilleures chansons sont toutes reprises, parfois avec talent, mais pas toujours, par des Blancs. Son « Tutti Frutti » est interprété par Elvis, et les disques des artistes noirs ne sont pas classés dans les bacs marqués « rock'n' roll ». Quand ils sont disponibles dans les magasins tenus par des Blancs, ce qui est rare, ils sont cantonnés au rayon « rhythm'n' blues », moins à la mode. Ce choc culturel sera néanmoins farouchement combattu à la fin des années 50 par les forces réactionnaires de l'Amérique, qui voient d'un mauvais œil ce métissage culturel. Un scandale de pot-devin et divers complots débarrasseront pour un temps l'Amérique du rock'n' roll après quatre ans de succès intense et la découverte par les Blancs de grands talents comme Chuck Berry ou Little Richard. Mais le mal est fait et, au cœur du XXe siècle, le blues triomphe déjà à travers le rock, ses films, ses succès, sa culture.


Alors que le génial jazz moderne de Charlie Parker ne connaît pas un succès véritablement populaire, qu'il ne cherche pas d'ailleurs, l'influence du blues sous toutes ses formes est totale. On retrouve sa marque jusque dans l'œuvre de Frank Sinatra, de Bing Crosby, dans tous les grands orchestres de variété-jazz, comme celui de Benny Goodman, et bientôt dans toute l'Europe, puis jusqu'en Afrique.