10°) LES ANNEES 60 : LE BRITISH BLUES ET LE BLUES REVIVAL

L'imposant Freddie King perce les ventes nationales américaines avec son instrumental « Hideaway » en 1960. La fête du blues bat son plein à Chicago, où l'âge d'or du pur blues urbain électrique perdure jusqu'en 1963. A partir de 1962, les tournées et les disques en public du festival American Folk Blues font découvrir les véritables artistes de blues américain en Europe, comme Shakey Jake, les pianistes Champion Jack Dupree et Memphis Slim, qui s'installe à Paris.

Après les rockers blancs américains, les musiciens britanniques découvrent à leur tour le blues de Chicago. Dans les îles Britanniques, au début des années 60, après le skiffle de Lonnie Dogan qui raffole surtout de Leadbelly, après les balbutiements d'un rock'n' roll blanc avec Tommy Steele, Marty Wilde et ses Wild Cats et Vince Taylor (« Brand New Cadillac »), après les passionnés du blues traditionnel Alexis Korner et Cyril Davies, surgissent les jeunes John Mayall et ses Bluesbreakers avec Eric Clapton, l'irlandais Van Morrison et Them, Brian Jones et ses Rolling Stones (du nom d'un blues de Muddy Waters), les Kinks des frères Davies, Eric Burdon & The Animals, l'excellent guitariste Peter Green et son Fletwood Mac, les Moody Bues, les Pretty Things (du nom d'un morceau de Bo Diddley), les Yardbirds, sans oublier John Lennon et ses Silver Beatles, et plusieurs autres groupes importants qui se constituent un répertoire américain basé sur les compositions et le son de Bo Diddley, Muddy Waters, Slim Harpo, Jimmy Reed, Howlin' Wolf, Chuck Berry et bien d'autres. Les Rolling Stones enregistrent leur deuxième et troisième albums (essentiellement des reprises de blues) au studio Chess à Chicago. Cette passion pour le blues va être suivie d'un mouvement similaire aux Etats-Unis.


A New York, le blues marque déjà fortement la musique folk urbaine que Bob Dylan enregistre (très influencée par Dave Van Ronk, un chanteur folk blancs as du picking blues) dès le début des années 60. Alors que Dylan vient lui aussi de signer avec John Hamond chez Columbia, c'est John Hammond Jr., admirateur de Robert Johnson et fils du célèbre découvreur de Bessie Smith, qui se lance dans une carrière de chanteur, guitariste et harmoniciste de blues.

Comme en Angleterre, un courant de musiciens blancs a adopté le blues à son tour. Vers 1960-1962, des musiciens yankees, d'origine aisée pour la plupart, mais mal à l'aise dans la société américaine, souvent juifs et cultivés, s'identifient aux bluesmen de Chicago au moment où les jeunes Noirs commencent à délaisser le blues en se tournant vers notamment la soul. Ces musiciens passionnés recherchent les racines du blues et redécouvrent Bukka White, Big Joe Williams, Son House, le Reverend Robert Wilkins (« Rolling Stone ») ou Sleepy John Estes qui enregistre même avec Mike Bloomfield.

Le blues « authentique » est surtout perçu par le grand public comme étant forcément joué à la guitare sèche folk, et un artiste de blues électrique de style « Chicago » comme John Lee Hooker enregistre alors aussitôt des disques seul à la guitare acoustique. Il obtient aussitôt un gros succès, « Shake It Baby » en 1962, et s'identifie progressivement au courant rock auquel il participe avec flair. De grands artistes comme Mississippi Fred McDowell (« You Gotta Move », « Good Morning Little School Girl”), Mississippi John Hurt, qui est très influencé par le virtuose du picking Mance Lipscomb, lui aussi ressorti de l'anonymat, le vieux Jesse Fuller (“San Francisco Bay Blues”), le mandoliniste chanteur Johnny Young, Robert Pete Williams, Skip James sont ainsi redécouverts sur le tard et enregistrent à nouveau pour la première fois depuis la guerre.

C'est le blues revival. Des musiciens blancs comme Canned Heat d'Alan Wilson et Bob Hite (« On the Road Again »), Big Brother and the Holding Company de Janis Joplin (« Ball And Chain » de Big Mama Thornton), Al Kooper, Mike Bloomfield (musiciens de Bob Dylan dès 1965), David Bromberg, Elvin Bishop, Corky Siegel, Paul Butterfiel et Charlie Musselwhite, entre autres, font connaître le blues au grand public blanc américain. Les Noirs l'adoptent alors de façon plus large. Pour eux, le blues était jusque-là généralement synonyme de musique d'ignares, de paysans, quand il n'était pas tout simplement associé au blasphème. Le jazz seul pouvait être élégant et élevé socialement. Le blues électrique est largement reconnu aux Etats-Unis, à la grande satisfaction de Muddy Waters qui comprend l'importance de cette tendance et l'encourage.

Après une carrière soul, Johnny Copeland et Jimmy Johnson puis son frère Syl reviendront par exemple au blues des années 70. Taj Mahal, Noir diplômé d'université, fils d'une famille aisée new-yorkaise, commence sa carrière en jouant du blues au début de la décennie, sans avoir vécu les tribulations habituellement à l'origine de cette musique des rues. Il enregistrera et mélangera tous les styles américains par la suite, reggae et salsa notamment, et trouvera un écho dans le public rock.
Sur la Côte Ouest , Sonny Rhodes perce avec un style influencé par Junior Parker. Six ans avant sa mort, L.C. « Good Rockin' » Robinson grave plusieurs disques superbes. Dans le Sud, de populaires guitaristes solistes et chanteurs influencés par la soul comme Calvin Leavy (« Cummins Prison Farm ») abondent. En Louisiane, Allen Toussaint et les frères Neville, les Meters, Lee Dorsey, Huey « Piano » Smith créent un style plus funky, plus syncopé, proche de celui de James Brown, vétéran et géant soul qui amorce un nouveau virage funky dans sa longue carrière avec de nouveaux rythmes irrésistibles. En 1965, l'homme-orchestre (d'abord harmoniciste, mais aussi guitariste, batteur et chanteur simultanément) Doctor Ross fait une tournée triomphale en Europe. Les Flamin' Groovies reprendront en 1971 son excellent « Boogie Disease », revu en « Doctor Boogie ».


A partir des années 60, pour la première fois de nombreux styles très différents se côtoient, s'influencent et se complètent, du country blues folk d'un Son House redécouvert au rock de Johnny Hallyday. Les groupes de rock blanc de la fin des années 60 ont tous un guitariste qui copie les clichés du blues avec plus ou moins de bonheur, de Quicksilver Messenger Service à Jefferson Airplane, des Doors à ZZ Top. Parmi eux, l'excellent Creedence Clearwater Revival, au style simple et efficace, a un succès phénoménal.