Le milieu des années 60 voit les soubresauts d'une révolution qui, à long terme, entraînera l'avènement de MTV. Le 23 novembre 1965, la télévision britannique diffuse de petits films promotionnels (une première) que les Beatles ont tourné pour accompagner la sortie de leur 45 tours « Day Tripper », couplé avec « We Can Work It Out ». La même opération sera répétée pour « Paperback Writer » et « Rain », puis de « Strawberry Fields Forever » et « Penny Lane ». Le 6 juillet 1967, pour l'inauguration d' « Our World », un programme en Mondovision destiné à être regardé par 400 millions de téléspectateurs, la BBC diffuse l'enregistrement d' « All You Need Is Love », réalise le 25 juin avec un orchestre philharmonique. On voit le groupe en compagnie d'une chorale composée de nombreux amis, dont trois Rolling Stones (Mick Jagger, Keith Richards et Brian Jones) et Graham Nash. Le 26 décembre 1967 est diffusé en début de soirée un téléfilm inédit réalisé par les Beatles eux-mêmes, Magical Mystery Tour. Le 5 septembre 1969, la télévision britannique, abonnée au « Lulu Show », au « Dusty Springfield Show » et même au « Sacha Show » de Sacha Distel, passe du noir et blanc à la couleur. « The Old Grey Whistle Test » verra défiler toutes les vedettes de la musique progressive et du rock californien des années 70. Parallèlement, Jonathan King présente « Entertainment USA » : l'inusable « Top Of The Pops » ne connaîtra que bien plus tard la concurrence du « Chart Show » de Channel Four. Jools Holland, le pianiste de Squeeze, se convertit dans les années 80 en maître de cérémonie du rock à la BBC, présentant d'excellentes émissions où les groupes se produisent en direct depuis un studio sur différents plateaux.

La télévision américaine, elle, ne se modernise qu'en 1975, avec l'avènement de « Saturday night Live ». Ce programme de NBC mêle musiciens et numéros de comiques, comme Chevy Chase, Eddie Murphy, Billy Crystal, Drew Barrymore, Andrew Rice Clay, Bill Murray et les Muppets. Il donnera naissance aux Blues Brothers (John Belushi et Dan Aykroyd), à « Wayne's World » avec Mike Myers, créateur du personnage d'Austin Powers, à « Coneheads » et à « A Night At The Roxbury ». « Saturday Night Live » reçoit en direct et avec les honneurs des artistes comme Bob Dylan, le Grateful Dead, les Rolling Stones, David Bowie, REM ou Brian Wilson. Le « David Letterman Show » diffusé le dimanche soir poursuivra cette formule. Ces deux émissions serviront de modèle aux « Enfants du Rock » d'Antenne 2 comme à « Nulle Part Ailleurs » de Canal + : Antoine de Caunes et Philippe Manœuvre et d'autres animateurs-vedettes des années 80 et 90 s'inspireront considérablement. Ces émissions évolueront jusqu'à devenir des talk-shows à part entière animés par Arsenio Hall ou Jay Leno, et bientôt Madonna elle-même.

La naissance de MTV en 1981 aux Etats-Unis a évidemment tout changé. Longtemps, cette chaîne ne diffusera que des clips en continu, avec de rares animations. Elle aura une influence profonde sur la production et la consommation de musique des années 80 et 90, relayant la révolution de ce qu'on appelle dans les pays anglo-saxons le « style » et en franglais le « look ». Très rapides à saisir la portée de cette révolution, les jeunes groupes britanniques baptisés par les médias les néoromantiques (que leurs ennemis appellent les garçons-coiffeurs) sont lancés au moyen de clips dont les budgets atteignent bientôt ceux de véritables films. Ainsi, Duran Duran s'impose aux Etats-Unis au moyen de ces vidéos où les musiciens, habillés comme pour des films publicitaires, se pavanent en compagnie de mannequins dans des lieux exotiques. A leur suite, des groupes tels que Culture Club, Eurythmics, et bien d'autres s'imposeront par ces mêmes moyens. Tous les styles de musique s'adapteront à cette nouvelle donne. Michael Jackson confie la réalisation de ses clips à des cinéastes comme Martin Scorsese et John Landis. Les plus grandes stars des années 80 mettent à réaliser leurs clips un soin égal (et parfois même plus grand) qu'à réaliser leurs disques : Robert Palmer, Madonna, George Michael et, à leur surprise générale, ZZ Top. MTV ouvre des antennes au Japon (1984), en Australie (1987), en Europe (1987), au Brésil (1990), avant d'étendre sa domination à l'Amérique du Sud, à l'Inde et à l'Asie du sud-est. Taxée de racisme, la chaîne réagira très vite en créant le programme « Yo ! MTV Raps ».

MTV a fait de nombreux émules dans le monde entier : « HBO » aux Etats-Unis, une chaîne à laquelle MTV répondra en lançant « VH-1 », destinée à un public plus mûr, « The Box » en Grande-Bretagne, « Viva » en Allemagne, « Videomusica » en Italie. En France, TV6 lancera toute une génération pop-rock française durant ses deux courtes années d'existence, 1986 et 1988 : Etienne Daho, Niagara, les Rita Mitsouko, Elli Meideros…avant son interruption. La chaîne généraliste M6 qui lui succède consacrera une partie de sa programmation aux clips, avant la création de la chaîne du câble et du satellite MCM.

Ce format de « robinet à clips », accusé, à juste titre, de renvoyer une image superficielle et publicitaire de la musique, montrera ses premiers signes d'essoufflement à la fin des années 80. MTV saura se renouveler grâce à la formule « Unplugged ». On peut dater la naissance de cette formule de l'émission « NBC Special » qui présentera le retour d'Elvis Presley en 1968 : un chanteur en direct, avec ses musiciens, chaleureusement entouré d'un public choisi. La série « Unplugged » se fait une spécialité de présenter tous les groupes de rock, du plus classique au plus radical, sous une version dépouillée, sans électrification, ou presque. Cette formule crée alors un véritable genre, qui correspond bien au souci d'authenticité et de retour aux sources propre à la fin des années yuppies. Cette série suscite des albums remarquables, au succès parfois immense : Eric Clapton verra ainsi son album Unplugged se vendre à 15 millions d'exemplaires, son plus gros succès, et Rod Stewart, Paul McCartney, Neil Young, Bob Dylan, Jimmy Page et Robert Plant de Led Zeppelin comme Nirvana toucheront un très vaste public grâce aux albums issus de ces émissions. Le genre sera copié en France par les émissions « Taratata », qui innovera en présentant des duos, et « Concert Privé » de M6 (les Rita Mitsouko, France Gall, Jean-Louis Aubert).

Longtemps, la France fut privée d'émissions spécifiquement consacrées au rock. La télévision allemande des années 60 se montrait alors plus avancée en présentant son « Beat Club », passage obligé des groupes anglais et des bluesmen américains à Hambourg jusqu'en 1971. La France a pourtant eu son Elvis. Le 18 avril 1960, le million et demi de foyer équipés de la télévision découvre Johnny Hallyday, parrainé au pied levé par Line Renaud, dans « L'école des vedettes » d'Aimée Mortimer. Les jeunes téléspectateurs des années 60 doivent ensuite se contenter d' « Age tendre et tête de bois » où Albert Raisner joue de l'harmonica, comme il le fera dans « Samedi et compagnie » et « Point chaud ». Michèle Arnaud, première interprète de Serge Gainsbourg, lance en 1963 l'émission « Les raisins verts » avec Jean-Christophe Averty : son style inspiré du surréalisme (qui provoque régulièrement des lettres de protestations à Télé 7 Jours) révolutionne la mise en scène des émissions de variétés, comme « Dim, Dam, Dom ». Averty présente en particulier, le 1 er janvier 1969, « Idea », un show très innovateur avec les Bee Gees et Julie Driscoll.

A partir du milieu des années 60, le paysage de l'ORTF évolue quelque peu, quoique timidement. Curieusement, les grandes messes que sont les soirées électorales (qu'il faut meubler en attendant des résultats très longs à venir) sont propices au lancement de chanteurs de la nouvelle génération comme Françoise Hardy (« Tous les garçons et les filles ») et Antoine (« Les Elucubrations »). L'année 1966 voit la naissance de l'innovant « Bouton rouge » de Pierre Lescure, et Jérôme Laperrousaz, présenté par Pierre Lattès, qui montre les Yardbirds filmés à la Maison de la radio. La vague de renvois suscitée par l'après mai 1968 a tôt fait de supprimer l'émission. L'émission éphémère « Forum Musiques » présente aussi bien Pink Floyd et Ten Years After que Brigitte Fontaine. Dans « A l'affiche du monde », magazine mensuel de Christophe Izard et Claude Fléouter, on voit se produite, entre 1968 et 1970, Jimi Hendrix, le jazzman Sun Ra, Blood, Sweat And Tears, John Mayall, Donovan et Duke Ellington, parmi bien d'autres. Après l'expérience de « Tous en scène » (où l'on découvre longuement Pink Floyd), le réalisateur Claude Ventura lance en 1970 « pop 2 », présenté le samedi à 18 heures 30 par Patrice Blanc-Francard, où passent tous les groupes de ce qu'on appelle à l'époque la pop-music, filmés sur la scène du Bataclan Deep Purple, Soft Machine, Beck, Bogert And Appice, Mahavishnu Orchestra, Roxy Music, sans oublier un véritable événement, Lou Reed, John Cale et Nico, ensemble pour la première fois après la séparation du velvet underground. Pierre Sabbagh, directeur des programmes, met fin à « Pop 2 » en janvier 1974, de même qu'à « Rock en stock » de Pierre Lattès, prononçant le premier cette phrase qui deviendra une litanie des directeurs de chaînes : « les émissions pop n'ont pas d'audience. »

Spécialité française, les émissions éphémères se succéderont au long des années 70 : « Melody », en 1974 et, l'année suivante, « Juke Box » de l'ancien grand reporter Freddy Hauser, qui pose souvent ses caméras à l'Olympia, à l'occasion des « Musicorama » (il deviendra bientôt réalisateur du journal de vingt heures) ; « Un jour futur » de Michel lancelot se veut l'adaptation de son émission de radio « Campus » à la télévision ; Vincent Lamy anime « l'écho des bananes » puis Jean-Lou Janeir « Décibels » sur FR3, tremplin de nombreux groupes de rock français. Le 24 septembre 1978, l'émission « Chorus » d'Antenne 2 voit les débuts d'Antoine de Caunes à la télévision, flanqué successivement de Shitty Telaouine, puis de son comparse Jacky, et ses concerts filmés sur le toit du théâtre de l'Empire, avenue de Wagram : The Clash, Dire Straits, Elvis Costello et bine d'autres.

En 1982, Pierre Lescure crée sur Antenne 2 l'émission « les enfants du rock » qui, en dix ans, changera les rapports du rock et de la télévision. Elle sera dirigée successivement par Lescure lui-même, Antoine de Caunes, Patrice Blanc-Francard et Bernard Lenoir. Outre ces derniers, les animateurs en seront Philippe Manœuvre, Dominique Farran, sans oublier les « Belles au bois rockant » (Véronique Duvelle et Nathalie Leruche), Childéric Muller, Alain Burosse, Yves Bigot et même Jacques Pradel. Tous les styles de télévision et de musique (de Miles Davis à Gérard Manset, de Queen à Indochine, de The Cure à Marvin Gaye, de Serge Gainsbourg au « spécial Nashville ») y fleurissent, dans un élan d'innovation et de gaieté inédits. « Les enfants du rock » inclut des émissions particulières, comme « Houba ! Houba ! » ou « Sex Machine ». Disparus en 1988, « Les enfants du rock » verront le dixième anniversaire de leur création célébrée en 1992 sous la forme d'une compilation réalisée par le journaliste Max Armanet pour l'équipe de « Rapido ».

Après un crochet par Canal + puis Antenne 2, Antoine de Caunes crée « Rapido » pour TF1, qui en interrompt la programmation en octobre 1988. L'émission est reprise par BBC-1. Très vite diffusé dans le monde entier, « Rapido » passera en tout début de soirée sur BBC-2 de la rentrée 1989 à juin 1992, révélant le label Creation, Tori Amos, The Verve, offrant un vaste espace aux stars du rock classique (Bob Dylan, Paul McCartney, Keith Richards, Pete Townshend, Pink Floyd, Robert Plant), nouant de solides relations avec Nirvana, REM, Bruce Springsteen, Huey Lewis, Mark Knopfler, George Harrison, Simple Minds, Lloyd Cole et Stephan Eicher, qui fait sur le plateau la connaissance de son futur parolier, Philippe Djian.

D'autres émissions françaises connaîtront une diffusion internationale, Martin Meissonnier parviendra à exporter son « Megamix » sur Channel Four en Grande-Bretagne, ainsi qu'au Japon, contribuant ainsi à diffuser partout les musiques du monde, passionnant des spectateurs aussi exigeants que Robert Plant et Jimmy Page. Présentée par l'animateur Nagui en direct, l'émission « Taratata » accueille Lou Reed, Willy DeVille et Simple Minds. Soumise à des changements d'horaires de 1993 à 1997, elle est revenue au début de soirée sur France 2 au printemps 1999, dans une version plus grand public pour finalement disparaître.

Dès 1989, l'éphémère émission d'Antenne 2 « l'autre musique » a anticipé l'ouverture des cloisons de la musique au cours des années 90, présentant aussi bien des reportages sur le rap français naissant que sur John Lee Hooker, Tom Jobim, l'acid jazz londonien, le label Real World de Peter Gabriel ou encore Bunny Wailer. Malheureusement, cette émission, comme d'autres, s'est interrompue au bout d'un trimestre, victime des rapports délicats entre la musique et la télévision et des éternels tiraillements entre la qualité et l'audience, la contre-culture et la culture subventionnée.

A la manière de « Saturday Night Live » et de l'émission de David Letterman, « Nulle part ailleurs » accueillait en direct sur Canal + les meilleurs musiciens du rock et des autres musiques du moment, même si, désormais, le rock est confiné à Arte (« Tracks ») ou aux chaînes du cable (MCM et Canal Jimmy).

En ouvrant son antenne le 1 er août 1981 par le clip des Buggles, « Video Killed The Radio Star », la chaîne américaine câblée MTV ouvrit effectivement une ère nouvelle dans la diffusion, la présentation et la perception du rock (et de la variété). Son objectif était aussi imparable qu'élémentaire : faire de la radio avec des images. Et donner ainsi définitivement l'avantage à la télévision dans l'exposition et la promotion des chansons par rapport à la radio, plus mobile, plus propice à l'imagination, mais aussi plus frustre et moins moderne. La télévision a constitué un danger en même temps qu'un allié pour le rock. Elle l'a certes rendu dominant, majoritaire, a aboli ses frontières. Mais en accélérant sa propagation, en substituant des images imposées à celles de maturation comme la profondeur de son emprise sur les esprits. A se demander si Bob Dylan n'avait pas raison, dans « TV Talking Song » d'affirmer : « Sometimes, you gotta do like Elvis did / And blow the whole thing up ».