RED BIRD : compagnie de disques américaine, 1964-1966.

Fondée par Jerry Leiber et Mike Stoller en collaboration avec George Goldner, cette compagnie acheva en beauté l'âge d'or des girls groups, avec les Dixie Cups et les Shangri-Las.

« Pourquoi se contenter de 2% du pris de vente d'un disque alors que nous pourrions avoir notre propre maison de disques et empocher 21% ? », se demandait Jerry Leiber en 1962. Lui et son complice Mike Stoller n'étaient pas des nouveaux venus. Les Coasters, les Drifters sans oublier Elvis Presley, avaient mené leurs chansons (« Jailhouse Rock », « Hound Dog », « Charlie Brown », « Yakety Yak » et des dizaines d'autres) au sommet des hit-parades du monde entier. Avec Ahmet Ertegun et Jerry Wexler, ils avaient fait des disques Atlantic la plus importante compagnie de rhythm'n' blues de l'après-guerre et semblaient transformer en or massif tout ce qu'ils touchaient. Mais ce la ne leur suffisait plus. Seuls maîtres à bord en studio, ils souhaitaient désormais exercer le même contrôle sur la promotion, la commercialisation et les bénéfices de leurs productions.

Prudents, ils commencent en 1962 avec deux petits labels, Daisy et Tiger (complétés par Blue Cat en 1964), chez lesquels ils font venir une poignée d'artistes de blues, dont Alvin Robinson et John Hammond Jr., avant de lancer Red Bird pour de bon en 1964. Les 45 tours parus chez Daisy et Tiger (à l'exception du « Bossa Nova Baby » de Tippie & The Clovers et du sublime « Go Now » de Bessie Banks, plus tard massacré par les Moody Blues) ne font pas de vagues ; le rhythm'n' blues merveilleusement ouvragé dont Leiber et Stoller savent contrôler toutes les nuances ne convient plus vraiment à l'air du temps. Les groupes de doo-wop, qui ont dominé les classements à la fin des années 50 et au début de la décennie suivante, ont commencé à rejoindre le circuit de la nostalgie. Bref, il faut du sang neuf, de nouveaux visages, de nouvelles voix et un nouvel emballage qui colle aux changements d'humeur des adolescents américains. Quoi qu'il en leur coûte de tourner le dos à la musique qu'ils aiment, Leiber et Stoller, désormais coiffés de leur chapeau d'hommes d'affaires, font le nécessaire. En premier lieu, ils recrutent un corpulent producteur-imprésario new yorkais, George Goldner, qui est autant connu pour ses antécédents douteux et ses liens avec la pègre que pour son flair, un flair dont il fournit une éclatante démonstration lorsque le premier disque sorti par Red Bird sous son égide devient n°1 et l'un des plus gros tubes de 1964 : « Chapel Of Love », une bluette interprétée par un trio de collégiennes de La Nouvelle-Orléans, les Dixie Cups. Leiber et Stoller détestent ce disque gimmick, mais rangent leurs scrupules au placard lorsqu'il se vend à plus d'un million d'exemplaires. La route est toute tracée : Red Bird sera un label de girl groups, ciblé pour un public exclusivement blanc.

De tous les girl groups, aucun ne rivalisera avec les Shangri-Las, trio de tough cookies (« dures à cuire ») new yorkaises pour lesquelles un producteur venu de nulle part, George « Shadow » Morton, va composer et arranger une série de succès au son révolutionnaire entre la fin de 1964 et le début de 1966 : « Remember (Walkin' In The Sand) », « Leader Of The Pack », « I Can Never Go Home Anymore » et une douzaine d'autres chansons qui, toutes, entrent dans le Top 100 du Billboard. Non que les Shangri-Las soient les seules artistes à succès de la compagnie qui, pendant un peu plus d'un an, impose un « son » 100% new yorkais sur les ondes des radios américaines. Les Dixie Cups reviennent à la charge avec « People Say » (1964) et « Iko Iko » (1965). Il y aura les Jelly Beans, avec « The King Of Boy You Can't Forget » (1964), une chanson écrite comme tant d'autres sorties par le label, par des « pros » du Brill Building ; et les Ad-Libs avec « The Boy From New York City » (1965).

Red Bird s'est aventuré que fort rarement hors de l'univers rassurant des girl groups, encore que quelques-uns des meilleurs disques de l'histoire de Red Bird soient nés de ces « infidélités » : « New York Is A Lonely Town », un monument de surf-rock à la Spector interprété par un groupe de studio italo-américain, les Tradewins ; et un nombre impressionnant de 45 tours rugueux à souhait du grand Alvin Robinson dont le classique « Down Home Girl » et l'une des meilleures versions jamais enregistrées du « Fever » de Little Willie John.

Leiber et Stoller, cela dit, ne veulent plus rien investir dans Red Bird, en dépit de son remarquable succès commercial. Désireux de renouer avec leurs racines rhythm'n' blues, ils vendent leurs part à George Goldner au printemps 1966. Un départ au timing impeccable : les Shangri-Las décrochent leur dernier succès (« Past, Present & Future ») deux mois plus tard, enfonçant ainsi le dernier clou dans le cercueil des girl groups. Goldner tâchera bien de s'adapter au nouveau marché, recrutant notamment le groupe proto-hard rock Vanilla Fudge, mais sans grand succès. A la fois respecté et haï par ses pairs épouvantés par son entourage de mafieux, George Goldner est mort d'une crise cardiaque le 15 avril 1970, à l'âge de 52 ans. L' « oiseau rouge » n'a vraiment chanté que deux étés, entre 1964 et 1966, pendant lesquels, plus que n'importe quel autre label, il a défini pour toujours le son des girl groups.