La radio en France  :

Tout remonte à la création d'Europe n° 1, fin 1954, qui émet de grandes ondes depuis le plateau du Felsberg, en Allemagne, au-dessus de Sarrebuck. Très vite, elle s'impose comme la station « jeune », dont le ton, le rythme vont démoder la concurrence, en grande partie grâce à la musique. A l'origine, le rock y est, comme un peu partout en France, objet de moquerie (ce dont témoigne assez bien le « Rock'n' Roll Mops » d'Henri Salvador) : Lucien Morisse, le compagnon de Dalida, casse en direct dans « Le Discobole » le premier disque de Johnny Hallyday, imitant les centaines de DJ américains qui en avaient fait autant avec ceux d'Elvis Presley. Pourtant, le 19 octobre 1959, Franck Ténot et Daniel Filipacchi, qui ont déjà beaucoup fait pour la musique avec leur émission « Pour ceux qui aiment le jazz », vont lancer « Salut les copains » en fin d'après-midi. Présentée par « Daniel » chaque après-midi de cinq à sept, l'émission épouse la nouvelle vague yéyé, synonyme ici, pour le meilleur et pour le pire, de rock. Johnny (Hallyday) et Sylvie (Vartan), Eddy (Mitchell) et Dick (Rivers), Sheila et Françoise (Hardy), Claude François (« Cloclo »), Richard Anthony, (Frank) Alamo et, bientôt, Antoine, Jacques Dutronc, Michel Polnareff, Nino Ferre et Christophe sont les icônes d'une émission qui est également le porte-drapeau du Swinging London : Beatles, Rolling Stones, Kinks, Manfred Mann et autres Animals, mais sans oublier Elvis Presley, Ray Charles et les pionniers du rock. On se rappelle ses indicatifs (« SLC Twist » d'Eddie Vartan, « SLC Surf » par les Gamblers, « SLC Jerk » des Lionceaux, « Big Train » de Booker T. & The MG's, « Last Nite » des Mar-Keys), ses jingles enregistrés par les vedettes elles-mêmes (de Petula Clark à France Gall), ses multiples rubriques (dont l'incontournable « Chouchou » qui lancera tant de tubes et de carrières) et ses chroniqueurs devenus animateurs à leur tour (Franck Ténot, le programmateur Michel Poulain, Monty, Bernard Brillié, Hubert Wayaffe, Jean-Bernard Hebey, Michel Desrochers).

De nombreuses raisons contribuent à faire de « Salut les copains » un succès sans précédent : le phénomène historique de la nuit de la Nation à Paris le 22 juin 1963, une concurrence inexistante, un ton chaleureux et décontracté, les hommages des vedettes (le premier album de Johhny Hallyday emprunte le titre de l'émission, Sheila chante « Vous, les copains ») et, surtout, le lancement du magazine mensuel Salut les copains. L'émission, reste, pendant dix ans, une institution. Toujours sur Europe n° 1, l'émission « Musicorama », diffusée depuis l'Olympia, dure de la fin des années 50 au début des années 70. Le dimanche soir et les soirs de première, elle diffuse, parfois en direct, tous les artistes qui se produisent à paris : les Beatles en 1964 et 1965, les Rolling Stones en 1964 et 1967, Bob Dylan en 1965, Janis Joplin, Jimi Hendrix en première partie de Johnny Hallyday, Frank Zappa, Led Zeppelin, The Band, les Byrds, Pink Floyd, Donovan, Procol Harum, Leonard Cohen, Little Feat, Yes…

Au milieu des années 60, Europe n° 1 n'est plus la seule radio en France à diffuser du rock. RTL répond avec le Président Rosko (« le plus beau, celui qui marche sur l'eau »), France-Inter avec Gérard Klein qui présente quotidiennement le meilleur « Hit-parade » et, surtout, le « Pop Club » de José Arthur avec son équipe (Claude Villers, Patrice Blanc-Francard et Bernard Lenoir). RMC propose une émission appelée « Radio Caroline », avec Pierre Lescure, le regretté Jean-Michel Desjeunes, Jacques Bal et Christian Gelreich. Europe n° 1 garde toujours une longueur d'avance, grâce à Hubert, parolier occasionnel de Johnny Hallyday et de Ronnie Bird, qui présente « Dans le vent », le défunt Michel Lancelot et son légendaire « Campus », sorte d'emblème de la période de l'après-1968 et de la contre-culture, et Pierre Lattès, enfin, qui anime en fin d'après-midi « Périphérik ».

Les années 70 voient le rock se réfugier en soirée, voire la nuit : c'est le règne de France-Inter (les mêmes Patrice Blanc-Francard, Bernard Lenoir, Claude Villers, José Arthur avec les émissions « pas de panique, « Bananas », « Feedback »…) et de RTL (« poste restante » de Jean-Bernard Hebey, Dominique Farran, les fameuses « Nocturnes » de Georges Lang) qui fait la promotion de nombreux concerts prestigieux. Après « Carré bleu », Europe n° 1 tente l'expérience de Radio 2 sous l'égide de Michel Brillié et de Claude Brunet. A la fin de la décennie, le rock est définitivement cantonné au-delà de vingt heures, sur « WRTL » (Georges Lang, Dominique Farran, Francis Zégut et son « Wango Tango »), comme sur Europe n° 1 (Mychèle Abraham avec « Chlorophylle », puis « Rock-à-Mymy » et «  Parano ») et France-Inter (toujours Patrice Blanc-Francard et Bernard Lenoir).

Avec l'arrivée des radios FM, illégale depuis 1977 (radio Verte, Radio-Ivre, Carbone 14), puis massive et officielle à partir de 1981, on croit que tout va changer et que le rock va désormais régner. Faites par des passionnés, arrivent La Voix du Lézard, Boulevard du rock, RFM, Carole FM, Radio 7 et bien d'autres comme plus tard Skyrock, Fun Radio, Europe 2, Ouï FM, Radio Nova. Toutes ces stations feront beaucoup pour varier l'offre et la diversité de la musique à la radio. Le mouvement d'espoir au début des années 80 a pourtant fait naître un paysage déconcertant, où l'augmentation de l'offre a abouti à une segmentation, toujours plus précise, de formats sans cesse évolutifs, dont NRJ plutôt orienté vers les clubs reste le roi. Les radios dites généralistes ont cherché à s'adapter au mouvement : France-Inter accueille un temps Philippe Manœuvre en fin d'après-midi (« Je fais du rock ») ; Europe n° 1, devenu Europe 1, lance « Rock à l'œil » en février 1982 et crée « Trans-Europ-Express » qui dure de 1986 à 1988. Ces bonnes volontés s'étiolent progressivement, à mesure que les animateurs-producteurs deviennent dirigeants, à la radio ou à la télévision. Si bien qu'au cours des années 90, irréversiblement dominées par les playlists de FM de plus en plus formatées, seuls Georges Lang et Francis Zégut, de la génération des années 70, continuent à animer des programmes. Sur France-Inter, Bernard Lenoir reste toujours attentif aux voix nouvelles comme à la qualité, hors des modes et du formatage, cristallisant un noyau de passionnés, notamment grâce à une alliance avec Les Inrockuptibles.

Devenu dominant dans le paysage français, le rock n'a plus, en vérité, besoin d'apôtres à la radio. En France, comme ailleurs, à partir du milieu des années 80, les formats commerciaux, dictés par le marketing de plus en plus seul maître à bord, ont largement remplacé tous les pionniers cités ou oubliés dans ces colonnes. Peut-être ceux-ci retrouveront-ils leur place en tant que spécialistes, lorsque le rock aura finalement perdu son actualité et commencera sérieusement, sur le modèle du jazz, à être affaire de conservateurs, au meilleur sens du terme.