Creedence Clearwater Revival CREEDENCE CLEARWATER REVIVAL : groupe de rock américain, 1966-1972.

- John Fogerty (chanteur, guitariste soliste et claviériste), né le 28.05.1945 à Berkeley, Californie ;
- Tom
(Thomas) Fogerty (guitariste rythmique), né le 09.11.1941 à Berkeley, mort le 06.09.1990 à Scotsdale, Arizona ;
- Stu
(Stewart) Cook (bassiste), né le 25.04.1945 à Oakland, Californie ;
- Doug « Cosmo » Clifford
(batteur), né le 24.04.1945 à Palo Alto, Californie.

Pendant quatre années bénies, de 1969 à 1972, ce quatuor de San Francisco fut, tout simplement, le meilleur groupe de rock'n' roll de la planète, peut-être même le seul de son temps. Grâce au talent de son auteur-compositeur-interprète John Fogerty, à contre-courant de la musique progressive et de la vague des auteurs-compositeurs introspectifs, Creedence retrouva d'abord l'énergie brute du rock'n' roll de Little Richard et de Buddy Holly avec des 45 tours jaillissants bourrés de joie communicative, d'énergie brute et d'évidence mélancolique comme « Proud Mary », « Bad Moon Rising » et « Up Around The Bend ». Fogerty était aussi profondément inscrit dans la tradition de la country et du blues américains, habile à manier des mots simples et suggestifs, animé par une honnêteté et une humilité exemplaires qui rendent sa musique profondément humaine et universelle.

Il faudra huit longue années pour que le groupe de collégiens formé par Fogerty à El Cerrito, une petite bourgade de la banlieue de San Francisco, se métamorphose en ce groupe à même d'aligner disques d'or sur disque d'or à la fin des années 60. Huit années d'engagements de fortune, de choix artistiques douteux (Tom Fogerty chantait alors au détriment de son frère John), bref, ce qu'il est convenu d'appeler la « galère ». Les Visions, comme ils se nomment alors, sont bien pris sous contrat par la firme San Francisco Fantasy en 1964 et se voient immédiatement rebaptisés les Golliwogs pour sonner plus anglais mais les ventes demeurent minimes, même si « Brown-Eyed Girl » (aucun rapport avec le classique de Van Morrison) est un petit tube à Los Angeles en 1966. Qui plus est, Fogerty et Clifford sont appelés sous les drapeaux la même année. Les Golliwogs ont vécu. Rendu à la vie civile, John Fogerty fait adopter le curieux nom de Creedence Clearwater Revival à son quatuor : « Creedence » est en fait le nom d'un ami ; « Clearwater », celui d'une marque de bière ; et « Revival » résume en un mot la profession de foi des quatre musiciens : retournons aux racines.

C'est grâce à une reprise de Dale Hawkins que le groupe attire l'attention fin 1968 : une version plutôt longue du demi-classique « Suzie Q. » dont les vedettes sont, déjà, la voix de John et un son de guitare transformé par l'utilisation systématique du trémolo, à la résonances aquatique, vite baptisé « bayou-rock » », qui évoque, aussi bien qu'une BO de Ry Cooder, la touffeur et le mystère des forêts inondées de Louisiane, même si Fogerty n'a jamais mis les pieds dans la patrie du zydeco. « Suzie Q. », tronçonné en deux parties pour les besoins du 45 tours, est le premier tube du groupe. Il permet à l'album qui l'accompagne de s'installer pendant un an et demi dans le hit-parade américain. Ce n'est qu'un début. Bayou Country, qui paraît dix mois plus tard (mars 1969), est l'album qui définit ce qu'on va appeler le swamp-rock (le « rock des marais »), lent hypnotique, parfois inquiétant, illuminé de quelques compositions originales prodigieuses, dont « Proud Mary » est la plus remarquable. Cette chanson sera bien sûr reprise par Ike & Tina Turner, Solomon Burke et Elvis Presley (sans oublier plusieurs milliers de groupes amateurs du monde entier) ; mais elle est surtout la première « vraie » chanson de John Fogerty, celle dans laquelle il découvre le territoire qu'il occupera durant tout au long de sa carrière. Les références sont évidentes. Le mémorable riff d'intro est l'écho de la descente d'accords majeurs de « Fortune Teller », ce standard du rhythm'n' blues de La Nouvelle-Orléans. La mélodie, elle, louche du côté de la country, tandis que la richesse symbolique des paroles (le fameux « big wheel keep on turning », évocation des bateaux à aubes qui remontaient le Mississippi) n'a rien à envier au Dylan de la grande époque : ce véritable melting-pot de tous les principaux courants de la musique populaire américaine est assumé avec un goût et un naturel confondants. Le public ne s'y trompe pas et « Proud Mary » est un énorme tube des deux côtés de l'Atlantique. Quelques semaine plus tard, « Bad Moon Rising » et le sublime « Lodi » confirment la naissance d'un talent majeur.

Creedence entre alors dans une période d'activité frénétique, ne quittant le studio d'enregistrement que pour tourner sans relâche : festival de Newport, festival de Denver, festival d'Atlantic City, et enfin Woodstock. Dès l'automne 1969, le nouvel album, Green River emmené par un riff irrésistible sur la chanson du même titre, s'installe au n°1. E janvier 1970, à peine cinq mois après sa sortie, Willy And The Poor Boys devient le troisième opus de Creedence à s'écouler à plus d'un million d'exemplaires aux Etats-Unis. Le disque est un pur chef-d'œuvre : l'art qu'à Fogerty, qui en est également le producteur, d'utiliser le studio est employé avec un sens de l'économie aux antipodes des débauches complaisantes de mise à l'époque. « Fortunate Son » devient un tube, tout comme « Down On The Corner », enregistré sur une minicassette au coin d'une rue, avec une planche à laver pour seule percussion. Fogerty est alors au sommet de son art. Chacune des chansons de l'album a l'aplomb d'un standard, son immédiateté, son assurance. On tient là un résumé inspiré de toutes les formes classiques de la musique populaire américaine : honky tonk, blues, rockabilly, country, bluegrass. La voix de Fogerty s'y libère, tandis que la section rythmique Tom Fogerty-Cook-Clifford s'y affirme l'égale de Charlie Watts et de Bill Wyman en termes de fluidité et d'assurance.

En août 1970, nouveau et avant-dernier triomphe : Cosmo's Factory (« Cosmo » étant le surnom du batteur Doug Clifford), une mine de tubes qui fait de Creedence le premier groupe de rock de la planète en termes de ventes. « Up Around The Bend », « Looking Out My Back Door », « Long As I Can See The Light », « Run Though The Jungle » et « Travelin' Band » se relaient au sommet des hits-parades internationaux. Cosmo's Factory n'a peut-être ni la cohésion de Willy And The Poor Boys ni son lyrisme, mais c'est une machine d'une efficacité imparable, dont les plus beaux moments sont peut-être une version envoûtante du « I Heard It Through The Grapevine » de Marvin Gaye et le magnifique « Who'll Stop The Rain », une ballade toute simple qui en dit bien plus long sur l'état d'esprit de l'Amérique de Nixon confrontée à la guerre au Vietnam que tous les sermons de Country Joe, Jane Fonda et compagnie. A ce moment, Tom Fogerty décide de s'éloigner du groupe pour, dit-il, « passer plus de temps en compagnie de sa famille », non sans avoir participé à l'enregistrement de Pendulum, le dernier véritable opus de Creedence. Pendulum (janvier 1972) est un disque hybride, illumine de quelques merveilles comme « Have You Ever Seen The Rain », « Molina » et « Hey Tonight », mais dans lequel on peut déjà sentir les tensions qui aboutiront à la catastrophe de Mardi Gras. Pour la première fois, John délaisse sa guitare pour se retrouver devant l'orgue Hammond ; les harmonies sont plus complexes, mais ne convainquent pas tout à fait ; on a l'impression d'un malaise d'un auteur-compositeur qui ne sait plus trop comme renouveler son inspiration au sein d'un groupe qui n'a plus d'autre raison d'exister que de servir de machine aux compositions de son maître à jouer. L'arrogance magnifique de Cosmo's Factory fait place au doute, dont la triste confirmation est un autre album, Mardi Gras, dans lequel les trois hommes décident de jouer le jeu dangereux de la démocratie, tant au niveau de l'écriture des chansons que de leur production. Le résultat est épouvantable. Deux titres de John Fogerty surnagent, « Someday Never Comes » et, surtout, « Sweet Hitch-Hiker », un rock'n' roll que n'aurait pas renié le Chuck Berry de « Schooldays ». En dépit du massacre de la critique, Mardi Gras se vend à plus d'un million d'exemplaires, mais la mécanique est faussée et le groupe annonce sa séparation le 16 octobre 1972. Cook et Clifford prennent une retraite dorée, qui n'est interrompue que par quelques rares séances et encore plus rares réunions du groupe, comme à l'occasion du deuxième mariage de Tom Fogerty, en 1980. Tom se lance dans une carrière solo vouée à l'obscurité avant d'être victime de la tuberculose en 1990, à l'âge de 49 ans. John, désormais seul et empêtré dans de multiples querelles juridiques avec son éditeur et son ancienne maison de disques, connaîtra une carrière solo en dents de scie, depuis la parenthèse country des Blue Ridge Rangers (1973) jusqu'au triomphe d'un album de platine avec son magnifique Centerfield (1985) et le non moins superbe Blue Moon Swamp en 1997.

Demeurent une multitude de 45 tours inoubliables et huit albums dont la moitié au moins ferait rougie quiconque prétend se draper dans l'étendard passablement fatigué du « vrai » rock'n' roll. S'il existe vraiment une noblesse du rock, aucun groupe ne l'a incarnée avec autant de grâce et moins d'affectation que Creedence lors de son règne trop bref. Il fallait l'énergie de Little Richard (« Travellin' Band »), l'intelligence sonore de Leiber & Stoller (le son de guitare inouï qui ouvre « Up Around The Bend »), l'authenticité de Fats Domino (n'importe lequel des titres de Willy And The Poor Boys), la puissance brute des riffs des Kinks (« Proud Mary »), l'élégance et la simplicité mélodiques de Buddy Holly (« Lodi »), les atmosphères inquiétantes de Screamin' Jay Hawkins (« Run Through The Jungle », ce chef-d'œuvre), la poésir du meilleur Dylan (« Who'll Stop The Rain »). Fogerty avait aussi une autre qualité : son art était sans fioritures, modeste à l'excès. Il se savait dépositaire autant que créateur, héritier de Johnny Ace comme de Hank Williams, de John Lee Hooker comme des jeunes Rolling Stones. Et cette modestie joua contre lui, comme elle continue de jouer contre son seul alter ego contemporain, Tom Petty. La musique de Fogerty est avant tout honnête, et l'histoire de ce groupe fut l'un des contes moraux dont les héros réussissent à force d'opiniâtreté, prenant leur temps, respectant leurs aînés pour mieux triompher. Autant dire que Creedence reste une sorte de miracle évanoui.