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Aux Etats-Unis, la calypso antillais, censé remplacer la mode du rock'n' roll en 1957, s'essouffle après quelques succès. Le courant rock, plus populaire que jamais, est pourtant brisé à la suite d'une série de scandales orchestrés par les forces conservatrices. Plusieurs animateurs de radio, accusés de percevoir des pots-de-vin (payolas) de marques de disques diffusant le rock'n' roll, sont sommés de revendre les parts qu'ils détiennent dans les sociétés de productions phonographiques et d'éditions (ils cosignent souvent les chansons qu'ils diffusent, suivant une pratique courante qui dépasse le cadre du rock). Le DJ Alan Freed, s'estimant honnête, refuse de s'exécuter. Il est brisé par un procès et meurt, malade et ruiné, peu après. Elvis Presley part pour l'armée. La carrière de Jerry Lee Lewis est détruite par un scandale de mœurs, Chuck Berry, visé pour avoir fréquenté une jeune Blanche, a, de plus, des ennuis avec le fisc (il ira bientôt en prison), Little Richard part se faire pasteur, Bo Diddley est ruiné, Eddie Cochran se tue dans un accident de taxi qui rend Gene Vincent infirme et Buddy Holly se tue en avion. Les années 60 tournent la page. Le rock de cette nouvelle époque, durant la présidence de John F. Kennedy, est édulcoré, avec les fades teen idols, dont toutes ne sont d'ailleurs pas sans talent, allant du meilleur (Ricky Nelson) au pire (Fabian). Bientôt arrivera la mode du twist, plus sage encore.

Le salut viendra de l'Europe. Il faudra attendre la fin 1963 et le raz-de-marée des Beatles, venus du nord-ouest de l'Angleterre, pour voir renaître cette musique foudroyante d'énergie et de swing. Après la période Elvis Presley, le phénomène social de la Beatlemania draine à son tour la deuxième génération du rock'n' roll avec les Rolling Stones, les Kinks puis les Who. Les jeunes rockers britanniques ramènent la musique américaine à son point de départ : c'est la British Invasion , arrivant à point nommé pour offrir l'espoir, l'enthousiasme et l'énergie à une Amérique démoralisée par l'assassinat de Kennedy, les déchirements de la ségrégation raciale et l'engagement naissant au Vietnam. En Grande-Bretagne se développe une nouvelle tendance : les Mods (« modernistes ») n'admettent que le rock'n' roll noir (qu'ils appellent « rythm'n' blues », pour bien se distinguer de leurs ennemis les Rockers), le jazz, la soul authentique, le ska et le rock steady jamaïcain, et bientôt le reggae.

Les rythmes du rock incorporent différentes influences dans la seconde moitié des années 60, sans conteste sa période la plus riche et la plus prolifique, véritable âge d'or où les productions indépendantes se multiplient. Le rock'n' roll devient la rock music ou, en français, le rock (quoique, recourant à l'une de ces approximations dont elle est coutumière, la France se soit obstinée à le désigner à contre-sens comme la pop music ou la pop jusque environ le milieu des années 70). Les Beatles retrouvent dans leurs chansons les racines du folklore irlandais et celtique, tandis que Bob Dylan, qui s'est imposé comme le chef de file de la chanson contestataire appuyée sur des mélodies folkloriques fait, avec « Like a Rolling Stone » (1965), un chemin inverse vers le rock'n' roll-rythm »n » blues. Le rock absorbe la plupart des autres formes de musique, les chargeant d'un sens et d'une portée nouveaux : le blues (Jimi Hendrix Experience, « Red House », 1966), le country and western (Bob Dylan, « Nashville Skyline », 1969) et, surtout, avec la vague psychédélique, toutes les formes de musique savante et populaire, modernes et anciennes (baroque, raga indien, musique concrète, musique électronique…) se dirigeant bientôt vers les longues improvisations dont le principe est proche du jazz (Rolling Stones, « Goin' Home », 1965, les Grateful Dead…). Suivant le chemin ouvert par Dylan, le Velvet Undeground apportera au rock les prolongements de l'avant-garde artistique, littéraire et musicale, tandis que le monstre sacré du jazz, John Coltrane, disparaît en 1967. Parallèlement, beaucoup d'enregistrements de la seconde moitié des années 60 sont encore réalisés dans un esprit proche du rock'n' roll des origines. Ils sont le fait d'artistes noirs comme Jackie Wilson et Otis Redding mais restent répertoriés dans le rayon « soul » bien à part, qui aura à son tour une immense influence sur le rock blanc. En pleine lutte des Noirs américains pour l'obtention des droits civiques, le mot rock, venu du vocabulaire noir américain, est ainsi devenu synonyme de musique populaire de la jeune génération blanche occidentale.

Cette période d'invention et d'optimisme connaîtra un terme brutal. Après les trois jours idylliques « de musique, d'amour et de paix » du festival de Woodstock, fin 1969, au concert d'Altamont, en Californie, où se produisent les Rolling Stones, un jeune Noir est poignardé par un Hell's Angel chargé du service d'ordre. Aux Etats-Unis, une fraction de la communauté noire se radicalise autour du Black Power ; la guerre au Vietnam fait rage et la violence renaît partout (Moyen-Orient, Irlande du Nord). Les émeutes estudiantines tournent parfois au bain de sang, comme au Mexique, où l'armée tire sur la foule. Le pacifisme béat des hippies est bien mort et une partie de la jeunesse se politise de façon virulente. La drogue aussi fait des ravages, entraînant le décès des figures emblématiques comme Janis Joplin (1970), Alan Wilson (Canned Heat, 1970), Jimi Hendrix (1970) et Jim Morrison (Doors, 1971). De plus, la séparation des Beatles, effective de puis la mi-1969, est annoncée officiellement en 1970.

Ainsi, le rock a perdu une partie de ses illusions, de son esprit utopique et de son élan. Mais il ne disparaît pas pour autant. Les tendances sont éclatées : rock engagé, chaotique, des MC5, funk de James Brown ou Sly Stone, rock teinté de musique latine avec Santana, musique classique ou free-jazz en Allemagne, musique progressive et space rock (planant) de Pink Floyd, courant des auteurs-compositeurs-interprètes de folk-rock qui s'interrogent douloureusement sur la perte de leurs illusions, comme Crosby, Stills, Nash (& Young) et James Taylor, blues-rock et bientôt hard-rock et heavy metal (Led Zeppelin, Black Sabbath), expression réalistes des tendances décadentes et extrêmes dans les grands centres urbains (Iggy Pop & The Stooges, Lou Reed), country-rock californien des Eagles, jazz rock (Mahavishnu Orchestra, Miles Davis), pop, dans le sens de variété (Diana Ross, Elton John), rock théâtral (Genesis, Alice Coper, Kiss), glam rock (David Bowie, Roxy Music). Le rock influence progressivement les musiques du monde entier, notamment grâce à la diffusion des instruments électriques qui le caractérisent, comme la guitare et la basse électriques, suscitant des expériences très diverses comme la M.P.B. (musique populaire brésilienne) avec Gilberto Gil, le mbaqanga sud-africain de Mahlathini ou les grands orchestres éthiopiens. Le rock perd peu à peu son identité propre, éclatant en chapelles, en bastions et en cultes. Cette période d'ouverture est symbolisé par l'arrivée de Bob Marley et du reggae.
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