Bo Diddley DIDDLEY, Bo (Ellas Bates, dit McDaniel) : chanteur, guitariste et compositeur de blues et de rock'n' roll américain. Né le 30.12.1928 à McComb (Mississippi).

Ce musicien noir de Chicago, l'un des plus grands créateurs du rock, est l'auteur d'une douzaine de classiques rendus célèbres par les groupes de rock les plus fameux des années 60 comme « Who Do You Love ? » et « Not Fade Away » : les Kinks, les Animals, les Doors, Creedence Clearwater Revival, et surtout les Rolling Stones, dont il est l'une des principales influences avec son ami Chuck Berry. Il a inventé un son et un style de guitare électrique rythmique féroce et primitif, incorporant au rock un rythme afro-caribbéen (qui porte désormais son pseudonyme).

Peu après sa naissance dans une ferme très pauvre, Ellas Bates est élevé par une cousine de sa mère (alors âgée de 15 ans), Gussie McDaniel, qui lui donne son nom. Veuve, elle émigre en 1935 dans le plus dur ghetto de Chicago. Ellas apprend le violon, mais sa sœur lui offre une guitare pour ses douze ans : il l'accorde en quinte comme un violon, imitant les mouvements rapides de l'archet avec son médiator, créant ainsi un style unique. A l'église baptiste Ebenezer où il se rend tous les jours, il chante un fervent gospel. Entouré de délinquants et de gangsters, ce bagarreur de rues émérite (il doit protéger son violon) reste néanmoins sur le droit chemin. Il quitte l'école tôt, apprenant la menuiserie et la lutherie. A 15 ans, influencé par la pop jazzy de Cab Calloway et Louis Jordan, il forme les Hipsters avec un autre guitariste, Jody Williams, et Roosevelt Jackson à la basse washtub (bassine retournée avec une ficelle fixée en son centre). Il joue dans les rues, gagnant pas mal d'argent, à la grande honte de sa mère adoptive. A 18 ans, marié, il abandonne la boxe (où il avait un niveau professionnel) après avoir subi une cuisante défaite. Il vit de petits métiers et trouve un emploi modeste de cantonnier. Il joue le week-end pour joindre les deux bouts et interprète ses premières compositions, humoristiques, influencées par Louis Jordan, ainsi que par le blues de John Lee Hooker et Muddy Waters. Avec l'arrivée en 1950 de Billy Boy Arnold et Jerome Green, sa formation devient les Langley Avenue Jive Cats et joue sur les marchés ainsi qu'au 708 Club. Arnold quitte le groupe en 1952, McDaniel renâclant à passer professionnel. Il acquiert alors un ampli de guitare qui donne à son style une puissance dévastatrice que Chicago découvre sur scène. Il bricole lui-même un des premiers effets trémolo au monde avec un réveil et des pièces d'automobile. Une nouvelle formation avec Green, Clifton James à la batterie et James Bradford à la basse convainc Arnold de revenir en 1954.

Réduit, l'hiver, au chômage technique, McDaniel accepte de démarcher les compagnies de disques avec une maquette de deux chansons : « I'm A Man » et « Uncle John ». Aussitôt engagé par Phil & Leonard Chess, il enregistre, avec l'aide de Willie Dixon à la contrebasse et d'Otis Spann au piano, un « Uncle John » rebaptisé « Bo Diddley » : avec son rythme hypnotique irrésistible et sa guitare au son déformée par la reverb, ce titre monte immédiatement au n° 2 du classement rhythm'n' blues national, modifiant à jamais l'histoire du rock et du funk. Les frères Chess décident de rebaptiser McDaniel du nom de sa chanson, qui raconte les aventures d'un certain Bo Diddley. Sur l'autre face du 45 tours, « I'm A Man » est influencé par le « Hoochie Coochie Man » de Muddy Waters. Le hasard veut que la nouvelle étiquette rock'n' roll s'impose alors de façon fulgurante dans le public blanc. Bo Diddley surfe sur une nouvelle vague avec une tournée nationale où sa voix puissante, sa personnalité et son jeu de scène sauvage surexcitent le public. Il frappe beaucoup par son style inimitable : sa guitare Gretsch rectangulaire est faite sur mesure, et il porte des chapeaux noirs ornés d'un bijou, manifestant une présence scénique exceptionnelle. Alan Freed parraine sa tournée suivante, et Bo Diddley est l'un des premiers noirs invités dans le célèbre show télévisé d'Ed Sullivan. En novembre, « Pretty Thing » ne réussit pas à percer dans les premières places. Contrairement à l'ancien garçon-coiffeur Chuck Berry, à l'image très propre, sa musique, trop ancrée dans le ghetto, noire, hirsute et étrange, n'intéresse pas les médias. Les réussites se succèdent pourtant dans son premier album, qui contient le génial « Who Do You Love ? » (dont les Doors enregistreront une longue version sur scène). Ou encore « Hey Bo Diddley », « Mona », « Cops And Robbers » puis plus tard « Crackin' Up », « Road Runner », « Bring It To Jerome », « Diddy Wah Diddy », « Before You Accuse Me », sans oublier plusieurs instrumentaux. Bo Diddley multiplie les concerts et continue de créer des perles comme « Oh Yeah », « Story of Bo Diddley », « Cadillac » et autres. Il retrouve le succès avec sa ballade « I'm Sorry » et le duo parlé avec Jerome Green, « Say Man » puis avec « Say Man, Back Again ». Il enregistre avec les Kalin Twins et publie plusieurs albums en 1959-1960 : Go Bo Diddley, mélange à son fameux « Diddley beat » et au rock'n' roll divers rythmes et influences : africains, blues, espagnols, calypso, gospel et bien d'autres.

En 1960, il déménage à Washington, fait construire un studio chez lui et y enregistre des titres influencés par la country and western, donnant un de ses meilleurs albums, Bo Diddley Is A Gunslinger, disque d'or en 1962. Son influence est immense. Les artistes de rock copient son rythme et enregistrent dans son style, notamment Elvis Presley (« His Latest Flame »), Johnny Otis (« Willie And The Hand Jive »), Buddy Holly (« Bo Diddley », « Not Fade Away »). Il joue à la Maison-Blanche pour l'investiture du président Kennedy en 1961 et publie le 33 tours Bo Diddley Is A Lover qui passe inaperçu dans la vague twist (Chess publiera l'inachevé Bo Diddley Is A Twister ). L'inspiration ne le quitte pas : « Pills », « I Can Tell », « Here ‘Tis », « Greatest lover In The World », « I'm Alright », « Mama Keep Your Big Mouth Shut » Willie Dixon écrit pour lui le fameux « You Can't Judge A Book By Looking At The Cover ». Chess publie les albums Bo Diddley & Company et, en pleine vague des instrumentaux surf, l'album Surfin' (1963). Il part en tournée en Grande-Bretagne avec Little Richard, les Everly Brothers et les Rolling Stones, encore inconnus. « Pretty Thing » monte au n° 34 local et quatre de ses albums entrent dans les vingt meilleures ventes britanniques. Chess sort la compilation 16 All-Time Greatest Hits, et Bo enregistre un surprenant album d'improvisations de guitare en duo avec Chuck Berry, Two Great Guitars (1964). Les rockers anglais des années 60 (Manfred Mann, les Rolling Stones, les Yardbirds, les Pretty Things, les Animals, les Kinks…) pillent son répertoire, imités par ceux de la vague garage américaine des années 60 (Shadows Of Knight, Remains, 13th Floor Elevators, Strangeloves), puis les groupes de rock psychédélique comme les Doors et Quicksilver Messenger Service. Plus tard, les New York Dolls, Dr. Feelgood et George Thorogood perpétueront son influence.

A son retour aux Etats-Unis, le rock'n' roll est devenu soul. Bo Diddley suit la mode, mais sans grand succès avec « Hey Good Lookin' » (1964) et « 500% More Man » (1965). Malgré des perles comme «  La La La  » ou « Let Me Pass », à l'automne 1965, son retour à Londres est un échec et il se sépare de son manager. En janvier 1966, il monte n°17 avec « Ooh Baby » suivi en 1967 de deux albums improvisés avec Muddy Waters et Howlin' Wolf bien accueillis. Le succès s'éloignant, il déménage à Los Angeles et réduit son groupe à quatre membres. Il s'aperçoit alors que son manager n'a pas payé ses impôts, qu'il a une dette considérable envers le fisc, et que les disques Chess lui doivent des millions de dollars. Le décès de Leonard Chess, le 16 octobre 1969, écourte le procès et Diddley perd la mise. Le 33 tours Black Gladiator en 1970, qui dévoile une étonnante photo de lui en gladiateur, contient plusieurs merveilles, mais ne se vend pas plus qu' Another Dimension (1971), supervisé à New York par Al Kooper : Bo Diddley renvoie l'ascenseur en reprenant des chansons de Creedence Clearwater Revival et du Band. Johnny Otis produit son Where It All Began, un album psychédélique, à Los Angeles (1971). Diddley participé à de grands festivals en compagnie d'autres géants du rock. Suivant l'exemple de Howlin' Wolf et de Jerry Lee Lewis, le décevant London Sessions (1973) est conçu à Londres avec deux admirateurs, Ray Fenwick et Ron Wood. Depuis, Wood joue régulièrement avec Diddley, sur scène et sur disque. Cette période s'achève avec un chef-d'œuvre, Big Bad Bo (1974), orienté vers la soul, avec les cuivres de Muscle Shoals et le fameux « Stop The Pusher », convaincant manifeste antidrogue. La pochette montre Diddley sur un chopper, portant le slogan « Support Your Local Hell's Angels ». Après le désastreux The 20th Anniversary of Rock'n' Roll avec en invités Carmine Appice, Tim Bogert, Joe Cocker, Billy Joel, Albert Lee, Alvin Lee, Roger McGuinn, Keith Moon et Leslie West de Mountain, il revient à la scène et grave le réussi Live Recording (1977). En février 1979, il est en première partie de The Clash pour une tournée américaine, et son rythme inspire de nombreux morceaux au groupe de Joe Strummer. Après avoir été élu shérif dans une petite ville de la région d'Albuquerque, il signe chez New Rose en France et fait un retour avec le groupe de sa fille, Offspring, pour le funky « Ain't It Good To Be Free » (1984) et Bo Diddley & Co en public (1985). Son apparition dans un film publicitaire pour Nike lui fait beaucoup de publicité aux Etats-Unis. Puis c'est In Concert avec Mainsqueeze avec Eric Bell, ex-Thin Lizzy (1986), un Live At The Ritz avec Ron Wood (1987), suivi d'une intronisation au Rock & Roll Hall of Fame, et de l'électronique Living Legend (1989). Bo Diddley a longtemps continué à marquer le rock, comme l'atteste le « Faith » de George Michael (1987).

Son style varié, funky et bluesy, à la fois sauvage et soul, tantôt déchirant et tantôt comique, a marqué des générations de musiciens, notamment Moe Tucker dans le Velvet Underground. On peut aussi considérer son hilarant « Say Man », un de ses cinq grands succès, comme un titre précurseur du rap. Les années 1955_1973 ont fait l'objet d'un remarquable coffret de douze CD, The Chess Years (1994).