MUSCLE SHOALS : studio d'enregistrement américain, 1961.

Cette agglomération du nord-est de l'Alabama a donné son nom à l'un des studios d'enregistrement les plus fameux de l'histoire de la musique soul américaine. Rassemblée à l'origine par Rick Hall, créateur de la compagnie Fame, cette équipe de musiciens et producteurs a accompagné les plus grands chanteurs de la soul des années 60 : Arthur Alexander, Dan Penn, Percy Sledge, Wilson Pickett, Aretha Franklin, Etta James. Devenus indépendants, les musiciens se sont associés aux plus grands artistes de rock des années 70 et 80 : les Rolling Stones, J.J. Cale, Traffic, Paul Simon, Ry Cooder, Joe Cocker, Rod Stewart puis Bob Dylan, Dire Straits, James Brown et quantité d'autres.

Située dans l'extrême nord-est de l'Alabama, à une heure d'avion de Memphis et à peine plus d'Atlanta, Muscle Shoals correspond à merveille à la notion de « Sud profond ». Ce que l'on appelle communément Muscle Shoals est en fait l'agglomération de quatre villes situées de part et d'autre du fleuve Tennessee : Florence, Sheffield, Tuscumbia et Muscle Shoals, regroupant quelques 70 000 habitants. La tradition religieuse, de tendance fondamentaliste, est très forte (nous sommes au cœur de la « Bible Belt ») et Tuscumbia abrite encore le quartier général de l'une des factions les plus radicales du Ku Klux Klan. La population se compose essentiellement de rednecks, au tempérament plutôt endormi. Au début des années 50, ces braves gens avaient voté une loi qui décrétait « secs » les comtés de la région : en clair, la fabrication, la vente et la consommation de boissons alcoolisées y étaient strictement interdites. Cette prohibition locale dura jusqu'en 1982. Pas d'alcool signifiait pas de bars ni de clubs, donc pas de musique live. Pourtant, c'est entre 1965 et 1980 que fut enregistrée à Muscle Shoals une quantité inestimable de disques qui ont marqué à jamais l'histoire de la musique populaire.

Avant 1960, il était de notoriété publique à Muscle Shoals que si l'on voulait réussir il était indispensable d'aller s'installer ailleurs. Les natifs du quartier qui se sont fait un nom ont suivi ce précepte : W.C. Handy et considéré comme « le père du blues », a fait toute sa carrière à Memphis, Saint Louis et surtout New York. Sam Phillips, le producteur Buddy Killen à Nashville… Jusque vers la moitié des années 50, la scène musicale à Muscle Shoals est quasi inexistante. En décembre 1956, James Joiner, propriétaire d'une compagnie d'autobus et grand fan de musique country, monte une maison d'édition. Il écrit des chansons et, en février 1957, fait enregistrer une de ses compositions, « A Fallen Star », à un jeune chanteur local du nom de Bobby Denton. L'enregistrement a lieu dans les studios de la station de radio WLAY, le disque sort chez le label de Joiner, Tune et devient un tube dans tout le sud des Etats-Unis. La chanson, reprise par plusieurs artistes de country grimpe dans le Hot 100. La rumeur se répand que quelqu'un à Muscle Shoals édite des chansons et enregistre des tubes, ce qui provoque une migration des auteurs-compositeurs et de musiciens pleins d'espoir. Parmi eux, Billy Sherrill et Rick Hall.

En 1959, Sherrill et Hall ont, par m'intermédiaire de James Joiner, placé quelques chansons auprès d'artistes country comme Brenda Lee et Roy Orbison, lorsque Joiner abandonne la musique pour se consacrer à sa compagnie d'autobus. Rick Hall et Billy Sherrill s'associent alors avec un excentrique local, Tom Stafford, fils du pharmacien de Florence. Le trio monte Fame et installe un petit studio dans des locaux situés au-dessus de la pharmacie Stafford. La société comprend une maison d'édition et un label, Spar. Pour les musiciens et auteurs-compositeurs venus profiter du petit succès de Tune, Muscle Shoals et Fame ne sont qu'une étape, la possibilité de glisser un pied dans l'encoignure de la porte qui finira bien par s'ouvrir toute grande pour les propulser à Nashville. Très vite, Rick Hall se pose en leader et les conflits sont fréquents. Finalement, à l'été 1960, Sherrill et Stafford décident de se séparer d'édition et le nom Fame, les deux autres conservent le label Spar.

Rick Hall s'en va panser ses blessures dans son village natal. Il se met à boire et à réfléchir. Conscient que la musique country est et restera l'exclusivité de Nashville où il n'a pas réussi à se aire reconnaître, Hall retourne à Muscle Shoals, relance Fame et se met au rhythm'n' blues. Il loue une vieille usine de tabac désaffectée qu'il transforme en studio d'enregistrement. Pour gagner un peu d'argent, il continue de jouer tous les week ends avec son groupe, les Fairlanes. Le jour, il travaille comme vendeur de voitures et il passe ses nuits au studio à enregistrer des maquettes et à former la première section rythmique de Fame avec des musiciens comme David Briggs et Jerry Carrigan.

Arthur Alexander, un jeune noir portier au Sheffield Hotel sur Montgomery Avenue, chanteur et auteur-compositeur à ses heures, affiche des velléités de réussir dans le show-business ; il est sous contrat avec Tom Stafford et Spar. En 1961, Alexander écrit une chanson qui plonge Stafford dans l'embarras. Persuadé du potentiel de la chanson et de son auteur, il ne sait pas trop quoi en faire. Il reprend contact avec Rick Hall et lui amène Alexander. Dès qu'il entend la chanson, Hall sait qu'il tient là un tube : il enregistre Alexander avec David Briggs au piano, Jerry Carrigan à la batterie, les guitaristes Terry Thompson et Peanut Montgomery, et trois micros. Il ajoute quelques chœurs, mixe le tout et part à Nashville, la bande sous les bras. A Nashville, personne n'est intéresse mais Rick Hall finit par attirer l'attention du représentant des disques Dot, qui aime la chansons et propose à Hall et Alexander une royaltie de 3% chacun. « You Better Move On » grimpera jusqu'au n°24 du Billboard et sera repris par les Rolling Stones.

Avec son premier chèque, Rick Hall décide de construire un vrai studio dont il dessine lui-même les plans et qu'il fait bâtir sur Avalon Boulevard, à l'emplacement du studio actuel. Il est sans doute loin d'imaginer qu'il vient de poses la première pierre du « Muscle Shoals Sound ». Rick Hall se retrouve avec un studio tout neuf, pas d'argent, des ambitions grandioses et aucun moyen de les réaliser. Il fait de la prestation de service, louant son studio à des groupes locaux voulant enregistrer des maquettes. C'est ainsi qu'il fait la connaissance d'un jeune guitariste, Jimmy Johnson, qu'i engage à mi-temps comme homme à tout faire. Johnson en profite pour passer des heures avec les musiciens de la section rythmique du studio.

Grâce au succès de « You Better Move On », le nom de Rick Hall s'est répandu dans les milieux du show-biz du Sud. C'est ainsi qu'un manager d'Atlanta, Bill Lowery, décide au cours de l'été 1963 d'envoyer ses artistes enregistrer chez Fame. Parmi eux, Tommy Roe, les Tams et Mac Davis. En studio, Hall est seul maître à bord. Il est à la fois ingénieur du son, directeur artistique, arrangeur et il joue dans tous les morceaux. De plus, c'est lui qui choisit les chansons qui vont être enregistrés. Il en profite pour placer les compositions de ses auteurs maison, Dan Penn, Donnie Fritts… Le résultat est payant : Tommy Roe et les Tams décrochent chacun un tube. Pourtant, Rick Hall hésite encore quant au style musical qu'il souhaite donner à Fame. Le succès de « You Better Move On » avait profondément marqué les artistes de rhythm'n' blues de la région, et quantité de chanteurs noirs commencent à venir inspecter le studio et voir ce blanc qui enregistre des artistes noirs.

Le second gros tube produit par Rick Hall, enregistré avant le premier, à l'époque de l'usine de tabac, était resté dans un tiroir pendant deux ans. Il s'agissait d'une chanson de Jimmy Hughes intitulée « Steal Away » que toutes les maisons de disques avaient refusée. Début 1964, Rick Hall fait presser quelques milliers de 45 tours, les charge dans sa voiture et part avec Dan Penn faire la tournée des stations de radio des Etats du Sud. Le succès est immédiat et, de retour à Muscle Shoals, Rick Hall se retrouve avec des commandes pour des centaines de milliers d'exemplaires de « Steal Away », qu'il n'a pas les moyens d'honorer. Finalement, Vee-Jay, un label de Los Angeles, accepte de distribuer le disque. C'est un énorme succès, mais Vee-Jay fait faillite en 1965 avant que Rick Hall ait pu encaisser tout l'argent qui lui revient. Un malheur n'arrivant jamais seul, Terry Thompson meurt au cours d'un cure de désintoxication, et le reste de la section rythmique, lassé de gagne des queues de cerises, quitte Muscle Shoals pour aller s'installer à Nashville et gagner des milliards.

Le premier souci de Rick Hall est de remonter une section rythmique aussi efficace que la première : Jimmy Johnson est promu guitariste et Rick Hall engage Roger Hawkins à la batterie, Junior Lowe à la basse et Spooner Oldham aux claviers. Début 1966, la section donne entière satisfaction à son mentor qui est alors persuadé que le succès n'est pas loin. Rick Hall a tout à fait raison : le succès est proche ; mais ni lui ni Fame n'en seront à l'origine, même si, au bout du compte, c'est lui qui en tirera la plupart des bénéfices.

En 1961, Quin Ivy est l'un des DJ vedettes de WLAY. Rick Hall et lui sont de vieux amis et ils composent des chansons ensemble. Ivy, qui est également propriétaire d'un magasin de disques à Sheffield, rêve de devenir producteur. Il passe un accord avec Rick Hall, qui lui enverra tout ce qu'il n'a pas envie de faire. En 1965, Quin Ivy se trouve associé, Marlin Greene, et ouvre Quinvy Studio à Sheffield. Un studio équipé de bric et de broc mais qui s'avère suffisant pour enregistrer des maquettes sans prétention. Avec l'accord de Rick Hall, Quin Ivy utilise régulièrement les services de la section rythmique de Fame, dont les membres sont trop contents d'encaisser quelques dollars de plus. Fin 1965, un employé de l'hôpital de Colbert County du nom de Percy Sledge se retrouve dans le studio de Quin Ivy avec les musiciens de Fame et enregistre une chanson qu'il a écrite, « When A Man Loves A Woman ». Cette chanson, qui va se vendre à plusieurs millions d'exemplaires dans le monde entier, fera de Muscle Shoals un endroit désormais incontournable pour qui veut enregistrer de la musique soul. Quelques jours après la séance, Quin Ivy fait écouter « When A Man Loves A Woman » à Rick Hall qui, très impressionné, appelle Jerry Wexler, le vice-président d'Atlantic. Wexler n'est d'abord pas très emballé par la chanson, mais finit par accepter de sortir le disque après avoir exigé que la section des cuivres soit réenregistrée. Le disque sort et se retrouve n°1 à la fois des classements rhythm'n' blues et du Hot 100. Quin Ivy vient de prouver par hasard que Rick Hall n'est pas tout seul à Muscle Shoals. Evidemment, les relations entre les deux hommes vont se détériorer, mais « When A Man Loves A Woman » aura montré à Jerry Wexler que Rick Hall est homme à flairer un « hit » potentiel.

Au printemps 1966, un mois après le succès de « When A Man Loves A Woman », Jerry Wexler, dont les rapports avec Stax à Memphis sont devenus orageux, téléphone à Rick Hall et lui annonce qu'il arrive à Muscle Shoals avec Wilson Pickett. Hall n'en croit pas ses oreilles et comprend qu'il tient là la chance de sa vie. Les séances se passent remarquablement et Pickett repart de Muscle Shoals avec son plus gros succès : « Land Of 1 000 Dances », qui reste encore aujourd'hui le disque soul par excellence de l'été 1966. En revanche, les choses se passent moins bien lorsque Pickett revient en octobre. Jerry Wexler arrive avec son ingénieur du son, Tom Dowd, et commence par renvoyer le bassiste Junior Lowe, qu'il remplace par Tommy Cogbill. Rick Hall n'apprécie pas de voir Wexler prendre ses aises à Fame. Les séances se produisent deux énormes tubes, « Mustang Sally » et « Funky Broadway » mais les relations entre Hall et Wexler s'enveniment. L'affrontement survient en janvier 1967, lorsque Wexler débarque à Muscle Shoals avec Aretha Franklin pour une semaine d'enregistrement. Ils ne resteront que 24 heures (le récit varie selon les protagonistes). Lorsque Wexler repart pour New York, il remporte avec lui un titre complet, « I Never Loved A Man » et un autre à moitié terminé, « Do Right Woman », une composition de Dan Penn et du guitariste Chips Moman. Wexler fait alors écouter les deux chansons aux DJ les plus influents du pays qui, tous, grimpent aux murs. Wexler téléphone à Rick Hall et lui demande s'il accepterait que sa section rythmique vienne à New York pour enregistrer un album avec le saxophoniste King Curtis. Rick Hall, qui voit là l'occasion de se réconcilier avec Wexler, accepte. Roger Hawkins, Jimmy Johnson et Spooner Oldham partent pour New York. Ils enregistrent effectivement un album avec King Curtis, mais dans la foulée le rusé Wexler leur fait empirer celui d'Aretha Franklin. Lorsque Hall l'apprend, il voit rouge et rapatrie ses musiciens. Bine sûr, avec « I Never Loved A Man » et son premier album pour Atlantic, Aretha Franklin devient une superstar.

Après l'épisode d'Aretha Franklin, ni Wexler ni aucun artiste d'Atlantic ne remettront les pieds à Fame, à l'exception de Wilson Pickett qui persistera à y enregistrer, persuadé que le studio a quelque chose de magique. Wexler, néanmoins, continuera à utiliser régulièrement les services de la section rythmique, soit à New York, soit à Miami. Pendant toute l'année 1966, Atlantic avait envoyé de nombreux artistes enregistrer à Fame, dont la réputation est devenue énorme. Un producteur de Floride, Papa Don Schroeder, prend lui aussi l'habitude d'envoyer ses artistes enregistrer à Muscle Shoals. Lorsqu'il arrive à Fame avec James And Bobby Purify, Schroeder amène avec lui un jeune pianiste du nom de Barry Beckett. A ce moment-là, la section rythmique de Fame est presque aussi fameuse que le studio, mais Rick Hall n'a pas jugé utile de lui faire signer un contrat d'exclusivité. Il prétend que sans un bon manager les musiciens ne sont rien. De plus, alors que les dollars tombent dans les caisses de Fame, Hall continue à payer ses musiciens avec un lance-pierres. Au printemps 1967, peu après l'épisode new yorkais, Rick Hall engage David Hood à la basse pour remplacer Junior Lowe. Au même moment, Spooner Oldham décide de partir pour Memphis avec Dan Penn, et Hall le remplace par Barry Beckett. Toujours en 1967, Jimmy Johnson aide un homme d'affaire local, Fred Bevis, à installer un petit studio dans une ancienne fabrique de cercueils sur Jackson Highway, en face du cimetière de Sheffield. Bevis ne fait pas grand-chose de son studio mais suggère à maintes reprises à Jimmy Johnson, Roger Hawkins, David Hood et Barry Beckett de lui racheter l'affaire et de se mettre à leur compte. L'idée commence à faire son chemin.

A Fame, les affaires vont bien. Chess, le légendaire label de Chicago, y envoie Etta James et la chanteuse de gospel Laura Lee. Fin 1968, Wilson Pickett est de retour et Rick Hall lui adjoint les services de sa dernière découverte, un jeune guitariste de Floride du nom de David « Duane » Allman dont le solo dans « Hey Jude » reste un moment d'anthologie. Mais Rick Hall ratera le coche avec Duane Allman et perdra l'Allman Brothers Band au profit de Phil Walden, le patron de Capricorn. Début 1969, Hall renégocie avec Capitol un accord de production et de distribution exclusives assorti d'une garantie de 1 million de dollars. Il propose alors à sa section rythmique un contrat d'exclusivité garantissant à chaque musicien la somme peu royale de 10 000 dollars par an. Ulcérés, les quatre musiciens décident de partir. A l'insu de Rick Hall, ils s'organisent. Ils empruntent 40 000 dollars pour racheter le studio de Fred Bevis, et Jerry Wexler leur en prête 20 000 autres pour acheter une console et un magnétophone. En avril 1969, ils ouvrent leur propre studio au 3614 Jackson Highway, et se placent en concurrent directs de Fame. Leur premier client : Atlantic. Une fois installés, leur premier souci consiste à trouver une identité à leur groupe. David Hood propose Muscle Shoals Sound Studio. Pour les médias, il y avait le Memphis Sound, le Chicago Sound, le New Orleans Sound, le New York Sound. En l'espace de deux ans, Jimmy Johnson, Roger Hawkins, David Hood et Barry Beckett, grâce à leur capacité à s'adapter à n'importe quel type de musicien, deviennent le « son de Muscle Shoals ».

Boz Scaggs est le premier artiste envoyé par Atlantic pour tester le studio, suivi par Cher. Le Muscle Shoals Sound Studio décroche la timbale avec R.B. Greaves et « Take A Letter Maria », enregistré en décembre 1969. A ce moment-là, les Rolling Stones arrivent en ville et le studio tourne 24 heures sur 24. Le jour, R.B. Graves enregistre avec la section rythmique. La nuit, les Stones prennent le relais. Avec Jimmy Johnson à la console, ils enregistrent trois titres : « Brown Sugar », « Wild Horses » et « You Gotta Move ». Ces séances sont immortalisées dans le film Gimme Shelter .

En 1970, la section rythmique du M.S.S.S. enregistre Ronnie Hawkins, Herbie Mann, Lulu, John Hammond Jr., Wilson Pickett, tous envoyés par Atlantic. Roger Hawkins et ses amis font également le voyage jusqu'à Miami pour enregistrer avec Aretha Franklin.

En 1971, Jerry Wexler installe ses opérations à Miami et demande à Hawkins, Hood, Beckett et Johnson d'abandonner Muscle Shoals pour devenir la section rythmique d'Atlantic au studio Criteria. Ils refusent. Wexler n'est pas content et leur signifie que désormais les artiste Atlantic n'iront plus à Muscle Shoals. Mais Stax prend le relais et leur envoie du monde. Beaucoup de monde : les Staple Singers, Williams Bell, Eddie Floyd… Le Muscle Shoals Sound Studio est devenu une institution : cette année-là, débarquent Joe Cocker, J.J. Cale, Bobby Womack, Lonnie Mack, Linda Ronstadt, Leon Russell, Jim Capaldi, Laura Nyro. En 1972, le M.S.S.S. accueille Bob Seger, Tony Joe White, Ry Cooder, Jimmy Cliff, Mel & Tim. Le studio et ses musiciens, surnommés désormais les Swampers, collectionnent les disques d'or. C'est alors qu'arrivent Steve Winwood avec Traffic pour enregistrer leur album Shoot-Out At The Fantasy Factory (1973). Le courant passe à tel point que David Hood et Roger Hawkins sont recrutés par Winwood pour la tournée américaine de Traffic. En 1973, Barry Beckett est de la fête et, après avoir fait le tour des Etats-Unis, Traffic, devenu alors l'un des meilleurs groups du monde, s'embarque pour une tournée européenne au cours de laquelle sera enregistré l'album On The Road. De retour à la maison, nos amis accueillent Paul Simon, Millie Jackson, Johnnie Taylor, Canned Heat… En 1974, on remarque Willie Nelson, Joe Simon, Don Covay, Johnny Rivers, Don Nix, Robert Palmer et, en 1975, Rod Stewart, Bob Seger, Simon & Garfunkel. Contrairement aux prévisions de Rick Hall, Johnson, Hawkins, Hood et Beckett ont réussi au-delà de leurs espérances. Ils ont non seulement créé un son dont la popularité est devenue mondiale, mais ils ont donné envie à d'autres musiciens locaux de faire comme eux.

Rick Hall n'aura pas trop souffert du départ des Swampers. Fin 1970, il est approché par Mike Curb, le président des disques MGM, qui lui propose d'enregistrer un groupe de cinq frères, les Osmonds, qui a fait un tabac dans un show télévisé entre 1962 et 1967. L'idée de Curb est d'en faire le pendant blanc des Jackson 5. Pour Hall, c'est un changement drastique de direction musicale. Il accepte et leur fait enregistrer une chanson composée par George Jackson, un auteur de Fame, intitulée « One Bad Apple », qui reste au n°1 pendant cinq semaines et se vend à 11 millions d'exemplaires rien qu'en 1971. Le Billboard sacre Rick Hall « producteur de l'année 1971 ». Toujours en 1971, Clayton Ivey, le pianiste de la nouvelle section rythmique de Fame, défait ses valises et monte son propre studio, Wishbone, qui va décrocher une association très avantageuse avec Motown, et produira les Temptations, les Commodores… L'année suivante, le reste de la section rythmique de Fame s'en va à son tour et monte Widget Sound Studio qui décroche un tube avec le groupe Sailcat et la chanson « Motorcycle Mama ». En 1974, Al Cartee, l'ingénieur du son de Rick Hall, s'en va lui aussi pour monter son propre studio, Music Hill, spécialisé dans la country.

A Muscle Shoals Sound Studio, on l'a vue, les années 70 sont fructueuses. Mais les Swampers se sentent à l'étroit dans le minuscule studio de Jackson Highway et, en 1978, ils s'installent dans un immense bâtiment au bord du Tennessee, qui devient le plus grand complexe d'enregistrement au monde. Les Swampers travaillent avec Bob Seger, James Brown, Delbert McClinton, Glenn Frey. Barry Beckett se met de plus en plus à la production et fait équipe avec Jerry Wexler. En semble, ils produisent Dire Straits, Bob Dylan, Carlos Santana, Chris Hillman et Roger McGuinn. En 1980, Muscle Shoals Sound devient un label distribué par Capitol. On y trouve Levon Helm (The Band), Delbert McClinton, Frankie Miller, Russell Smith des Amazing Rhythm Aces et Lenny Leblanc. Pourtant, la récession économique pointe le bout du nez. A Muscle Shoals, les studios ferment les uns après les autres et, en 1983, Barry Beckett part s'installer Nashville. Fin 1985, les Swampers décident de vendre leur studio à Malaco, un label de Jackson spécialisé dans le rhythm'n' blues. Depuis, le succès des artistes de Malaco assure le quotidien du M.S.S.S. qui reste toujours ouvert à la clientèle extérieure.